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SERMON

POUR LA PROFESSION

DE M.ME DE LA VALLIÈRE,

DUCHESSE DE VAUJOUR,

PRÊCHÉ DEVANT LA REINE, LE 4 JUIN 1675 (*).

Spectacle admirable que Dieu nous présente dans le renouvellement des cœurs. Deux amours opposés, qui font tout dans les hommes. Attentat et chute funeste de l'ame qui a voulu, comme Dieu, être à elle-même sa félicité. De quelle manière, touchée de Dieu, elle commence à revenir sur ses pas, et abandonne peu à peu tout ce qu'elle aimoit, pour ne se réserver plus que Dieu seul. Cette vie pénitente et détachée, montrée très-possible par l'exemple de madame de LA VALLIÈRE. Réponse que Dieu fait aux raisons que les mondains allèguent pour se dispenser de l'embrasser.

Et dixit qui sedebat in throno: Ecce nova facio omnia. Et celui qui étoit assis sur le trône a dit: Je renouvelle toutes choses. Apoc. xxi. 5.

Ce sera sans doute un grand spectacle, quand celui qui est assis sur le trône, d'où relève tout l'univers, et à qui il ne coûte pas plus à faire qu'à dire, parce

(*) Ce Discours avoit été imprimé sans l'aveu de Bossuet, d'après une copie fautive. D. Déforis l'a corrigé sur le manuscrit original, qui lui a fourni des additions et changemens assez considérables. Nous nous y sommes conformés. (Edit. de Versailles.)

qu'il fait tout ce qui lui plaît par sa seule parole, prononcera du haut de son trône, à la fin des siècles, qu'il va renouveler toutes choses; et qu'en même temps on verra toute la nature changée faire paroître un monde nouveau pour les élus. Mais quand, pour nous préparer à ces nouveautés surprenantes du siècle futur, il agit secrètement dans les cœurs par son Saint-Esprit, qu'il les change, qu'il les renouvelle; et que, les remuant jusqu'au fond, il leur inspire des désirs jusqu'alors inconnus; ce changement n'est ni moins nouveau ni moins admirable. Et certainement, chrétiens, il n'y a rien de plus merveilleux que ces changemens. Qu'avons-nous vu, et que voyons-nous? quel état, et quel état? Je n'ai pas besoin de parler, les choses parlent assez d'elles-mêmes. Madame, voici un objet digne de la présence et

des

yeux d'une si pieuse reine. Votre Majesté ne vient pas ici pour apporter les pompes mondaines dans la solitude: son humilité la sollicite à venir prendre part aux abaissemens de la vie religieuse; et il est juste que faisant par votre état une partie si considérable des grandeurs du monde, vous assistiez quelquefois aux cérémonies où on apprend à les mépriser. Admirez donc avec nous ces grands changemens de la main de Dieu. Il n'y a plus rien ici de l'ancienne forme, tout est changé au dehors: ce qui se fait au dedans est encore plus nouveau: et moi, pour célébrer ces nouveautés saintes, je romps un silence de tant d'années, je fais entendre une voix que les chaires ne connoissent plus.

Afin donc que tout soit nouveau dans cette pieuse cérémonie, ô Dieu, donnez-moi encore ce style

nouveau du Saint-Esprit, qui commence à faire sentir sa force toute-puissante (*) dans la bouche des apôtres. Que je prêche comme un saint Pierre la gloire de Jésus-Christ crucifié : que je fasse voir au monde ingrat avec quelle impiété il le crucifie encore tous les jours. Que je crucifie le monde à son tour; que j'en efface tous les traits et toute la gloire; que je l'ensevelisse, que je l'enterre avec Jésus-Christ; enfin que je fasse voir que tout est mort, et qu'il n'y a que Jésus-Christ qui vit.

Mes Sœurs, demandez pour moi cette grâce: ce sont les auditeurs qui font les prédicateurs ; et Dieu donne, par ses ministres, des enseignemens convenables aux saintes dispositions de ceux qui écoutent. Faites donc, par vos prières, le discours qui doit vous instruire; et obtenez-moi les lumières du Saint-Esprit, par l'intercession de la sainte Vierge : Ave, Maria.

