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vreuil timide, poursuivi par les sots et les docteurs. L'amour fut trahi, vendu pour de l'argent; il fut

outragé, flagellé, crucifié; mais les sept soupirs que l'amour poussa en mourant brisèrent les sept châteaux d'airain que Satan s'était construits devant les portes du ciel, et quand s'ouvrirent béantes les sept plaies de l'amour les sept cieux se rouvrirent aussitôt, accueillant pécheurs et fidèles. C'est l'amour que tu as vu comme un cadavre sur le sein maternel de la femme désolée. Oh! crois-moi : à ce cadavre glacé peut se réchauffer encore une humanité tout entière, de ce sang naissent de plus belles fleurs que n'en produisent les orgueilleux jardins d'Al-Raschid, et des yeux de cette femme désolée coule miraculeusement une huile de rose plus douce que n'en fourniront jamais toutes les roses de Schiraz. Toi aussi, Almansor ben Abdullah, tu as ta part de ce corps et de ce sang éternel; toi aussi, tu peux t'attabler au festin des anges, manger le pain et boire le vin de Dieu; toi aussi, tu peux habiter un jour le royaume des élus. Contre l'infernale puissance de Satan tu seras éternellement protégé, hôte éternel de Jésus-Christ, si tu manges son pain et si tu bois son vin.

ALMANSOR.

Tu as prononcé, Zuleima, le mot qui crée et qui soutient les mondes, tu as prononcé ce petit mot si grand: « l'amour! » des milliers d'anges le répètent avec allégresse et il retentit au fond des cieux. Tu as prononcé ce mot, et les nuées s'inclinent là-haut comme la coupole d'un dôme, les ormes frémissent comme des tuyaux d'orgues, les petits oiseaux gazouillent de pieux cantiques, le sol exhale la douce vapeur de l'encens, la corbeille de fleurs se dresse comme un autel... la terre seule est l'église de l'a

mour.

ZULEIMA.

La terre est un grand Golgotha; l'amour y triomphe, il est vrai, mais au prix de son sang.

ALMANSOR.

Oh! ne tresse pas les branches de myrte pour en faire une couronne de mort, n'enferme pas l'amour dans un crèpe de deuil. La prêtresse de l'amour, c'est toi, Zuleima; l'amour habite la cellule de ton cœur, il regarde par les claires fenêtres de tes yeux, son parfum s'exhale de tes douces lèvres... O coussins de pourpre aussi doux que le velours, lèvres charmantes, c'est sur vous que trône l'amour, c'est

sur vous que voudrait reposer l'âme d'Almansor... N'as-tu pas entendu les dernières paroles de Fatima: «Porte ce baiser à ma fille Zuleima! »

Ils se regardent longtemps avec tristesse, et s'embrasssent avec

transport.

ZULEIMA.

J'ai reçu le baiser de mort de Fatima; reçois en échange le baiser de vie du Christ.

ALMANSOR.

C'est le souffle de l'amour que j'ai bu dans une coupe garnie de rubis. C'est à une source de feu que j'ai trempé mes lèvres, et l'huile que j'y ai bue, coulant toute chaude dans mes veines, consume et rafraîchit mon cœur. (Il l'entoure de ses bras.) Je ne te quitterai plus, non, jamais plus, Zuleima! non, quand même le palais d'or d'Allah s'ouvrirait pour moi, quand les houris me feraient signe avec leurs yeux noirs, je ne te quitterais pas, je resterais près de toi, j'entourerais plus fortement de mes bras ton corps si doux. Que ton ciel seul, le ciel de Zuleima, soit aussi le ciel d'Almansor! Que ton Dieu soit mon Dieu! Que ta croix soit mon refuge! Que ton Christ soit mon sauveur! Je veux prier dans l'église où prie Zuleima.

Je nage enivré comme dans un océan d'amour, au milieu des sons suaves et mélodieux des harpes. Les arbres dansent de bizarres quadrilles. Les anges, pour me taquiner me jettent gentiment des rayons de soleil et de la poussière de fleurs. Le ciel est ouvert dans sa calme et radieuse splendeur. Des ailes d'or m'y emportent, là-haut, parmi les bienheureux !

On entend dans le lointain le tintement des cloches et un chant

d'église.

ZULEIMA, s'arrachant de ses bras avec effroi.

Jésus! Marie !

ALMANSOR.

Quel sombres accents viennent déchirer le voile d'or dont m'enveloppait légèrement ce rêve de béatitude? je te vois tout à coup pâlir, ma chérie; ma rose est devenue un lis... dis, ma-bien-aimée, as-tu donc vu la mort qui vient, invisible, pour nous séparer?

ZULEIMA.

La mort! elle ne sépare pas; la mort réunit. C'est la vie qui nous sépare violemment. Entends-tu, Almansor, ce que murmurent les cloches? (se couvrant de son voile) elles murmurent d'une voix sourde: «Zuleima se marie aujourd'hui avec un homme qui ne s'appelle pas Almansor. » - (Une pause.)

ALMANSOR.

Ainsi tu m'as sifflé dans le cœur ton plus mauvais venin, reine des serpents! Sous cette haleine empoisonnée les arbres se flétrissent alentour; la source d'eau vive se transforme en une source de sang, et l'oiseau tombe mort du haut des airs. Ainsi, par tes chants hypocrites, tu m'as amené dans cette chambre de torture que tu appelles l'église; là, tu me crucifies sur la croix de ton Dieu, puis, tout affairée, tirant les cordes des cloches et faisant retentir les orgues, tu veux couvrir par ce fracas la prière de repentir et d'angoisses que j'adresse à Allah! Ainsi, méchante fée, tu m'as attiré dans ton char de coquillages attelé de colombes, tu m'y as attiré et enlevé jusqu'aux nues, pour me précipiter du ciel sur la terre! J'entends encore en tombant tes éclats de rire moqueurs; en tombant je vois ton char magique se changer en un cercueil à roues de flamme et tes colombes en dragons; je te vois les conduire avec des serpents noirs au lieu de freins, et moi, vomissant des imprécations horribles, je roule, je roule au fond de l'enfer, et les diables même tremblent et pâlissent à l'aspect de mon délire, aux clameurs épouvantables de mon délire!

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