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Quoi qu'il en soit le rôle du Président est très important. Il devrait même l'être davantage. Dans notre démocratie moderne, éprise de sa souveraineté, beaucoup ne se font plus une idée rationnelle de ce que devrait être le pouvoir exécutif.

Thouret, dans son rapport du 13 août 1791, disait, justement : « Quand, après un long despotisme, une nation s'éveille et se constitue, son principal ennemi, dans cette situation, est alors le pouvoir exécutif, parce que c'est lui qui est corrompu, c'est lui qui a opprimé et que c'est contre lui, non pas pour l'anéantir, mais pour le faire rentrer et le contenir, à l'avenir, dans ses justes bornes, que la Révolution a lieu et que le travail de la régénération se fait. Mais quand la Révolution est finie, quand il s'agit, après avoir détruit, de rebâtir, quand il s'agit d'établir une Constitution d'où doit résulter un véritable gouvernement, nous avons cru que c'était une erreur profonde, que de traiter le pouvoir exécutif en ennemi de la chose publique et de la liberté nationale. Est-ce que le pouvoir exécutif n'est pas le pouvoir de la nation, émanant d'elle comme le pouvoir législatif ? Il y a, dans le pouvoir législatif, d'une part, et dans le pouvoir exécutif, de l'autre, les deux pièces fondamentales de l'organisation politique: elles doivent concourir, s'entr'aider et se justifier mutuellement. Ennemies nécessaires pendant le mouvement révolutionnaire, elles sont nécessairement amies dans la théorie d'une Constitution; et la Révolution ne

mais une inviolabilité intermittente, qui commence aujourd'hui et doit finir demain, qui s'adresse tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, a quelque chose qui fait sourire » Revue des Deux-Mondes du 5 avril 1894.

Pourtant, M. de Broglie ne contesterait pas sérieusement que la maxime : « Le roi règne et ne gouverne pas », est la seule possible aujourd'hui. M. de Laveleye n'a-t-il pas raison de dire à ce point de vue, que les fonctions de roi consistent, de nos jours, non à faire usage de sa volonté, mais à en faire le sacrifice ? V. Le gouvernement de la démocratie.

Nous concédons toutefois à M. de Broglie, que le gouvernement réel, appartenant, avec la responsabilité, au chef du Conseil des ministres, le président, quoique nous le répétons, il ait son action propre et une responsabilité personnelle, a un rôle qui peut être relativement effacé. Il n'en a pas moins les attributs géné raux de la souveraineté constitutionnelle.

On admettait, sous l'Empire, qu'il y avait deux autorités compétant à l'Empereur, savoir : l'autorité constitutionnelle et l'autorité impériale. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire les définitions de Chassan : « L'autorité constitutionnelle de l'Empereur est la force morale, qui commande le respect des actes du souverain, comme expression du grand principe d'autorité. L'autorité impériale est cette force ou puissance extérieure et physique qui, par la contrainte légale, maintient l'ordre public, assure la protection et le droit de chacun de nous, fait que force reste à la loi, et réalise, dans la vie nationale, l'exercice du pouvoir exécutif, administratif et judiciaire ». Chassan, t. II, p. 220.

Tous ces derniers caractères de l'autorité impériale, nous les retrouvons aux mains du président de la République.

peut pas être achevée, tant qu'on ne les a pas instituées de manière à pouvoir collaborer fraternellement ».

La patiente énergie du chef de l'Etat républicain peut, beaucoup, pour la solidité de la République et la sagesse de la démocratie (1).

268. Ce qui est incontestable, c'est que les adversaires de la République ont attaqué les présidents successifs, avec une violence et une mauvaise foi insignes. Les ignobles offenses qui s'étalent tous les jours dans certains journaux, dans des publications grossières, ont trouvé leur écho dans la rue. Les incidents, d'Auteuil, de Versailles, ont été le prolongement naturel des excès de presse.

