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Phéniciens n'ont point primitivement inventé les lettres, et que la dénomination que les Grecs leur ont donnée, vient de ce que les Phéniciens ont seulement changé le type de ces caractères dont la plupart des hommes se sont servis 1."

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Enfin Hérodote, le docte et consciencieux père de l'histoire" (450 av. J.-C.), nous apprend que les Phéniciens qui avaient accompagné Kadmos", pendant le séjour qu'ils firent en Béotie, introduisirent en Grèce plusieurs connaissances, entre autres les lettres, qui étaient, à mon avis", dit-il, inconnues auparavant dans ce pays. Ils les employèrent d'abord de la même manière que les Phéniciens. Mais dans la suite des temps, ces lettres changèrent avec la langue, et prirent une autre forme. Les pays circonvoisins étant occupés alors par les Ioniens, ceux-ci adoptèrent ces lettres, et y firent quelques légers changements. Ils convenaient de bonne foi qu'on leur avait donné le nom de lettres phéniciennes parce que les Phéniciens les avaient introduites en Grèce 2.

Ainsi les renseignements gréco-romains, même celui de Diodore qui les contredit, nous renvoient aux Phéniciens 3.

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Kadmos. Quel est ce Kadmos dont parle la légende grecque ? C'est évidemment un personnage mythique, témoin la fable si connue, rapportée par le savant Grote, en ces termes: Kadmos vint de Phénicie en Thrace, et de Thrace à Delphes, pour se procurer des renseignements au sujet de sa sœur Eurôpè; mais le dieu l'engagea à ne plus s'inquiéter d'elle; il devait suivre une vache qui lui servirait de guide, et fonder une ville à l'endroit où l'animal se coucherait. La condition fut remplie sur l'emplacement de Thèbes. La fontaine voisine, Arcia, était gardée par un dragon féroce, rejeton d'Arès, qui faisait périr toutes les personnes qu'on y envoyait pour puiser de l'eau. Kadmos tua le dragon, et, à l'instigation d'Athêné, il sema les dents de l'animal dans le sol; il en sortit aussitôt des hommes armés appelés Sparti, au milieu

1

Bibliothèque historique V, 74 (Traduction Ferd. Hofer).

2 Histoire V, 58 (Traduction Buchon).

3

L'historien juif Josèphe (1er siècle ap. J.-C.) sait aussi que les Grecs affirmaient avoir appris les lettres des Phéniciens et de Kadmos (Réponse à Apion I, 3).

desquels il jeta des pierres, et immédiatement ils se mirent à s'attaquer les uns les autres, jusqu'à ce qu'ils fussent tous tués, excepté cinq..." 1

Le savant Movers a voulu identifier Kadmos avec Taaut, l'interprète et le secrétaire de la divinité, et dériver son nom de Kadmiel „Serviteur d'El" 2. Cette explication paraît bien subtile. Elle serait admissible comme réponse phénicienne à la question: Quel est l'inventeur de l'écriture? mais non comme réponse grecque à celle-ci Qui nous a apporté les caractères? En voici une plus simple et plus naturelle: Kédem, en phénicien, veut dire „Orient", Kadmos n'est qu'un mot grec dérivé de là et désignant „un homme originaire de l'Orient", comme notre mot français Sarrasin provient de l'Arabe charkiin (de chark orient"), les gens de l'Orient". Kadmos nous a apporté l'écriture" signifie done tout simplement Nous avons reçu cet art d'un Oriental, d'un Phénicien.

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L'écriture partout attribuée à une révélation divine. Si le Talmud fait créer l'écriture par Dieu même, si Diodore attribue les caractères grecs à une révélation surnaturelle, faite aux Muses par Apollon, les Phéniciens font remonter leurs livres sacrés et par conséquent leur écriture au dieu Taaut. De sorte que, même en nous prononçant pour les Phéniciens, la solution de notre problème n'est pas plus avancée qu'au début. Nous sommes purement et simplement ramenés aux légendes déjà citées (L. IV, p. 694 et suiv.), d'après lesquelles les Livres sacrés des Égyptiens, des Babyloniens, etc., sont d'origine divine. Comme les Phéniciens, les autres peuples nomment formellement le dieu qui fut l'inventeur de l'écriture. Chez les Égyptiens, c'est Thoth (Hermès) 3, chez les Babyloniens Oannès. Au témoignage de Hiouen-thsang, la tradition hindoue attribue l'invention des lettres à Brahmâ.

Histoire de la Grèce, traduite par Sadous, T. I, p. 291-292.

