Page images
PDF
EPUB

vant y réussir, il est revenu en Écosse, où il vit avec les bandits de la forêt, et c'est depuis ce moment que les fiancés de la fille de Mac-Gregor, le matin du jour fixé pour le mariage, sont égorgés par lui au Schwarzenstein. Ce n'est pourtant pas un assassin que ce Ratcliff; Macdonald et Duncan ont été tués en duel, l'amoureux de Maria les avait provoqués loyalement, et loyalement les a vaincus. Non, ce n'est pas un bandit, c'est un possédé. Il ne s'appartient pas. Son amour et son bras ne sont que des instruments au service d'une puissance occulte. Deux esprits, deux spectres, avec une force irrésistible, l'avaient poussé naguère chez MacGregor et avaient livré son cœur à Maria; quand il s'éloignait de Londres subitement pour revenir en Écosse près du château du laird, les spectres l'entraînaient à cheval; quand il frappait Macdonald et Duncan auprès du Schwarzenstein, les spectres combattaient à ses côtés. Ces fantômes qui ne le quittent point, ces figures désolées, irritées, qui sans cesse tendent les bras l'un vers l'autre sans

pouvoir jamais se réunir, ce sont les âmes de Betty, la mère de Maria, et d'Édouard Ratcliff, le père de William. Édouard et Betty s'aimaient; un dépit amoureux les sépara, William épousa une femme qu'il n'aimait pas, et Betty devint la femme de MacGregor. Ils se revirent, il s'aimèrent comme avant, si bien que Mac-Gregor, dans les transports de sa jalousie, ne recula pas devant l'idée du meurtre. Édouard, comme une âme en peine, rôdait souvent autour du château; un matin on trouva son cadavre au pied des murailles. Inutile d'ajouter que Betty mourut de désespoir. Vingt ans se sont passés depuis cette aventure; aujourd'hui, pour la punition de Mac-Gregor, l'âme d'Édouard et celle de Betty revivent chez William et Maria.

Les drames fatalistes (Schicksals-dramen) étaient fort à la mode vers 1820, grâce aux Houwald et aux Müllner; Henri Heine, qui estimait peu cette dramaturgie grossière, est-il parvenu à la relever, comme il l'espérait, en y introduisant le romantisme poétique? Il suffit pour en juger de résumer la

pièce en quelques mots. Quand le drame commence, un troisième prétendant, le comte Douglas, vient d'épouser la fille de Mac-Gregor. On pense bien que celui-ci avait pris toutes les précautions nécessaires pour détourner de son futur gendre le sort de Duncan et de Macdonald. Des éclaireurs surveillaient les avenues de la forêt voisine, et le château était bien gardé. Déjà Mac-Gregor se félicite d'avoir sauvé le fiancé de sa fille, et comme il ne craint plus que Douglas par intrépidité s'élance lui-même au-devant du péril, il lui raconte une partie de la tragique histoire dont nous venons de parler, le double meurtre de Macdonald et de Duncan au pied du Schwarzenstein. A ce moment-là même, Douglas reçoit un billet signé d'un main inconnue; quelqu'un l'attend au pied du Schwarzenstein pour mesurer son épée avec la sienne. Il part, impatient de venger les deux victimes. Cette fois, en effet, c'est William Ratcliff qui est vaincu. Les spectres qui l'assistaient naguère ne sont plus là pour diriger son bras, et au contraire les fantômes de Duncan et

de Macdonald, l'épée en main, l'assaillent de droite. et de gauche pendant que Douglas l'attaque en face. William tombe, et Douglas retourne au château ; mais le soir, après la fête, à l'heure où la nouvelle épousée rentre dans la chambre nuptiale, William arrive, éperdu, ruisselant de sang et protégé de nouveau par les spectres. Une force irrésistible pousse Maria sur son cœur. Tantôt elle panse ses blessures en les couvrant de baisers, tantôt elle a horreur de ce qu'elle fait et veut s'arracher aux embrassements de William. Vains efforts! la mystérieuse puissance qui les domine tous deux les réunit toujours. Enfin, sachant que William Ratcliff a été vu dans le château, Mac-Gregor accourt transporté de rage; William se bat avec l'assassin de son père et l'étend mort à ses pieds, puis il se tue lui-même avec Maria. Lorsque Douglas arrive, il ne voit plus que des cadavres : tous les acteurs de ce sanglant imbroglio ont disparu. Il reste seulement une vieille folle, témoin jadis de l'assassinat d'Édouard, et chargée d'expliquer au milieu de ses divagations le

lien qui unit le crime du passé aux sauvages fureurs

du présent.

Sur cette trame noire et embrouillée, Henri Heine a beau jeter toutes les couleurs de sa poésie, il ne réussit point à sauver un système faux ; le dramc fataliste était condamné à mourir. Le Vingt-quatre Février, de Zacharias Werner, était plus nettement conçu, plus dramatiquement enchainé; William Ratcliff est plus poétique, plus idéal. Ce sont pourtant des œuvres de même famille, et le fatalisme de l'amour comme celui du crime révèle le profond chaos que traversait alors la scène allemande. La première édition de William Ratcliff contenait une dédicace en vers où l'auteur s'adresse en ces termes à son ami Rodolphe Christiani : « D'une main puissante j'ai forcé les portes de fer du sombre royaume des esprits, et là j'ai brisé les sept sceaux mysté– rieux du livre rouge de l'amour; ce que j'ai vu dans les pages éternelles, je le retrace dans le miroir de ce poëme. Mon nom et moi, nous mourrons ; mais ce poëme vivra éternellement. » L'auteur se

« PreviousContinue »