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sieurs autres correcteurs: sous le règne de Trajan; en 129 ou 130 (sous Adrien); enfin vers l'an 140 (sous Antonin) 2. D'autres y découvrent une Apocalypse juive, composée avant la destruction de Jérusalem et remaniée plus tard par un chrétien 3. Ils expliquent par là le double caractère, signalé plus haut, d'un ouvrage où s'entremêlent les idées les plus étroites et les principes les plus larges.

On voit quelle incertitude règne sur ce livre, et combien il faut regretter le temps qu'on perd à l'examiner. Vu les contradictions qu'il renferme, dont la date et la provenance exerceront encore la sagacité des interprètes, il ne saurait, comme on le prétend quelquefois, servir à faire connaître les idées de la primitive Église. Une seule ligne claire et intelligible d'un auteur de ce temps instruit mieux là-dessus que mille pages pleines d'énigmes embrouillées, que chacun explique à sa guise, et auxquelles, par une eiségèse habile, il fait dire ce qu'il veut 4.

L'étude de l'Apocalypse ne nous apparaît plus que comme une simple affaire de curiosité 3. Quels que soient et l'auteur primitif et ceux qui ont remanié son œuvre, ils ne sauraient prétendre à notre reconnaissance. Au lieu de devancer leur temps, ils sont restés en arrière des esprits sensés même d'entre leurs contemporains. Ils partagent toutes les erreurs populaires sur l'image du monde. Ils croient la terre immobile et surmontée de la voûte du ciel, où se trouvent le trône de Dieu et la nouvelle Jérusalem (12, 5; 22, 2) et où se combattent saint Michel et Satan (12, 7-9). Ils voient dans les étoiles des lampes qui, une première fois «< tombent sur la terre comme lorsqu'un figuier, agité par un grand vent, jette çà et là ses figues vertes» (6, 13); qui néanmoins se retrouvent plus tard, de telle sorte que le « Grand Dragon» avec sa seule queue en entraîne la troisième partie et les jette sur la terre (12, 3-4).

Ce n'est pas tout. Ils n'avaient pas la moindre notion ni de lois rigoureuses, inflexibles, se manifestant au sein de l'humanité, comme dans la nature, ni d'une évolution lente s'opérant dans les esprits sous l'influence de ces lois. A l'exemple des Juifs de leur temps, ils ne comprenaient l'arrivée du royaume de Dieu et de

l'époque si désirée du bonheur universel que comme un coup de théâtre, qui, instantanément et miraculeusement, transformerait le monde et la société (voyez ci-dessus, p. 51). De telles chimères firent la ruine d'Israël. L'Église chrétienne n'a été sauvée que parce que, sous l'influence du génie grec, ses membres sensés ont heureusement rompu avec les rêveries apocalyptiques.

CHAPITRE XI.

Les Évangiles.

Nous n'abordons qu'avec un profond respect les documents qui nous retracent la vie du grand initiateur moral et religieux de la chrétienté, de celui que les peuples du moyen âge ont adoré comme leur dieu, et dont les principes ont constitué peu à peu la société moderne, sans toutefois l'avoir encore pénétrée aujourd'hui même. Heureux si nous possédions le portrait (voir Supplément I) qu'aurait tracé de lui un contemporain, un ami, un disciple admis dans son intimité; si nous pouvions approcher sans intermédiaire de cette grande figure, assister en quelque sorte au rayonnement de son âme, nous éclairer de sa lumière et nous réchauffer de sa chaleur !

Cette satisfaction nous est refusée. Nous ne voyons Jésus qu'à travers le prisme de la tradition populaire, telle qu'elle s'est formée sous l'influence des réminiscences judaïques. A l'exception de quelques termes1, nous n'avons plus même ses paroles dans la langue dont il s'est servi. Nous ne les connaissons que par une version grecque, sans pouvoir dire jusqu'à quel point elles ont été fidèlement traduites.

Élevé dans l'idée, toujours encore populaire, que les quatre évangélistes se complétaient l'un l'autre, nous avons un jour, pour connaître l'enseignement de Jésus, entrepris de traduire ses discours 2. Quel n'a pas été notre étonnement de rencontrer dès le début une parole devenue proverbiale: - «Nul n'est prophète en

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Des différences analogues et plus frappantes encore se trouvent dans les paroles d'institution de la Cène, citées seulement par les trois premiers évangélistes et, avant eux, par l'apôtre Paul (dont nous rapportons également le texte) :

PAUL, 1 dans I Corin- | MATTHIEU 26, 26-29.
thiens 11, 23-25.
Le Seigneur Jésus, la
nuit qu'il fut livré, prit
du pain et ayant rendu
grâces, il (le) rompit et
dit:

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Comme ils mangeaient, Jésus ayant pris le pain, et rendu grâces, il (le) rompit, et le donna, aux disciples, et dit :

Prenez, mangez : ceci est mon corps.

Et ayant pris la coupe,. et rendu grâces, il (la) leur donna, disant:

MARC 14, 22-25.