Nous ne devons pas être curieux de connoître distinctement ces nouveautés merveilleuses du siècle futur comme Dieu les fera sans nous, nous devons nous en reposer sur sa puissance et sur sa sagesse. Mais il n'en est pas de même des nouveautés saintes qu'il opère au fond de nos cœurs. Il est écrit: «< Je » vous donnerai un cœur nouveau (1)»; et il est écrit: «< Faites-vous un cœur nouveau (2) » : de sorte que ce cœur nouveau qui nous est donné, c'est nous aussi qui le devons faire; et comme nous devons y concourir par le mouvement de nos volontés, il faut que ce mouvement soit prévenu par la connoissance.

(*) C'étoit la troisième fête de la Pentecôte. (1) Ezech. XXXVI. 26. ➡ (2) Ibid. xv. 31.

Considérons donc, chrétiens, quelle est cette nouveauté des cœurs, et quel est l'état ancien d'où le Saint-Esprit nous tire. Qu'y a-t-il de plus ancien que de s'aimer soi-même, et qu'y a-t-il de plus nouveau que d'être soi-même son persécuteur? Mais celui qui se persécute lui-même doit avoir vu quelque chose qu'il aime plus que lui-même : de sorte qu'il y a deux amours qui font ici toutes choses. Saint Augustin les définit par ces paroles: Amor suí usque ad contemptum Dei; amor Dei usque ad contemptum sut (1): l'un est « l'amour de soi-même >> poussé jusqu'au mépris de Dieu »; c'est ce qui fait la vie ancienne et la vie du monde : l'autre est « l'a>> mour de Dieu poussé jusqu'au mépris de soi>> même » ; c'est ce qui fait la vie nouvelle du christianisme; et ce qui, étant porté à sa perfection, fait la vie religieuse. Ces deux amours opposés feront tout le sujet de ce discours.

Mais, prenez bien garde, Messieurs, qu'il faut ici observer plus que jamais le précepte que nous donne l'Ecclésiastique. «< Le sage qui entend, dit-il (2), une » parole sensée, la loue, et se l'applique à lui» même » : il ne regarde pas à droite et à gauche, à qui elle peut convenir; il se l'applique à lui-même, et il en fait son profit. Ma Sœur, parmi les choses que j'ai à dire, vous saurez bien démêler ce qui vous est propre. Faites- en de même, chrétiens; suivez avec moi l'amour de soi-même dans tous ses excès, et voyez jusqu'à quel point il vous a gagnés par ses douceurs dangereuses. Considéréz ensuite une ame

(1) De Civ. Dei, lib. xiv, cap. xxviii; t. vii, col. 378. · (2) Eccli.

XXI. 18.

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qui, après s'être ainsi égarée, commence à revenir sur ses pas; qui abandonne peu à peu tout ce qu'elle aimoit, et qui laissant enfin tout au-dessous d'elle, ne se réserve plus que Dieu seul. Suivez-la dans tous les pas qu'elle fait pour retourner à lui, et voyez si vous avez fait quelque progrès dans cette voie; voilà ce que vous aurez à considérer. Entrons d'abord au fond de notre matière; je ne veux pas vous tenir long-temps en suspens.

PREMIER POINT.

L'HOMME, que vous voyez si attaché à lui-même par son amour-propre, n'a pas été créé avec ce défaut. Dans son origine, Dieu l'avoit fait à son image: et ce nom d'image lui doit faire entendre qu'il n'étoit point pour lui-même; une image est toute faite pour son original. Si un portrait pouvoit tout d'un coup devenir animé, comme il ne se verroit aucun trait qui ne se rapportât à celui qu'il représente, il ne vivroit que pour lui seul, et ne respireroit que sa gloire. Et toutefois ces portraits que nous animons, se trouveroient obligés à partager leur amour entre les originaux qu'ils représentent, et le peintre qui les a faits. Mais nous ne sommes point dans cette peine nous sommes les images de notre auteur, et celui qui nous a faits nous a faits aussi à sa ressemblance: ainsi en toute manière nous nous devons à lui seul, et c'est à lui seul que notre ame doit être attachée.

En effet, quoique cette ame soit défigurée, quoique cette image de Dieu soit comme effacée par le péché, si nous en cherchons bien tous les anciens

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