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déchiré, et il nous guérira. Il a frappé, et il nous pansera. Après deux jours, il nous ranimera, et le troisième il nous relèvera, afin que nous vivions. >>

Ces passages, qui n'étaient primitivement que des paroles de consolation et d'espérance adressées huit siècles avant notre ère au peuple d'Israël dans ses malheurs, furent appliqués au Christ, et considérés comme prophétisant sa résurrection.

Sur ce « témoignage des Écritures », les disciples de Jésus crurent donc fermement que leur maître n'était point resté dans le tombeau 4, mais qu'il en était sorti le troisième jour. Cette certitude une fois enracinée dans les cœurs, il s'est passé, en ces temps de foi naïve et d'enthousiasme facile, ce qui arrive dans tous les temps analogues, ou l'on voit des yeux ce que l'on croit du cœur. Comme en dormant on a des rêves où l'on voit et entend les personnes dont l'image est dans notre mémoire, on peut, dans certaines dispositions d'esprit, voir et entendre, tout en étant éveillé, des personnes invisibles à d'autres. Ce phénomène, commun aux sectateurs de toutes les religions, est ce que l'on appelle une vision. Si l'Ancien Testament qualifie les songes de «visions nocturnes >> (Job 33, 15; Daniel 7, 13), on pourrait appeler les visions des «songes diurnes ».

Ces sortes de songes sont, comme les autres, essentiellement subjectifs. Les images dont le cœur est plein se projettent en quelque sorte au dehors et deviennent réelles, mais pour le visionnaire seulement. Nul homme de sang-froid ne les percevrait (comp. Livre V, p. 37) 5.

Les disciples de Jésus, convaincus par l'interprétation donnée à l'Ancien Testament, que leur Maître vivait, l'ont donc vu. Le premier qui eut cette vision fut Pierre, et il eut bientôt des imitateurs: <«< Il (le Christ) a été vu de Céphas, et ensuite des Douze. Puis il a été vu de plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore maintenant, mais dont quelques-uns se sont endormis. Puis il a été vu de Jacques, puis de tous les apôtres, et après tous il a aussi été vu de moi comme d'un avorton» (I Cor. 15, 5-8). Ainsi Paul a vu à son tour le ressuscité. La manière dont ailleurs il parle

de cette vision prouve combien nous avons raison d'appeler un tel phénomène le songe d'un homme éveillé : « Je connais un homme en Christ qui... fut ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut avec son corps ou sans son corps, je ne sais; Dieu le sait), et je sais que cet homme-là (si ce fut avec son corps ou sans son corps, je ne sais; Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des mystères qu'il n'est pas permis à un homme de révéler. Je puis me glorifier d'être cet homme-là » (II Corinthiens 12, 2-5).

Si, de ces loyaux aveux d'incertitude, on passe aux récits de la tradition postérieure, on voit le caractère, d'abord encore flottant de ces récits, se préciser de plus en plus dans le sens d'une apparition matérielle objective, témoin les trois formes sous lesquelles le Livre des Actes raconte la vision du chemin de Damas.

9, 3-7. Pendant ce voyage, quand il était déjà près de Damas, tout à coup, une lumière venue du ciel éclata autour de lui;

et tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?

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Or, il m'arriva en chemin,] Je me rendis à Damas avec des comme je m'approchais de pleins pouvoirs et un mandat de la part Damas, que vers midi, tout à des chefs des prêtres, et là, en plein coup, une vive lumière, ve- jour, sur la route, je vis, ô Roi, une nue du ciel, éclata autour de lumière venant du ciel et plus brilmoi; lante que celle du soleil, qui m'enveloppait de son éclat, ainsi que mes compagnons de voyage. Et comme nous tombâmes tous à terre, j'entenme dis une voix qui me parlait et qui me disait en hébreu: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Il te sera difficile de regimber contre l'aiguillon. Et moi je dis: Qui es-tu, Seigneur? Et le Seigneur répondit: Je suis Jésus

et je tombai à terre, et j'en
tendis une voix qui me disait:
Saul, Saul, pourquoi
persécutes-tu?

