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repose sur vos têtes, et j'y ajoute encore la bénédiction paternelle. (11 pose sa main sur leurs têtes et les bénit.)

DOUGLAS.

Je suis fier, milord, de vous nommer aujourd'hui mon père.

MAC-GRÉGOR.

Et moi bien plus fier encore de vous donner le nom de fils.

Ils s'embrassent.

MARGUERITE, chantant d'une voix saccadée avec l'accent

de la folie.

« Pourquoi ton épée est-elle rouge de sang, Édouard, Édouard? »

DOUGLAS, se levant en sursaut et regardant Marguerite
avec effroi.

Pour Dieu, milord, quel est ce son aigu, ce son de cristal fêlé? la voilà qui se met à parler, la muette image...

MAC-GRÉGOR, avec un sourire contraint.

Ne vous en inquiétez pas, c'est la folle Marguerite. Elle appartient au château. Il y a bien des années qu'elle est cataleptique. Les yeux fixes, elle reste souvent agenouillée pendant de longues heures dans la position la plus pénible; puis de temps en temps,

comme une pierre qui pourrait parler, elle se met sans faire aucun mouvement, à piailler quelque vieille chanson...

DOUGLAS.

Pourquoi gardez-vous au château un tel épouvantail?

MAC-GRÉGOR, à voix basse.

Chut! parlez moins haut! elle entend chaque parole... il y a longtemps que je l'aurais congédiée... mais je ne le puis...

MARIE.

Laissez en paix la pauvre bonne Marguerite; contez-moi plutôt quelque nouvelle, Douglas. Quelle est la physionomie de Londres? chez nous, en Écosse, on n'est au courant de rien.

DOUGLAS.

La physionomie de Londres? toujours la même. on court, on se presse, chevaux et voitures parcourent les rues dans tous les sens; tout le jour on dort et la nuit devient le jour. Vauxhalls, routs, piqueniques se disputent la victoire. Drury-Lane et Covent-Garden attirent la foule. L'opéra fait fureur. On échange des banknotes pour des notes de musique, des milliers de voix beuglent le God save the

King! les patriotes font de la politique en d'obscures tavernes, souscrivant, parlant, maudissant, bâillant, et s'enivrant pour le bien de la patrie. Le rosbif et le pudding fument, le porter mousse, et le charlatan écrit en souriant son ordonnance. Gare aux filous, partout où se presse la foule! les vagabonds vous obsèdent de leurs politesses; les mendiants vous mettent au supplice avec leur air misérable et leurs lamentations, mais un supplice bien plus cruel encore, c'est le vêtement incommode, l'étroit habit à taille de guêpe, le col cravate tout roide, et ces hautes tours babyloniennes en guise de chapeaux.

MAC-GRÉGOR.

J'en apprécie mieux mon plaid et ma toque. Vous avez bien fait de renoncer à ces vêtements de fous. Un Douglas doit être écossais par l'habit comme par l'âme, et mon cœur aujourd'hui bondit de joie, quand je vous vois tous dans notre cher costume national,

MARIE.

Parlez-moi de votre voyage, Douglas.

DOUGLAS.

J'allai en voiture jusqu'à la frontière écossaise: Cette façon de voyager était pour moi trop lente:

A Old-Jedburgh, je pris un cheval. Je lui donnai de l'éperon, mais j'étais aiguillonné moi-même par les élans de mon cœur. Je ne pensais qu'à vous, Marie, et rapide comme la flèche, à travers bois, à travers monts et plaines, je faisais voler mon cheval. Dans la forêt d'Inverness peu s'en fallut qu'il ne m'arrivât malheur; tandis que je chevauchais, plongé dans mes pensées, piff! paff! je fus éveillé de mes songes par les balles qui me sifflaient aux oreilles; trois brigands se précipitèrent sur moi, la lutte commença. Il pleuvait des coups. Je sus défendre ma vie, mais j'aurais succombé à la fin... Oh! malheur! Marie est toute pâle, elle chancelle, elle tombe...

Marguerite s'élance et soutient dans ses bras Marie évanotiie.

MARGUERITE.

Oh! malheur! ma jolie poupée rose est pâle comme la craie et froide comme la pierre. Oh! malheur!

Moitié chantant, moitié parlant et caressant Marie.

« Poupée mignonne, petite poupée à moi, ouvre tes jolis yeux.

>>>Petite poupée si fine, je ne veux pas que tu sois froide comme le marbre.

» Je sèmerai des reflets roses sur tes blanches

joues. »

MAC-GREGOR.

Tais-toi, folle! avec ton langage insensé, tu troubles encore plus sa tête malade...

MARGUERITE, le menaçant du doigt.

Toi? toi? c'est toi qui veux gronder? lave d'abord tes mains, tes mains rouges; tu vas tacher de sang la blanche robe de noces de la petite poupée. Vat'en, je te donne un bon conseil.

MAC-GRÉGOR, d'un ton inquiet.

La vieille folle extravague!

MARGUERITE, chantant.

<< Poupée mignonne, petite poupée à moi. »

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MARIE, reprenant ses sens et s'appuyant sur Marguerite.
Continuez le récit de l'aventure. J'écoute.

DOUGLAS.

Je suis désolé que ce récit... Voici pourtant la fin. Un autre cavalier s'élança au milieu de nous, tomba sur le dos des brigands, et les chargea vigoureusement à grands coups d'estoc. Moi-même, animé d'un nouveau courage, je jouai plus librement de l'épée. Nous mimes ces chiens en fuite. Je voulais

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