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raconter que l'Église d'Antioche est fondée par des fidèles dispersés lors de la persécution d'Étienne, et qui s'étaient adressés « aux Grecs, leur annonçant le Seigneur Jésus » (11, 19-20). Puis, pour faire entrer en scène son héros, sous les auspices mêmes des nazaréens, il feint qu'après la conversion des Grecs d'Antioche, les fidèles de Jérusalem y envoyèrent Barnabas qui, après s'être convaincu de l'action de la «grâce de Dieu » parmi ces païens, <«< s'en alla à Tarse pour chercher Saul», et prêcher avec lui à Antioche pendant toute une année (11, 22-26).

Dès lors Paul apparaît sous les mêmes traits que Pierre 9. L'un, comme l'autre, débute par la guérison d'un paralytique (3, 2-9; comp. 14, 8-10). Si Pierre opère des miracles par son ombre (5, 15), Paul en accomplit par son linge et ses tabliers (19, 11-12). Le premier ressuscite Tabitha (9, 36-41), le second Eutychus (20, 9-12). Un païen s'étant mis à adorer Pierre, l'apôtre le relève en lui disant : « Je ne suis qu'un homme comme toi» (10, 25-26). Paul, ayant été pris pour Mercure par le peuple de Lystre, s'écrie: « Nous ne sommes que des hommes sujets aux mêmes infirmités que vous» (14, 11-15). D'une part, Pierre est miraculeusement tiré de prison par un ange (12, 6-11), de l'autre, c'est aussi par un miracle que les liens de Paul sont brisés (16, 25-32). Pierre enfin s'était éloquemment défendu devant le sanhédrin de Jérusalem (4, 8-20). Paul se défend avec non moins d'éloquence devant l'aréopage d'Athènes (17, 22-31).

Il est impossible de ne voir là que des coïncidences fortuites. Aussi bien l'auteur omet presque tous les faits de l'histoire de Paul connus par ses épîtres - qui ne pouvaient trouver leurs analogues dans la vie de Pierre. Dans sa Première aux Corinthiens (15, 32), l'apôtre nous apprend qu'il a combattu contre les bêtes à Éphèse. Ailleurs, comparant ses souffrances à celles des autres prédicateurs de l'Évangile, il dit: «Ils sont ministres de Christ, je le suis plus qu'eux par les travaux bien plus, par les coups au delà de toute mesure, par les emprisonnements infiniment plus, par les dangers de mort, souvent. J'ai reçu des Juifs, cinq fois, quarante coups de fouet moins un ; j'ai été battu de verges trois

fois; j'ai été lapidé une fois ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit dans la mer »; etc. (II Cor. 11, 23-25). Rien de pareil dans les Actes. Pour rendre l'identification des deux apôtres complète, l'auteur va plus loin. Il avait christianisé Pierre, il ne craint pas de revêtir Paul d'un manteau nazaréen. Dans Galates 2, 3, le grand apôtre avait refusé de circoncire Tite. Son apologiste lui fait circoncire Timothée (Actes 16, 3). Paul avait déclaré : « Nous sommes délivrés de la Loi» (Rom. 7, 6). Notre conciliateur lui fait accomplir différents voeux juifs, jusqu'à présenter des offrandes au temple de Jérusalem (Actes 18, 18; 21, 23-26). Ce qu'il faut surtout mettre en relief, c'est que, pour briser la pointe dirigée par les nazaréens contre son héros, dans la personne du magicien Simon, Luc a l'esprit d'admettre la légende de ce personnage comme celle d'un individu complètement étranger à Paul. Il le montre se convertissant et se faisant baptiser (8, 13), tandis que le « jeune homme nommé Saul » (7, 58) «<ne respirait encore que menaces et que carnage contre les disciples du Seigneur» (9, 1). Bien plus, il donne un pendant à la lutte de Pierre contre Simon le magicien. C'est celle de Paul contre le magicien Barjésu, auquel l'apôtre fait précisément les reproches que les nazaréens lui adressaient à lui-même: «O homme, plein de toute fraude et de toute astuce, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu point de pervertir les voies droites du Seigneur?» (13, 9-10). Nous avons signalé plus haut (Chap. V) les contradictions entre le livre des Actes et les Épîtres de Paul. Le résumé que nous venons de faire en révèle les motifs. L'auteur a atteint son but. Pour de longs siècles, il a dissimulé le contraste entre Pierre et Paul. Mais c'est au prix d'une altération des faits historiques non moins audacieuse que celle dont les écrivains de l'Ancien Testament se sont rendus coupables en vue de présenter le monothéisme comme la religion primitive du peuple d'Israël. La tentative de Luc ne trouva pas toutefois immédiatement crédit. La haine violente que l'orthodoxie traditionnelle (des nazaréens) ne cessait d'entretenir contre Paul, y mit obstacle longtemps encore. Peu à peu seulement, et sous l'empire du grand mouve

