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stances, suivant les faits politiques dont les prophètes étaient témoins; et que de fois leurs espérances, clairement formulées, furent démenties par les événements!

Durant la période d'anarchie et d'usurpations qui précéda la ruine de Samarie, Osée exprime l'espoir que le royaume d'Israël acceptera le culte de Yahvèh et se soumettra à la maison de David, qui se continuait sans interruption à Jérusalem (comp. Livre V, p. 114-115).

D'autres prophètes décrivent l'idéal de bonheur et de paix qui suivra la réunion des deux royaumes, et tracent le portrait, non moins idéal, du prince juste et pieux qui amènera cet heureux état de choses.

Mais le royaume d'Israël est détruit, sans s'être converti à Yahvèh, et sans s'être soumis à « David», c'est-à-dire à un Isaïde. Bien plus, nul prince de cette dynastie ne se montre paré des vertus éminentes qui l'eussent rendu digne de gouverner les peuples.

Cependant Michée promet que de Bethlehem-Ephrata 3 sortira << le régent d'Israël», qu'il réunira les exilés à ceux qui sont restés dans le pays, et qu'il sera grand jusqu'aux bouts de la terre. Le roi Josias qui semble devoir réaliser ces espérances tombe à Megiddo; et sous ses quatre successeurs, Juda, loin de se relever, tombe de plus en plus, pour disparaître enfin sous les coups de Nabuchodonosor.

Au milieu des calamités publiques, Jérémie, inébranlable dans l'attente d'un temps meilleur, annonce qu'Israël et Juda seront restaurés (Jér. 30, 3). «Ils serviront Yahvèh, leur Dieu, et leur roi David, que je leur susciterai » (Ibid., verset 9). Par une fiction hardie, le prophète montre Rachel, l'ancêtre d'Éphraïm, sortant de sa tombe près de Ramah, et pleurant la perte de ses enfants (déportés) (Ibid. 31, 15-16) 4.

Au moment où Jérusalem est assiégée, Jérémie annonce encore que David aura une «progéniture juste», et qu'« il ne lui manquera jamais un successeur assis sur le trône de la maison d'Israël » (Ibid. 33, 15-18).

Vain espoir! Jérusalem est détruite, le dernier Isaïde, le triste

Sédécias, est aveuglé, ses fils massacrés, et la dynastie de David va s'éteindre à Babylone 5.

Le reproche que l'histoire impartiale pourrait adresser aux prophètes, c'est d'avoir trop souvent confondu leurs pensées avec les pensées de Dieu, et leurs désirs avec la volonté de Dieu 6. Leur persistance à promettre au nom de Yahvèh un roi sauveur, issu de la race corrompue de David, n'a pas peu contribué à la ruine du peuple d'Israël.

C'est une belle chose que la foi, mais à la condition d'ètre un flambeau qui éclaire et non un feu follet qui égare.

Au début de l'exil, Ézéchiel essaye encore de raviver les espérances de ses prédécesseurs. Il réitère la promesse de la réunion des deux royaumes sous un seul berger, David. Mais vers la fin de la captivité, ces illusions sont dissipées. Le second Isaïe indique une autre voie de salut. Il n'y avait plus de son temps de descendant de David. Il attend du peuple même, purifié par ses épreuves, et devenu le véritable « serviteur de Yahvèh», le triomphe de la justice et du culte du Dieu unique. Cette pensée, aussi profonde que nouvelle et hardie, est rendue illusoire par l'abaissement moral des Israélites; et les derniers prophètes reviennent à l'idée monarchique.

Cependant Cyrus a affranchi les transportés. Un certain nombre d'entre eux sont revenus. Mais le « berger » qui les guide est d'abord un gouverneur perse, Zorobabel7; et après la conquête d'Alexandre, un roi grec! Eux-mêmes, d'ailleurs, au lieu de s'unir aux restes d'Israël, les repoussent (voyez Livre V, p. 195), les obligent à se construire un sanctuaire séparé, et creusent de nouveau et plus profondément l'abîme entre les Éphraïmites, maintenant appelés les Samaritains, et les Judéens, devenus les Juifs.

Les prophètes avaient proposé; le peuple rebelle à leur voix a disposé.

Les idées messianiques depuis le retour de la captivité. - Après la restauration s'introduisit l'habitude de lire publiquement le Livre de la Loi (le Pentateuque), et plus tard aussi ceux des Prophètes. Si l'imagination populaire était frappée des nombreux

miracles racontés dans le premier de ces ouvrages, elle ne l'était pas moins des promesses de grandeur, de gloire nationale, contenues dans les derniers. On ne doutait point qu'elles seraient réalisées et qu'elles le seraient miraculeusement. A mesure que l'on s'éloignait des temps où les prophètes avaient vécu, ces prédicateurs exaltés devenaient dans l'opinion publique les voyants des choses futures, et leurs écrits des oracles qui s'accompliraient infailliblement. Cette idée, qui déjà se fait jour dans le Second Isaïe, devient prédominante par le livre de Daniel. L'auteur de cette Apocalypse, qui vivait sous Antiochus, se donne, comme on sait, pour un contemporain de Nabuchodonosor, qui voit se dérouler devant lui la suite des événements futurs jusqu'en 145 avant notre ère (voyez Livre V, p. 205-207).

D'autre part, sous la pression même de ces événements qui ne cessent d'être en contradiction brutale avec les conceptions des prophètes, les idées d'avenir se transforment et deviennent dès lors ce que l'on est convenu d'appeler les espérances messianiques.