Et je répondis: Qui es-tu,
Seigneur? Et il me dit: Je

Et il dit: Qui es-tu, Seigneur?
Et celui-ci répondit: Je suis
Jésus que tu persécutes. suis Jésus de Nazareth, que que tu persécutes. Mais lève-toi et
Mais lève-toi et rends-toi tu persécutes.

dans la ville, et il te sera dit ce que tu dois faire.

tiens-toi debout; car c'est pour cela que je te suis apparu, pour t'élire comme mon ministre et comme témoin de ce que tu viens de voir, et

de mes apparitions futures, te protégeant contre ce peuple et contre les païens, vers lesquels je t'envoie pour leur ouvrir les yeux, afin qu'ils se convertissent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, pour obtenir, par la foi en moi, le pardon des péchés et une part de l'héritage des saints. Par cette raison, ô roi Agrippa, je n'ai pas voulu désobéir à la vision céleste:

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Le trait commun à ces variantes, c'est que le jeune fanatique est ébloui par «une lumière venant du ciel, qui resplendit comme un éclair autour de lui ». Mais, suivant la première variante, ses compagnons n'entendent qu'une voix, sans voir personne. D'après la seconde, ils voient la lumière et en sont effrayés, mais n'entendent point la voix. La troisième prête à Jésus un long discours (26, 16-18), étranger aux deux autres.

Plus tard enfin, dans l'addition au quatrième Évangile, le Christ ressuscité n'est pas seulement visible et palpable, mais il partage un repas avec ses disciples (21, 13-15).

En résumé, l'historien impartial doit admettre que les disciples ont vu le Christ après sa mort, mais il se gardera de confondre ces <«<visions» du ressuscité avec des « apparitions» réelles. Si les premières sont historiques, il faut ranger les secondes dans le domaine de la fiction. C'est après Paul, en effet, que naissent ces légendes contradictoires, où Jésus apparaît là comme un fantôme, ailleurs en chair et en os insérées aujourd'hui dans les Évangiles, et qui, incompréhensibles comme récits de témoins oculaires, s'expliquent parfaitement comme produits d'une tradition, déjà en partie grossièrement matérialisée.

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CHAPITRE IV.

La Chronologie des principales Épîtres de Paul. La courte Période lumineuse de l'Histoire du premier Siècle. Le plus ancien Parti orthodoxe dans l'Église.

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Nous partons du fait désormais acquis, que le rapport chronologique entre les Évangiles et les Épîtres de Paul est précisément l'inverse de celui qu'admet la tradition.

Les plus anciens documents de la littérature chrétienne sont les Épîtres du grand «apôtre des gentils.» Les quatre premières : Romains, I et II Corinthiens, et Galates, parurent elles-mêmes dans un ordre contraire à celui où elles sont rangées dans le Nouveau Testament. Ainsi celle aux Galates fut écrite d'abord, vers 55;

puis la Ire et la II° aux Corinthiens vers 58 et 59; enfin celle aux Romains vers 60.

Cette succession se fonde sur un fait en apparence insignifiant, mais sur lequel l'apôtre revient dans les quatre Épitres. Il s'agit d'une collecte, recommandée à Paul par les apôtres, en faveur des pauvres de Jérusalem. Il en est question pour la première fois Galates 2, 10. Paul ordonne cette collecte dans les églises de Galatie, et y intéresse aussi les Corinthiens (I Cor. 16, 1-2), auxquels il annonce son projet d'envoyer le produit de leur libéralité à Jérusalem, ou, si la chose en vaut la peine, d'y aller lui-même (Ibid. 16, 3-5). La collecte se fait donc à Corinthe, et avec un zèle qui excite celui de plusieurs (II Cor. 9, 1-5). De sorte que l'apôtre, malgré son désir d'aller à Rome, annonce aux Romains qu'il partira pour Jérusalem et y portera le produit de la collecte, ce fruit de la charité des gentils » (Rom. 15, 23-28). Ainsi les quatre Épîtres se rangent naturellement dans leur suite véritable.

