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Même en admettant leur authenticité, il faudrait les placer après celles aux Thessaloniciens, par lesquelles nous commencerons.

Ces deux Épitres sont généralement considérées comme les premières de Paul, qui les aurait écrites de Corinthe. On trouve dans la première un hommage rendu à la foi des chrétiens de Thessalonique, convertis «pour servir le Dieu véritable, et pour attendre des cieux son fils Jésus qu'il a ressuscité des morts, lequel nous délivre de la colère à venir» (1, 9-10). On y trouve des exhortations à une vie sainte (ch. 3 à 4, 12), suivies de curieux détails sur la prochaine parousie du Christ, dont le retard paraît avoir éveillé des doutes dans les esprits: «Je ne veux pas vous laisser dans l'ignorance, mes frères, au sujet de ceux qui meurent, pour que vous ne vous affligiez point, comme c'est le cas des autres qui n'ont pas d'espérance... Car ceci je vous le dis, d'après la parole du Seigneur nous qui vivrons, et qui serons restés jusqu'à l'avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les morts, parce que le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d'un archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Christ ressusciteront d'abord, ensuite nous qui vivrons et qui serons restés, nous serons enlevés sur les nuées en même temps qu'eux à la rencontre du Seigneur, dans les airs, et ainsi nous serons pour toujours avec le Seigneur. Consolez-vous donc les uns les autres avec ces paroles » (4, 13. 15-18). On voit ici l'illusion que se faisait l'auteur de l'Épitre en attribuant à la « parole du Seigneur l'annonce d'un événement si extravagant, mais si conforme à la mythologie juive des derniers siècles. Ni ceux qui vivaient au temps où parut cette lettre, ni ceux qui ont vécu depuis, n'ont vu « le Seigneur descendre du ciel au son de la trompette de Dieu » ; et les morts ne sont point ressuscités pour être «enlevés à sa rencontre sur les nuées». Le Christ ne revient que dans la personne de ceux qui ont le cœur pur et droit. Et ce qui trahit sa présence, ce n'est pas un vain appareil mythologique, mais une vie sanctifiée par l'amour de la vérité et par la pratique de la justice.

Le chapitre final (5) rappelle la venue subite du « jour du Sei

gneur », et la nécessité de se tenir prêts en « enfants de la lumière». Il se termine par des exhortations pratiques d'une grande portée, et trop négligées plus tard, telles que : « N'éteignez point l'esprit >> (v. 29). «Examinez toutes choses: retenez ce qui est bon; abstenez-vous de tout ce qui a quelque apparence de mal » (v. 21-22).

La deuxième Épître paraît contredire la première sur le point capital le retour prochain du Christ. On s'étonne, en effet, de lire au commencement du chapitre 2 :

«Or, mes frères, pour ce qui est de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre réunion avec lui, je vous prie de ne point vous laisser troubler trop facilement, ni ébranler dans votre bon sens, soit par quelque inspiration, soit par quelque discours ou quelque lettre (comme venant de moi), comme si le jour du Seigneur était déjà là» (v. 1-2). Puis l'auteur déclare qu'avant ce jour, attendu avec tant d'impatience, il faut que « la révolte arrive », et que paraisse «l'homme de péché, le fils de perdition, l'adversaire qui s'élève contre tout ce qui est réputé Dieu et adorable, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, prétendant être Dieu lui-même... Sa manifestation se fera par la puissance de Satan, avec beaucoup de miracles, de signes et de prodiges mensongers, et avec tous les vices propres à tromper ceux qui se laissent perdre, parce qu'ils ont refusé d'accepter la vérité qui devait les sauver. Et c'est pour cela que Dieu leur envoie une puissante séduction qui leur fait croire au mensonge, afin que tous ceux qui ne croient pas à la vérité, mais qui se plaisent au mal, soient condamnés» (v. 4. 9-12).

L'Épître aux Éphésiens est adressée, suivant 1, 1, «<aux saints qui sont à Éphèse et aux fidèles en Jésus-Christ» (adresse qui, pour le dire en passant, était encore inconnue en 200). D'après son contenu, cette Épître est une circulaire aux communautés de l'Asie Mineure, sans allusion spéciale à celle d'Éphèse que l'apôtre cependant connaissait parfaitement. On y trouve, en outre, des idées et des expressions étrangères à Paul (par exemple 2, 20: Vous êtes un édifice bâti sur le fondement des apôtres et des pro

phètes », où l'on reconnaît un auteur qui a vécu après les apôtres). En un mot, rien ne paraît plus légitime que de contester l'authenticité de cet écrit. C'est une Épître pastorale à tendance surtout pratique. L'auteur recommande l'union, parce qu'il n'y a qu' « un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu et père de tous, qui est au-dessus de tous, qui agit par tous, qui est en tous» (4, 5-6); il veut que les chrétiens se distinguent par des mœurs pures: «Que le libertinage, ainsi que toute impureté ou cupidité, ne soit pas même nommé parmi vous, comme il convient à des saints » (5, 3); il expose les devoirs réciproques des époux (5, 21-33), des enfants et des parents (6, 1-4), des serviteurs et des maîtres (6, 5-9), et finit par l'exhortation à se revêtir des armes spirituelles pour « résister aux embûches du diable» (6, 10-17) et à persévérer dans la prière (6, 18 et suiv.).

