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sur vous que voudrait reposer l'âme d'Almansor... N'as-tu pas entendu les dernières paroles de Fatima: «Porte ce baiser à ma fille Zuleima! »

Ils se regardent longtemps avec tristesse, et s'embrasssent avec transport.

ZULEIMA.

J'ai reçu le baiser de mort de Fatima; reçois en échange le baiser de vie du Christ.

ALMANSOR.

C'est le souffle de l'amour que j'ai bu dans une coupe garnie de rubis. C'est à une source de feu que j'ai trempé mes lèvres, et l'huile que j'y ai bue, coulant toute chaude dans mes veines, consume et rafraîchit mon cœur. (Il l'entoure de ses bras.) Je ne te quitterai plus, non, jamais plus, Zuleima! non, quand même le palais d'or d'Allah s'ouvrirait pour moi, quand les houris me feraient signe avec leurs yeux noirs, je ne te quitterais pas, je resterais près de toi, j'entourerais plus fortement de mes bras ton corps si doux. Que ton ciel seul, le ciel de Zuleima, soit aussi le ciel d'Almansor! Que ton Dieu soit mon Dieu! Que ta croix soit mon refuge! Que ton Christ soit mon sauveur! Je veux prier dans l'église où prie Zuleima.

au

Je nage enivré comme dans un océan d'amour, milieu des sons suaves et mélodieux des harpes. Les arbres dansent de bizarres quadrilles. Les anges, pour me taquiner me jettent gentiment des rayons de soleil et de la poussière de fleurs. Le ciel est ouvert dans sa calme et radieuse splendeur. Des ailes d'or m'y emportent, là-haut, parmi les bienheureux !

On entend dans le lointain le tintement des cloches et un chant

d'église.

ZULEIMA, s'arrachant de ses bras avec effroi.

Jésus! Marie!

ALMANSOR.

Quel sombres accents viennent déchirer le voile d'or dont m'enveloppait légèrement ce rêve de béatitude? je te vois tout à coup pâlir, ma chérie; ma rose est devenue un lis... dis, ma bien-aimée, as-tu donc vu la mort qui vient, invisible, pour nous séparer?

ZULEIMA.

La mort! elle ne sépare pas; la mort réunit. C'est la vie qui nous sépare violemment. Entends-tu, Almansor, ce que murmurent les cloches? (se couvrant de son voile) elles murmurent d'une voix sourde : « Zuleima se marie aujourd'hui avec un homme qui ne s'appelle pas Almansor.» (Une pause.)

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ALMANSOR.

Ainsi tu m'as sifflé dans le cœur ton plus mauvais venin, reine des serpents! Sous cette haleine empoisonnée les arbres se flétrissent alentour; la source d'eau vive se transforme en une source de sang, et l'oiseau tombe mort du haut des airs. Ainsi, par tes chants hypocrites, tu m'as amené dans cette chambre de torture que tu appelles l'église; là, tu me crucifies sur la croix de ton Dieu, puis, tout affairée, tirant les cordes des cloches et faisant retentir les orgues, tu veux couvrir par ce fracas la prière de repentir et d'angoisses que j'adresse à Allah! Ainsi, méchante fée, tu m'as attiré dans ton char de coquillages attelé de colombes, tu m'y as attiré et enlevé jusqu'aux nues, pour me précipiter du ciel sur la terre! J'entends encore en tombant tes éclats de rire moqueurs; en tombant je vois ton char magique se changer en un cercueil à roues de flamme et tes colombes en dragons; je te vois les conduire avec des serpents noirs au lieu de freins, et moi, vomissant des imprécations horribles, je roule, je roule au fond de l'enfer, et les diables même tremblent et pâlissent à l'aspect de mon délire, aux clameurs épouvantables de mon délire!

Ah! partons, partons d'ici! Je sais encore une imprécation; si je la prononçais, Eblis lui-même aurait peur, le soleil reculerait d'épouvante, les morts, sórtant de leurs tombeaux, traîneraient sur le sol leurs squelettes frissonnants, et l'homme, les animaux, les arbres se changeraient en pierres. (11 s'élance hors du jardin).

Zuleima qui jusque là est restée immobile sous son voile se jette aux pieds du crucifix. Des moines avec des bannières et de saintes images passent en procession, chantant un cantique.

Une forêt.

LE CHOEUR.

C'est un beau pays, la belle Espagne, un grand jardin où brillent les fleurs, les pontmes d'or et les myrtes; plus belles pourtant brillaient les villes des Maures, plus magnifique rayonnait ce noble monde arabe que Tarik un jour, de sa forte main, avait planté sur la terre espagnole. Par maint événement déjà prospérait le jeune empire; il croissait, il s'é

panouissait en splendeurs, et allait bientôt éclipser l'éclat vénérable de la vieille mère patrie. Car, lorsque le dernier Omayade s'enfuit du festin où le per-fide Abasside avait entassé sur les tables les cadavres sanglants de sa famille, lorsque Abdérame se réfugia en Espagne et que de vaillants Maures s'attachèrent au dernier rejeton de l'antique souche royale, le musulman espagnol devint l'ennemi de ses frères d'Orient; il fut rompu le fil qui, d'Espagne à Damas, à travers l'étendue des mers, tenait au trône des califes. Dès lors un souffle nouveau pénétra dans les somptueux palais de Cordoue, un souffle de vie plus pur que dans les mornes harems asiatiques. Là où il n'y avait jadis d'autre ornement qu'une écriture grossière sur les murailles, apparurent, entrelacées avec grâce, mille et mille images d'animaux et de fleurs. Là où ne retentissaient que le tambourin et la cymbale, on entendit soupirer aux sons de la guitare le chant de l'âme affligée, la mélodieuse romance. Là où le sombre maître, d'un regard impérieux, forçait l'esclave tremblante à la corvée d'amour, la femme levait maintenant la tête comme une souveraine, et de sa main délicate adoucissait la grossièreté des vieilles mœurs. On vit fleu

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