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nous rêvons pour lui une carrière poétique non pas plus brillante, plus originale, mais plus pure, plus unie, où il y ait moins de contradictions et de mélange. Ses amis, en public ou à voix basse, ont formé toujours ce même vou. N'est-ce pas là précisément ce que son vieux maître exprimait à sa manière dans ces strophes que Henri Heine ne pouvait relire sans émotion : « Prends garde, prends garde de jouer avec les serpents! >>

SAINT-RENÉ TAILLANDIER.

ALMANSOR

TRAGÉDIE

Ne croyez pas qu'il soit absolument fantasque, le joli poëme que je vous offre d'un main amie! écoutez : il est tour à tour épique avec sérénité ou dramatique avec violence. Çà et là, dans le détail, s'épanouit mainte fleur lyrique aux corolles délicates. Si le fond est romantique, plastique est la forme, et le tout est sorti du cœur. On y voit aux prises chrétiens et musulmans, le nord avec le sud; à la fin paraît l'amour qui vient tout apaiser.

ALMANSOR

Intérieur d'un vieux château mauresque délabré. Par les fenêtres latérales, tombent les rayons du soleil couchant.

ALMANSOR.

C'est encore l'ancien parquet cher à mon souvenir, le tapis bien connu, le tapis brodé de mille couleurs où marcha le pied sacré des aïeux! maintenant les vers en rongent les fleurs de soie, comme s'ils étaient les alliés des Espagnols. Ce sont encore les vieilles colonnes fidèles, fiers soutiens de marbre de la fière maison, où je m'appuyai tant de fois, lorsque j'étais enfant. Oh! pourquoi nos Gomèles, nos Ganzuls, et les Abencerrages, et les hautains Zégris, n'ont-ils pas soutenu aussi fidèlement le trône du roi dans l'Alhambra splendide? Ce sont encore les bonnes vieilles murailles. avec leurs bois

polis, leurs élégantes peintures, qui toujours donnaient asile au voyageur fatigué. Elles sont restées hospitalières, les bonnes murailles, mais elles n'ont plus pour hôtes que les hibous et les vautours. (11 va vers la fenêtre.) Personne, nul mouvement. Toi seul, ô soleil, tu m'as entendu; compâtissant à ma peine, tu m'envoies tes derniers rayons et tu répands ta clarté sur mon sombre chemin. O bienfaisant soleil, écoute mes paroles reconnaissantes: toi aussi, enfuis-toi vers les côtes du pays des Maures et vers les plaines éternellement heureuses de l'Arabie. Oh! crains don Fernand et ses conseillers, qui ont juré une haine implacable à toute belle lumière. Crains doña Isabelle, Isabelle l'orgueilleuse, qui, tout étincelante du feu de ses diamants, prétend briller toute seule, quand elle aura fait la nuit autour d'elle. Oh! fuis cette mauvaise terre d'Espagne où s'est déjà éteinte ta sœur, ô soleil, l'éblouissante Grenade aux tours d'or! (S'éloignant de la fenêtre.) Mon cœur est oppressé comme si le disque enflammé du soleil couchant s'était roulé sur cette pauvre et faible poitrine. Mon corps est comme une braise qui tombe en cendres brûlantes et le sol se dérobe sous mes pas. Ah! tout est si doux pour moi dans

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