2 Die Phoenizier, T. I, p. 521.

3

<< Hermès, suivant Diodore de Sicile, inventa les caractères, institua les sacrifices (Bibliothèque historique, I, 16).

4

Les Assyriens prétendaient que le dieu Nébo était le «créateur des caractères de l'écriture» (Journal Asiatique, 1876, p. 205).

Les caractères de l'écriture (sanscrite), dit-il, ont été inventés par le dieu Fan (Brahmâ); et, depuis l'origine, leur forme s'est transmise de siècle en siècle. Elle se compose de quarante-sept signes qui s'assemblent et se combinent suivant l'objet ou la chose qu'on veut exprimer. Elle s'est répandue et s'est divisée en plusieurs branches... C'est surtout dans l'Inde centrale qu'elle est nette et correcte. Dans cette contrée la langue est noble et harmonieuse, et elle résonne comme celle des dieux.

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Cette croyance, au témoignage de Halhed, a toujours encore cours dans l'Inde (Voyez Livre II, p. 131).

Chacune de ces légendes ne suppose connue que l'écriture en usage dans le pays même où la légende est née. Elles considèrent chacune l'écriture de ce pays comme la seule existante, et ne tiennent aucun compte des systèmes graphiques différents. A moins donc d'admettre la réalité de Taaut, de Thoth, d'Oannès, de Brahmâ, etc., il faut, pour résoudre la question relative à l'origine des caractères, écarter toute légende mythologique, et suivre une voie d'investigation naturelle et comparative.

Recherche historique de l'origine de l'alphabet. Les premiers rudiments de l'écriture 2. - La méthode la plus sûre, bien que la plus longue, consisterait à recueillir, dans tous les pays, les documents écrits, à les classer par ordre d'ancienneté, et à poursuivre, s'il était possible, la filiation des uns aux autres. Cette méthode, si nous ne l'appliquions qu'aux livres, serait plus idéale que pratique. Autrefois, comme aujourd'hui, les livres étaient sujets à devenir la proie des insectes, du feu ou des intempéries, quand ils échappaient aux ravages de la guerre. Sauf dans les tombeaux d'Égypte, il ne s'est conservé nulle part de manuscrits originaux antérieurs à l'ère chrétienne. Même le plus ancien livre du monde, le papyrus Prisse, n'est qu'une copie d'ouvrages antérieurs (Comp. Livre II, p. 80 et suiv.). De même, les plus vieux manuscrits chinois, indiens, hébreux, grecs, etc., ne sont point des livres originaux. Ce

Mémoires de Hiouen-thsang (Traduction de Stanislas Julien I, p. 71). Nous reproduirons dans notre exposé plusieurs des indications données dans l'intéressante brochure de M. H. Brugsch, Ueber Bildung und Entwicklung der Schrift, Berlin, 1868.

sont des copies qui évidemment ne sauraient nous renseigner sur les phases diverses que l'écriture a traversées antérieurement. Il faut donc recourir aux inscriptions, et, en général, à tous les documents conservés tels qu'ils ont été originairement composés. Les intéressantes découvertes d'objets préhistoriques, qui se sont succédé depuis Boucher de Perthes (Voyez Livre I, p. 646 et suiv.), ont mis au jour une quantité d'échantillons de l'industrie humaine

Fig. 1.

маги

Fig. 2.

primitive, entre autres des pierres et des os, couverts de dessins,

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dont les uns représentent l'homme lui-même (fig. 1); les autres des rennes (fig. 2), des aurochs (fig. 3), et même le mammouth

(fig. 4), et l'ours des cavernes (fig. 5); animaux dont les uns sont complètement éteints, et dont les autres ne se retrouvent que dans les contrées septentrionales. Quelles pensées éveillent ces

Fig. 4.

antiques restes, aujourd'hui déposés pour la plupart au Musée de Saint-Germain ! Quels temps reculés ils ramènent sous nos yeux, car ils remontent peut-être à cinquante ou à cent mille années! Ils nous retracent, plus éloquemment que ne le feraient des signes

Fig. 5.

alphabétiques, toute une page oubliée de l'histoire. L'homme, nous disent-ils, a été contemporain d'animaux plus grands et plus féroces que ceux qui vivent aujourd'hui. Il a dû les combattre pour défendre contre eux son existence; et ces luttes quotidiennes ont été sa première école. Elles ont été pour lui l'occasion d'exercer son corps, et de développer ses facultés intellectuelles. Ne le dédaignez point. C'est parmi ses pareils qu'ont vécu les ancêtres des Phidias et des Raphaël, des Hérodote et des Platon, des grands peintres et des grands sculpteurs, comme aussi des

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