La place chronologique des grandes Épîtres fixée, nous avons un point de départ certain pour l'histoire de la primitive Église et de sa littérature. La courte période qui a vu naître ces écrits est même la seule de tout le premier siècle, où cette histoire apparaisse en pleine lumière. Avant l'Épitre aux Galates et après celle aux Romains, les incertitudes sont nombreuses. Mais ces Épîtres mêmes, en projetant la clarté sur l'une et l'autre période, surtout sur la dernière, nous empêchent de nous y perdre dans une obscurité complète. L'acquisition d'un tel avantage excusera la longueur des développements où nous avons dû entrer. Nous tenons maintenant le flambeau qui dissipera les ténèbres répandues par la tradition sur les débuts du Christianisme. Nous avons vu ailleurs (Livre I, p. 18 et suiv.) qu'entre Paul et les disciples immédiats de Jésus, il existait des différences profondes, ceux-ci ne comprenant l'œuvre de Jésus que comme l'accomplissement du Mosaïsme, tandis que Paul y voyait une religion nouvelle.

Rien de plus fictif que l'alliance et l'amitié de Pierre et de Paul. Pierre et les siens se considéraient comme les «sauvés » d'Israël1, les vrais Juifs. C'est là surtout ce qui plus tard a dérouté les lecteurs

du Nouveau Testament. Ils n'ont cru voir, dans les adversaires de Paul, que des sectateurs de Moïse, au lieu d'y reconnaître avant tout les apôtres mêmes de Jésus et leurs adhérents. Ce sont les disciples de Paul qui furent les premiers «chrétiens»; ce sont eux qu'on désigna par le sobriquet de christianoï, qui, plus tard seulement, devint le nom vénéré de tous les membres de la nouvelle Église. C'est à Antioche, l'Athènes de l'Orient, que cette expression prit naissance (Actes 11, 26). Il est certain pour nous que Jacques, Pierre et les disciples de Jérusalem ne l'ont jamais adoptée.

Le terme de judéo-chrétiens ou de chrétiens-juifs qu'on leur applique aujourd'hui est tout moderne, comme aussi celui d'ethnicochrétiens ou de chrétiens-païens, employé pour désigner le parti de Paul. Les expressions de nazaréens pour les premiers et de christiens pour les seconds seraient à la fois plus simples et plus conformes au langage primitif.

date que du IVe siècle

Quoi qu'il en soit, ce sont les disciples de Jacques et des apôtres immédiats qui constituent pour nous servir d'un terme qui ne le plus ancien parti orthodoxe dans l'Église chrétienne. Bien que nous n'ayons sur cette première orthodoxie que peu de renseignements, ils suffisent pour en établir le caractère distinctif. On peut la définir en deux mots: Eu égard au Judaïsme, elle le maintient comme la seule vraie religion, confirmée et complétée par Jésus. Eu égard au Christianisme, nous voulons dire à ce qu'on entend vulgairement aujourd'hui par ce mot, elle l'ignore complètement. Ses membres ne connaissent pas d'autre << Écriture sainte» que l'Ancien Testament. Leur langue usuelle, c'est l'araméen, dialecte hébreu, dont Jésus lui-même s'est servi 2. La seule doctrine qui les sépare du Judaïsme est celle-ci : Jésus de Nazareth, crucifié par Pilate, est le Messie. Ils attribuaient à leur Maître le caractère et la mission propres au Messie tel que les Juifs se le figuraient alors, et comme Jésus n'avait pas rempli cette mission, ils s'attendaient à le voir sous peu revenir dans sa gloire. C'était uniquement par cette doctrine que les membres de l'Église apostolique différaient des autres Juifs. «Les Juifs, dit un ancien auteur ecclésiastique, étaient dans l'erreur sur la première

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