La Cour de cassation a décidé, avec raison, que les outrages proférés

(1) M. Poincaré en parlant de M. Carnot, dans un discours du 9 septembre 1895, a bien défini la fonction du président de la République :

« M. Carnot qui avait une aussi claire conception de ses devoirs présidentiels, avait naturellement une notion non moins exacte de ses droits et de ses prérogatives. Il n'aurait consenti à rien abdiquer de l'autorité qu'il tenait de la Constitution. Il exerçait cette autorité avec un tact supérieur, avec un souci délicat des responsabilités ministérielles, avec un respect inné de la souveraineté nationale. Mais son attitude, pour être discrète, n'était jamais effacée. Dans les conseils de gouvernement, il tenait son rang avec un admirable dignité. Il dirigeait les délibérations; il exprimait, en un langage très sobre, des avis très éclairés ; il maintenait fermement entre les cabinets successifs les traditions essentielles ; il représentait vis-à-vis des ministres qui passent, ce qu'il doit y avoir de commun entre les différentes fractions d'un parti et entre même des partis différents : ce qu'il doit y avoir de durable dans l'étude des intérêts les plus mobiles; ce qu'il doit y avoir de permanent et d'indestructible, dans la politique générale d'une grande nation.

<< Dans les questions qui touchaient au crédit de la France, dans celles qui concernaient la réorganisation militaire, dans celles surtout qui intéressaient les relations internationales, il énonçait des opinions si sages, si réfléchies, si visiblement dictées par l'amour du pays, qu'elles s'imposaient d'elles-mêmes et sans difficultés aux esprits les plus divers.

<«< On sentait que la patrie était pour lui comme un être vivant dont il aurait eu la garde. Elle était là, toujours présente à sa pensée et, quand il parlait, il semblait parfois que ce fût elle qui parlât par sa bouche. Lorsque trompé par cette sorte de réfraction qui fausse trop souvent la vision parlementaire, un ministre se méprenait sur le véritable tracé du devoir, il trouvait, très simplement, pour le ramener à la juste appréciation des choses, des raisons puisées dans les enseignements de l'histoire et dans les profondeurs de la vie nationale. Il dépouillait des mesquineries qui les peuvent encombrer, les hautes questions qui exigent l'examen clairvoyant d'un patriotisme résolu ; il s'élevait, au-dessus des obscurités momentanées, jusqu'aux régions sereines où la vue embrasse l'évolution séculaire du pays et perçoit ses lointaines destinées.

« Peut-être, ici encore, n'est-ce qu'après sa mort qu'on s'est nettement rendu compte de la place tenue par ce républicain dans l'Europe monarchique. Non seulement la France était, sous ses auspices, sortie de l'isolement, dans lequel depuis la guerre, elle était reléguée; non seulement elle avait gagné de précieuses amitiés par la sincérité de ses intentions pacifiques, mais elle avait grand dans l'estime de ses rivaux et dans le respect du monde civilisé »,

contre le président de la République, dans les rues, sur les places publiques, au moment de son passage, tombaient sous l'application des articles 222, 223 du Code pénal et devenaient ainsi justiciables de la police correctionnelle (1).

Mais les invectives d'une presse immonde, sans retenue et sans pudeur n'ont fait qu'augmenter. Leur nombre même est un gage d'impunité parce qu'on ne saurait tout poursuivre. Il y a, du reste, dans la loi une lacune grave au sujet du droit de saisie et de confiscation (2).

Ce sont, tantôt les socialistes révolutionnaires (3); tantôt les royalistes, les bonapartistes, tantôt les nationalistes, qui jettent la boue sur les chefs de l'Etat républicain. La mesure est devenue comble.

Aussi, quels que soient les dangers graves de la correctionnalisation du délit d'offenses, nous n'hésitons pas à nous rallier à cette réforme. Par cela même que les fonctions du président de la République n'ont qu'une durée de sept années, il importe de le protéger efficacement.