L'Épître aux Colossiens présente de grandes analogies avec la précédente, mais la doctrine touchant la personne du Christ y est plus développée. On y lit entre autres : « C'est lui qui est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature; car c'est en lui que toutes choses ont été créées, tant ce qui est dans les cieux que ce qui est sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, les trônes et les seigneuries, les autorités et les puissances, tout a été créé par lui et pour lui, et il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui» (1, 15-17).

Celle aux Philippiens passe pour le dernier écrit de l'apôtre. C'est aussi celle qui, plus que les autres, porte le caractère épistolaire. On y trouve plus qu'ailleurs des épanchements du cœur, un mélange de tristesse et de joie, la courageuse attente du martyre et l'espérance de la vie éternelle. L'auteur est loin du contentement de soi-même qui caractérise les esprits terre à terre. Son ambition est l'imitation du Christ. Il ne se vante point d'avoir atteint ce but, d'être parvenu à la perfection, «mais, dit-il, je fais des efforts pour y parvenir» (3, 12). Et il répète : « Non, mes frères, je ne prétends pas l'avoir atteint seulement, oubliant ce que je laisse en arrière, et tendant vers ce qui est devant moi, je

cours après le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ! >> (v. 13-14).

La petite lettre à Philémon, concentrée en un seul chapitre, a pour but d'engager un maître (Philémon) à recevoir en grâce son esclave Onésime qui s'était enfui. «Si tu me regardes comme un ami, dit l'auteur, reçois-le comme moi-même. Que s'il t'a fait quelque tort ou qu'il te doive quelque chose, mets-le sur mon compte >> (v. 17-18).

Il est très difficile de se prononcer absolument, soit pour, soit contre l'authenticité de plusieurs de ces traités. On ignore quels remaniements ils ont subis dans un temps où le respect de la lettre n'existait pas encore. La critique dès lors court risque de s'attacher à des passages interpolés et d'en déduire des conséquences hasardées.

Quoi qu'il en soit, la plus ancienne liste d'Épîtres attribuées à Paul en énumère dix: Galates, I et II Corinthiens, Romains, I et II Thessaloniciens, Laodicéens (que l'on croit être la même qu'Éphésiens 4) Colossiens, Philémon et Philippiens. Cette liste date des années 140-150. Elle est due au christien Marcion, sur lequel nous aurons à revenir.

CHAPITRE VIII.

Les Idées messianiques.

Pour l'intelligence de la suite de cette histoire, il est indispensable de nous arrêter un instant aux croyances qui avaient cours au temps de Jésus; et dont les Juifs d'alors, et par conséquent les << disciples >> mêmes, étaient pénétrés dès leur enfance. Ces croyances sont connues sous le nom d'« idées messianiques ». Le Christianisme n'étant point, comme un météore, tombé des espaces célestes, ne se comprendrait pas sans le prophétisme d'« Israël », auquel il se rattache par une foule de liens. La notion qu'il lui a empruntée et sur laquelle il se fonde, est celle du Messie. Non pas toute

fois du Messie, tel que les prophètes eux-mêmes l'avaient compris et annoncé; mais tel que, depuis l'exil et sous l'influence des événements politiques, l'imagination des penseurs juifs l'avait conçu. Il faut soigneusement distinguer ces deux ordres d'idées 1.

L'idée du Messie avant l'exil.

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L'expression Messie «Oint», - en hébreu Machiah, en grec Christos, se trouve pour la première fois dans un psaume que le Jéhoviste (voy. Livre V, p. 109 et suiv.) a inséré dans son livre en l'attribuant, par anachronisme, à Anne, la mère de Samuel:

Que Yahveh juge les extrémités de la terre,

Qu'il donne la puissance à son roi,

Et exalte la force de son oint! (1 Samuel 2, 10.)

L'«oint» (le messie) de Yahvèh est ici, comme le contexte le prouve, le roi d'Israël (comparez: 1 Samuel 2, 35; Psaume 2, 2; 18, 51; 20, 7). Saül et David, les premiers, sont appelés chacun << messie» (oint) de Yahvèh (1 Samuel 12, 3. 5; 16, 6; 24, 7. 11; 26, 9. 11). Plus tard le titre de «messie », synonyme de «<roi», est même donné à Cyrus: «Ainsi parle Yahvèh à son messie, à Cyrus» (Isaïe 45, 1).

Aux temps de polythéisme religieux, de troubles et de déchirements politiques où vécurent les prophètes d'Israël, l'occasion se présenta souvent d'exhorter le peuple à se consacrer à Yahvèh. A ce prix, les prophètes promettaient la cessation des guerres et la prospérité nationale. Ces promesses évidemment n'auraient eu aucun effet si elles avaient été à longue échéance. On se méprendrait sur les intentions des prophètes, en croyant qu'ils avaient en vue un état de choses semblable à celui que le Christianisme devait amener un jour. On méconnaîtrait la nature humaine, en s'imaginant qu'une telle perspective eût consolé le peuple dans ses misères. Les prophètes, on ne saurait assez insister sur ce point, ont écrit pour leur temps et non pour les siècles futurs. Les promesses qu'ils faisaient au nom de Yahvèh devaient, dans leur pensée, se réaliser dans un avenir rapproché 2. Le caractère de ces promesses (devenues plus tard des prophéties inspirées) varie suivant les circon

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