Et comme ils mangeaient, (Jésus) ayant pris le pain, il (le) rompit, après avoir rendu grâces, | et (le) leur donna, et dit: Prenez : ceci est mon corps.

Et ayant pris la coupe, ayant rendu grâces, il (la) leur donna, et tous en burent. Et il leur dit : Ceci est mon sang, ceci est mon sang, (le (le sang) de l'alliance, sang) de l'alliance, ré-répandu pour beaupandu pour beaucoup, coup.

Buvez-en tous, car

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Luc 22, 19-20.

Et (Jésus) ayant pris le pain, ayant rendu grâces, il (le) rompit, et (le) leur donna, disant :

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On voit que Luc est celui des évangélistes qui se rapproche le plus du texte de Paul.

Notre étonnement s'est accru lorsque nous avons trouvé un document officiel, l'inscription de la croix, qui, semble-t-il, n'était qu'à copier, reproduit par les quatre évangélistes sous quatre formes différentes :

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De tels exemples, que nous pourrions multiplier, ne sont pas de nature à confirmer la théorie que les évangélistes se sont complétés l'un l'autre, et moins encore celle qu'« ils ont écrit sous la dictée du Saint-Esprit ».

La comparaison des quatre Évangiles fait reconnaître à première vue une différence sensible entre les trois premiers et le quatrième. Celui-ci porte tous les caractères d'un ouvrage dogmatique, où l'histoire ne semble servir que de cadre mobile pour soutenir les idées de l'auteur. Les trois autres affectent plus manifestement les allures de l'histoire. La quantité de récits et de passages communs que l'on y trouve permettent de les placer en colonnes parallèles et de les embrasser en quelque sorte tous les trois du même coup d'œil 3. De là le nom de «Synoptiques» sous lequel on les désigne depuis le commencement de ce siècle.

On ignore complètement quand et par qui les premières traditions touchant la vie et la doctrine de Jésus furent mises par écrit. Nos quatre Évangiles ne sont ni les premiers ni les seuls. Bien plus, nous ne les possédons pas sous leur forme primitive, et nul ne sait au juste quelles modifications ils ont subies avant de revêtir la forme actuelle. Les plus anciens manuscrits les intitulent simplement «Selon Matthieu», «Selon Marc», «Selon Luc », « Selon Jean». Les modifications que ces ouvrages ont subies et qui paraîtraient aujourd'hui bien audacieuses, s'expliquent parfaitement au point de vue de leur temps. Personne alors n'admettait l'inspiration spéciale des livres composés par les membres des différents partis religieux (comp. p. 9). Dans les meilleures intentions du monde, les prédicateurs, ou même de simples fidèles lettrés se permettaient d'y ajouter, d'en retrancher ou d'en modifier des passages, pour les mettre en harmonie avec leurs propres convictions, ou du moins avec les idées qui avaient cours alors.

Rien n'intéresserait moins nos lecteurs que l'énumération et la discussion des nombreuses hypothèses émises pour expliquer l'origine de nos Évangiles et les rapports qui existent entre eux, et en particulier entre les trois Synoptiques.

Il suffit de savoir que nous ne possédons que la plus récente édition de ces livres. Nous verrons plus tard que le quatrième Évangile est de beaucoup postérieur aux trois premiers. Suivant toutes les probabilités, il existait avant nos Synoptiques actuels : 1° Un recueil de faits de l'histoire de Jésus, rapportés sans ordre ;

2° Un recueil de paroles de Jésus (« Paroles du Seigneur »), primitivement écrit en araméen, mais diversement traduit en grec par plusieurs auteurs anonymes.

A des degrés divers, ces deux recueils servirent de sources à nos Synoptiques actuels.

Dans l'ordre chronologique, l'Évangile selon Marc paraît avoir été composé avant ceux de Matthieu et de Luc.

CHAPITRE XII.

L'Évangile selon Marc.

Ce plus ancien Évangile réalise le programme de la prédication évangélique, exposé plus tard dans les Actes (1, 22). L'apôtre de Jésus devait connaître les faits de son histoire «depuis le baptême de Jean jusqu'au jour où le Seigneur avait été enlevé ». Marc commence, en effet, par le ministère de Jean-Baptiste. Il ignore ou néglige les événements antérieurs. Pas un mot de la naissance ni de l'enfance de Jésus. Nulle indication sur les phases que l'esprit du futur Messie avait parcourues. Il semble d'après la première légende insérée dans notre Évangile celle du baptême Jésus ait d'un coup reçu la plénitude de l'onction divine:

que

En ce temps-là (du temps de Jean-Baptiste), Jésus vint de Nazareth en Galilée et fut baptisé dans le Jourdain par Jean. Et aussitôt, comme il remontait de l'eau, il vit les cieux se fendre et l'Esprit descendre sur lui comme une colombe, et une voix des cieux (dit): «Tu es mon fils bien-aimé, c'est en toi que je prends plaisir. » Et aussitôt l'Esprit le poussa au désert, et il fut au désert quarante jours, tenté par Satan, et il était parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient (Marc, 1, 9-13).

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