269. Un point essentiel, c'est que le président de la République qui a cessé ses fonctions, d'une façon quelconque, n'est plus protégé

(1) V. n°334.

(2) Aussi dans sa proposition de loi du 7 juin 1900, adoptée par le Sénat.M. Joseph Fabre ajoute que :

« Dans le cas de condamnation, la confiscation pourra s'ajouter à la saisie, conformément aux texte de l'article 49.

« Cet article 49 ne vise que les écrits ou imprimés, placards ou affiches.Il a paru nécessaire de rétablir dans son énumération les dessins, plus que jamais facilités répandus et convertis en armes de combat».

(3) Dans la lettre de démission de M. Casimir Périer, en date du 15 janvier 1895 on lit : « Depuis six mois se poursuit une campagne de diffamation et d'injures contre l'armée, la magistrature, le Parlement, le chef irresponsable de l'Etat, et cette liberté de souffler les haines sociales continue à être appelée la liberté de penser. Le respect et l'ambition que j'ai pour mon pays ne me permettent pas d'admettre qu'on puisse insulter, chaque jour, les meilleurs serviteurs de la patrie et celui qui la représente aux yeux de l'étranger. Je ne me résigne pas à comparer le poids des responsabilités morales qui pèsent sur moi et l'impuissance à laquelle je suis condamné. Peut-être me comprendra-t-on si j'affirme que les fictions constitutionnelles ne peuvent faire taire les exigences de la conscience politique; peut-être, en me démettant de mes fonctions, aurai-je tracé leur devoir à ceux qui ont le souci de la dignité du pouvoir et du bon renom de la France dans le monde.

<«<Invariablement fidèle à moi-même, je demeure convaincu que les réfomes ne se feront qu'avec le concours actif d'un gouvernement résolu à assurer le respect des lois, à se faire obéir de ses subordonnés et à les grouper tous dans une action commune pour une œuvre commune. J'ai foi, malgré les tristesses de l'heure présente, dans un avenir de progrès et de justice sociale. »>

par l'article 26. Il n'a d'autres moyens d'action, que ceux qui sont conférés par les textes sur la diffamation et l'injure (1). D'autre part, il doit être traité, au point de vue de la preuve, comme un fonctionnaire public.

La publicité requise pour l'offense, est celle qu'indiquent les articles 23 et 28 (2).

L'article 86 du Code pénal étant abrogé, l'offense par gestes n'est pas punissable, sauf quand elle se produit en présence du président (article 223 du Code pénal) (3).

Le ministère public peut poursuivre d'office.

Pendant son exercice, le président de la République est protégé contre les diffamations par cartes postales ou télégrammes, par la loi du 14 juin 1887.

Quant à la sûreté personnelle, à l'existence, à la vie du président, nous estimons que les garanties de droit commun sont insuffisantes. Les présidents de République : Lincoln, Garfield, Carnot, ne peuvent être traités comme de simples particuliers. Trop d'intérêts se rattachent à leur titre de chef d'Etat, pour que cette assimilation soit possible.

Nous voudrions que le simple complot contre la vie du chef de l'Etat, les attentats contre sa personne, puissent être déférés à la Haute-Cour de justice. Par suite de cette lacune de nos lois, on n'a pu poursuivre ceux qui, sans être complices, avaient résolu avec Caserio, de tuer le président Carnot.

(1) C., 24 mai 1879. Garraud, t. II,no 345 in fine. Chauveau. t. I, no 288. Parnat. p. 350. De Grattier, t. I, p. 467. Cpr. Paris, 12 septembre 1834. V. cepend. C. 24 avril 1823.

(2) V. no 34, 35, 56. Cpr. no 36, notes.

Ainsi il n'y aurait pas publicité si des discours offensants étaient tenus dans un diner de société, servi dans un lieu non public. Colmar, 24 janvier 1816.

Ou si un écrit offensant était remis confidentiellement et sans publicité. C., 14 mai 1854.

(3) Boitard et Garraud. V. no 334.

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