Le nouvel ordre de choses que l'on attend et le personnage qui doit l'amener perdent peu à peu leur caractère terrestre, pour s'entourer de plus en plus d'un nimbe surnaturel. Le peuple, nourri de la lecture du Pentateuque, et convaincu qu'il est le « peuple de Dieu »>, ne compte plus que sur des miracles. Il espère que le triste présent sera subitement et miraculeusement remplacé par un avenir de bonheur. Maintenant règnent partout le mal et l'iniquité alors régneront la justice et le salut. C'est la distinction tranchée entre le ‘olam hazzèh, le «< temps actuel » et le ̊olam habbá, le « temps futur». Tous les biens à venir viendront du ciel, où ils existent depuis l'origine. C'est «l'héritage» réservé aux élus. Parmi ces biens se trouve la Jérusalem nouvelle et glorieuse, qui, au moment fixé, descendra sur la terre. Au ciel aussi réside le Messie, le futur roi d'Israël, qui apparaîtra dans sa gloire pour établir son royaume.

La littérature apocalyptique qui surgit après Daniel, et les Commentaires composés sur les Livres sacrés des Juifs, permettent de suivre les traces de cette évolution dans les idées. Il serait hasardeux

toutefois de chercher dans ces écrits une doctrine unique, que l'on pourrait renfermer dans une formule. La liberté de spéculation dans les Écoles juives, la variété des opinions qu'elle produisit, le rôle que jouèrent les événements politiques toujours changeants, ont fait naître un véritable chaos dans la forme des espérances messianiques. Si l'attente d'un roi terrestre, d'un «fils de David », qui vaincra les dominateurs étrangers, continue à rester populaire, les hommes réfléchis, les écrivains, portent leurs regards plus haut. Dans le passage Daniel 7, 13:

«Je regardais dans la vision nocturne, et voici, il vint dans les nuées du ciel comme un fils d'homme» (en d'autres termes, «quelqu'un qui ressemblait à un homme >>)

la plupart virent l'annonce que le Messie viendrait du ciel.

Une question encore controversée est celle de savoir si, dans le monde juif, on assimilait déjà le Messie, préexistant dans le ciel, à l'Homme «< créé à l'image de Dieu », dont parle Genèse 1, 27, en le distinguant de l'homme (Adam) «formé de la poussière de la terre», que mentionne Genèse 2, 27.

Ce qui est certain, c'est que l'Alexandrin Philon (voy. Livre I, p. 222 et passim), né vers 30 avant notre ère et qui vivait encore en 40 après, distinguait les deux. Il appelait l'un l'«< homme céleste», l'autre l'« homme terrestre», sans toutefois mettre le premier en rapport avec le Messie. Une telle assimilation apparaît, indépendamment de Philon, dans les écrits de Paul (voy. p. 54).

Pour nous résumer, on peut signaler chez les Juifs avant notre ère deux courants principaux d'idées messianiques :

Les masses populaires attendent un Sauveur humain, qui doit naître à Bethlehem, «de la semence de David ».

Les docteurs et les auteurs d'Apocalypses expriment la conviction que celui qu'ils nomment, tantôt le « fils de l'homme », tantôt le «Christ» ou le « fils de Dieu », préexiste dans le ciel, d'où il viendra pour juger le monde pervers, et renouveler miraculeusement toutes choses.

CHAPITRE IX.

Paul et l'Histoire évangélique.

La Christologie du grand Apôtre.

Disparition des Douze de la Scène du Monde.

Il semblerait que Paul, le seul auteur connu qui ait vu les apôtres, dût fournir dans ses Épîtres de précieux éléments pour l'histoire évangélique. Il semblerait que l'une des premières préoccupations de l'ancien persécuteur des disciples de Jésus dût être, après sa conversion, de s'initier à la connaissance de la vie du Maître au service duquel il venait de se vouer lui-même avec une ardeur si désintéressée.

Il n'en est rien. A peine trouvons-nous dans ses écrits quelques rares indications jetées en passant: Jésus est issu de la race de David (Rom. 1, 3) et né d'une femme (Gal. 4, 4). - La nuit qu'il fut livré, il institua la communion, en disant à ses disciples: «< Faites cela en mémoire de moi » (I Cor. 11, 23-25). Crucifié et enseveli, il ressuscita le troisième jour «selon les Écritures» (I Cor. 15, 3-4). Voilà à peu près tout l'Évangile historique de Paul.

Ce peu de souci des détails matériels aurait lieu d'étonner chez tout autre que Paul. Esprit foncièrement spéculatif, si l'apôtre a dédaigné de suivre les traces de son Maître sur le sol de la Palestine, c'était pour approfondir avec d'autant plus d'ardeur le but de sa venue et son rôle dans les plans de Dieu. Ce qui l'intéresse en Christ, ce n'est point son corps périssable, c'est son immortelle essence. «Quand il plut à Dieu, dit-il, de me révéler son fils, afin que je l'annonçasse aux païens, je ne consultai point la chair et le sang» (Gal. 1, 15-16). «Si nous avons connu Christ selon la chair, ajoute-t-il, nous ne le connaissons plus maintenant » (II Cor. 5, 16). C'était évidemment quitter le terrain solide des faits, pour s'aventurer dans les régions incertaines de la métaphysique. Vous demandez une histoire de Jésus; on vous répond par un système dogmatique sur la personne du crucifié. C'est Paul qui a contribué pour

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