ment philosophique, connu sous le nom de gnosticisme, que nous exposerons tout à l'heure, les groupes anonymes du grand parti de païens et de Juifs christianisés, qui s'étaient formés dans le monde grec et romain (p. 41-42) s'associèrent de plus en plus intimement. A mesure que leur union qui, dans le courant du second siècle, devait aboutir à la formation de l'Église, dite cathodevenait plus intime, la légende de l'amitié des deux

lique

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apôtres prit plus de consistance. Après 150, elle tendra à prévaloir, au point que, sous son influence, les principales Églises, fondées ou évangélisées par Paul (Antioche, Corinthe, Rome) modifieront l'histoire de leur origine, et prétendront avoir eu Pierre et Paul pour fondateurs communs.

Pour en revenir aux Actes, on y trouve, à l'occasion de l'arrestation de Paul dans le temple, le récit d'une scène qui paraîtrait étrange sans l'éclaircissement que lui prête l'historien Josèphe et qu'une découverte récente a corroboré.

Suivant Actes 21, 27, etc., Paul, étant allé au temple avec quelques Grecs, y fut reconnu par des Juifs d'Asie, qui ameutèrent la

ville en disant: «Voici l'homme qui prêche partout contre la nation, contre la loi et contre ce lieu, il a même encore amené des Grecs dans le temple, et a profané ce saint lieu » (verset 28). Et l'ayant saisi, ils cherchaient à le tuer.

Pourquoi ce désir de le mettre à mort? Dans deux passages de ses écrits (Antiquités Judaïques XV, x1, 5, et Guerre des Juifs V, v, 2), Josèphe nous apprend qu'il y avait autour du temple d'Hérode des stèles, les unes en lettres grecques, les autres en lettres latines, placées à intervalles égaux, et interdisant aux étrangers d'entrer dans le sanctuaire sous peine de mort.

En 1871, une de ces stèles fut découverte par M. ClermontGanneau dans les fondements d'un vieil édifice arabe, voisin de la Mosquée d'Omar. La figure 1, p. 86 reproduit un estampage qu'il a eu la précaution d'en prendre avant qu'elle fût enlevée par le gouverneur turc, qui voulait la vendre à son profit. Elle est aujourd'hui déposée au musée impérial de Tchinili-Kieuchk à Constantinople. Elle est longue de 90 centimètres et haute de 60. L'inscription, en beaux caractères grecs, est ainsi conçue :

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« Que nul étranger ne pénètre à l'intérieur de la balustrade et de l'enceinte qui sont autour du temple. Celui donc qui serait pris (y pénétrant) serait cause que la mort s'ensuivrait pour lui. »

CHAPITRE XVI.

La Littérature du second Siècle (Suite). L'Épitre aux Hébreux.

Les Écrits des Pères apostoliques ».

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L'Épitre aux Hébreux.

L'auteur de cet écrit anonyme se

range au nombre des disciples auxquels « le salut annoncé par le Seigneur » est parvenu par «ceux qui l'avaient entendu de lui ». Son ouvrage est placé à tort parmi les Épîtres. C'est un traité dogmatique, composé pour démontrer aux nazaréens que le Christianisme réalise toutes les formes essentielles du Mosaïsme, présentées, à l'exemple de Paul, comme des images et des types de ce qui devait venir. Dans ces démonstrations, l'auteur cite l'Ancien Testament d'après la version des Septante, lors même qu'elle diffère du texte hébreu (par exemple, chapitre 10, 5-7, comparé à Psaume 40, 7-8) attribuant à Dieu même les passages cités. Son but étant de rompre avec le Judaïsme, il brise aussi le dernier lien qui rattachait la personne de Jésus au peuple d'Israël. Paul encore croyait Jésus né d'une femme, d'une mère juive. Notre auteur déclare qu'il est né de Dieu avant toute création (chap. 1). Il est donc «son fils premier-né» (1, 6), il est lui-même Dieu (1, 8-9). Si Jésus est mort, c'était pour détruire l'empire du diable (2, 14). Il fallait pour cela qu'il fût grandprêtre, afin d'expier les péchés du peuple (2, 17; 4, 14-16). Dieu avait donc fait de lui un grand-prêtre « selon l'ordre de Melchisédec» (5, 5-10) 1, qui était, lui aussi « sans père, sans mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours ni fin de vie 2, en un mot tout semblable au Fils de Dieu » (6, 20; 7, 1-3). Ainsi le Fils de Dieu est devenu le médiateur d'une nouvelle alliance, non plus d'une alliance comme celle de Moïse, où il fallait répéter les sacrifices, mais d'une alliance où, par un seul sacrifice, les péchés sont abolis (Ch. 9). Et c'est par l'oblation, faite une seule fois, du corps de Jésus-Christ, que nous sommes sanctifiés (10,

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