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ces fleurs, tous ces chants, et qui même dans l'âme

d'Almansor a dissipé les ténèbres.

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ZULEIMA.

Ne te fie pas aux fleurs qui te font ici des signes, ne te fie pas aux chants qui t'attirent en ces lieux. Ces signes, ces séductions, c'est pour te conduire à la mort.

ALMANSOR.

Ah! que personne ne cherche à m'éloigner! futce la mort, je ne reculerais pas. Je suis bien ici, oh! si familièrement bien ! de toutes parts se lèvent les songes dorés de mon enfance! Voici le jardin où j'aimais à jouer, voici les fleurs qui me faisaient de si gentilles mines, voici le chanteur aux ailes de feu qui me saluait chaque matin. Mais dis-moi, ma bienaimée, le myrte n'est plus là; à l'endroit où il s'élevait jadis, c'est bien un cyprès que j'aperçois ?

ZULEIMA.

Le myrthe est mort et sur le tombeau du myrte on a planté le triste cyprès.

ALMANSOR.

Je vois encore le berceau de jasmin et de chèvrefeuille où nous nous racontions les jolies histoires de Modschnoun et de Leïla, le délire de Modsch

noun, la tendresse de Leila, leur amour et leur mort à tous deux. Voici encore le figuier chéri avec les fruits duquel tu récompensais mes contes. Voici le raisin et les pastèques qui nous rafraîchissaient quand nous avions causé longtemps... Mais, dis, ma bien-aimée, je ne vois pas le grenadier où le rossignol se posa un jour et chanta sa plainte amoureuse à la rose rouge.

ZULEIMA.

La rose rouge a été effeuillée par l'orage, le rossignol est mort avec son chant, et des haches cruelles ont abattu le noble tronc du grenadier en fleurs.

ALMANSOR.

Que je me sens bien ici! mon pied est solidement attaché à cette terre chérie, comme par des chaînes secrètes. Je suis captif dans les cercles enchantés que tu as tracés autour de moi, ma belle fée. Les brises parfumées me caressent d'un souffle ami, les fleurs parlent, les arbres chantent, des images connues sortent en dansant du milieu des charmilles... (I aperçoit l'image du Christ, et fait un mouvement de surprise.) Mais dis-moi, ma bien-aimée, il y a là une image étrangère, une image qui me regarde... oh! avec quelle douceur et pourtant aussi avec quelle tris

tesse ! une larme amère tombe de ses yeux dans le beau calice d'or de ma joie.

ZULEIMA.

Ne connais-tu donc pas cette sainte image, Almansor? ne l'as-tu jamais aperçue en des rêves de béatitude? jamais, pendant tes veilles, ne l'as-tu rencontrée sur ton chemin? souviens-toi bien, ô mon frère égaré !

ALMANSOR,

Oui, je l'ai déjà rencontrée sur mon chemin, cette image, le jour où je revins en Espagne. Sur la gauche de la route qui conduit à Xérès, s'élève magnifiquement une mosquée splendide; mais là où le Muezzin criait du haut de la tour: « Il n'y a qu'un Dieu et Mahomet est son prophète. » On entendait le sourd retentissement des cloches dans les airs ébranlés. Je n'étais encore que sur le seuil et déjà roulait sur moi un sombre torrent de sons d'orgue impétueux qui mugissait avec force, et pareils à la noire liqueur dans le chaudron embrasé du magicien, jetaient en coulant des flots de fumée. Ces accents gigantesques m'attiraient dans l'intérieur de l'édifice comme avec de longs bras, et s'enroulaient autour de mes membres ainsi que des serpents, et

pénétraient dans ma poitrine, et me perçaient de part en part,... j'aurais dit que le mont Kaff pesait sur mon corps, et que le bec de Simourgh me picotait le cœur. Quand j'entrai, j'entendis, pareils à un chant de mort, les accents voilés de personnages étranges, visages sévères, têtes chauves, avec de larges robes chamarrées de fleurs, et les voix argentines de jeunes garçons vêtus de blanc et de rouge, qui de temps en temps faisaient retentir de petites sonnettes et balançaient de brillants encensoirs d'où jaillissait la fumée. Des milliers de lumières jetaient leurs reflets sur toutes ces scintillations, sur toutes ces paillettes d'or, et partout où se dirigeaient mes regards, partout, dans chaque niche, j'apercevais la même image que je retrouve ici. Partout aussi, elle était triste et pâle de douleur, la face de l'homme que représente cette image. Tantôt, on le flagellait cruellement à coups de lanières, tantôt il tombait affaissé sous la croix; plus loin on lui crachait insolemment au visage, on mettait à ses tempes une couronne d'épines, on le clouait sur la croix, et d'une lance aiguë on lui perçait le flanc... du sang, du sang, il y avait du sang sur toutes ces images. Je vis encore une femme désolée

qui tenait sur ses genoux le cadavre décharné du martyr, tout jaune, tout nu, sillonné d'un sang noir... soudain j'entendis une voix perçante et sonore qui disait : « Ceci est son sang. » Tournant alors mes yeux de ce côté, je vis... (il frissonne) je vis! le prêtre qui vidait un calice.

ZULEIMA.

C'est dans la maison de l'amour que ton pied est entré, Almansor, mais le voile de la cécité couvrait encore tes paupières. Tu devais regretter ces joyeux reflets qui folâtrent gaiement dans les vieux temples païens, et cette commodité vulgaire qui règne dans les salles mornes où prie le musulman. L'amour s'est choisi sur cette terre une demeure plus sérieuse et meilleure. C'est là que les enfants deviennent enfants. C'est là que les pauvres deviennent riches et que les riches trouvent la béatitude dans la pauvreté. C'est là que les heureux apprennent le prix de la douleur et que les affligés retrouvent la joie. Car l'amour lui-même a paru autrefois sur la terre sous les traits d'un pauvre enfant affligé. Son berceau était une crèche étroite dans une étable; un peu de paille jaune fut le seul coussin où reposa sa tête; et il fut obligé de s'enfuir comme un che

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