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XXXIV

Homme, ne te moque pas du diable. La vie est courte, et la damnation éternelle n'est pas une vaine imagination populaire.

Homme, compte tes dettes; la vie est longue, et plus d'une fois encore tu prendras à crédit comme tu l'as déjà fait si souvent.

XXXV

Les trois rois mages de l'Orient demandaient à chaque bourgade: « Eh! garçons et jeunes filles, où est le chemin de Bethlehem? »

Jeunes ou vieux, personne ne le savait. Les rois continuaient leur route; ils suivaient une étoile d'or à la lueur douce et sereine.

L'étoile s'arrêta sur la maison de Joseph. Ils y entrèrent. Le veau bêlait, l'enfant criait, les rois mages chantaient.

XXXVI

Mon enfant, nous étions enfants, deux enfants petits et joyeux; nous nous glissions dans le poulailler et nous nous cachions sous la paille.

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gens venaient à passer, ils croyaient que c'était le

cri du coq.

Il y avait des caisses dans la cour, nous les couvrions de tapisseries, et nous nous installions làdedans, nous y faisions une grande maison, et nous recevions.

La vieille chatte du voisin venait souvent nous faire visite; nous lui faisions toute sorte de courbettes et de compliments.

Nous lui demandions de ses nouvelles avec une sollicitude affectueuse; depuis, dans le monde, nous avons fait de même avec plus d'une vieille chatte.

Puis nous nous asseyions, nous parlions raisonnablement comme des gens graves, nous nous plaignions combien tout allait mieux de notre

temps!

L'amour, la loyauté, la foi, comme tout cela a disparu de la terre! et que le café est cher! et que l'argent est rare!

Les jeux de l'enfance sont passés, et tout roule et s'en va, l'argent, le monde, le temps, et la loyauté, et l'amour.

XXXVII

Mon cœur est oppressé, et je songe aux jours d'autrefois avec des regrets ardents. Le monde alors était une demeure si commode! la vie était si paisible!

Aujourd'hui quel désordre! quelle cohue! quelle misère! Le Seigneur Dieu est trépassé là-haut; làbas aussi, le diable est mort.

Et tout a un air triste et morose; tout est embrouillé, tout est flasque et froid. Sans le brin d'amour qui nous reste, il n'y aurait rien où le cœur pourrait se reposer.

XXXVIII

Comme la lune sort brillante de son noir crêpe de nuages! Ainsi du fond ténébreux de mes souvenirs s'élève à mes yeux une image lumineuse.

Nous étions assis sur le pont du navire, nous descendions fièrement le Rhin, et les rives du fleuve parées de la verdure de l'été étincelaient des feux du couchant.

J'étais assis pensif aux pieds d'une dame belle et charmante; sur son doux et pâle visage se jouait un rouge rayon, un rayon rouge du soleil.

Des luths résonnaient, des jeunes gens chantaient. O merveilleuse allégresse! Et le ciel devint plus bleu, et mon âme s'agrandit.

Devant nous, comme des apparitions fabuleuses, passaient les montagnes et les châteaux, les forêts et les prairies, et comme dans un miroir je voyais briller et se refléter tout cela dans les yeux de ma belle compagne.

XXXIX

Je vis en songe ma bien-aimée : c'était une pauvre femme accablée de tristesse, et son beau corps, si richement épanoui naguère, s'inclinait tout flétri.

Elle portait un enfant sur son bras, elle en conduisait un autre par la main; sa démarche, son regard, ses vêtements, tout trahissait la misère et l'angoisse.

Elle allait chancelant par la place du marché ; là, elle me rencontre, elle me regarde, et moi, d'une voix calme et attristée, je lui dis :

<< Viens dans mon logis; tu es pâle et malade; par mon zèle, par mon travail, je te procurerai de quo manger et te vêtir.

» Je veux aussi soigner et veiller les enfants qui

t'accompagnent mais toi d'abord, toi la première, ô pauvre et malheureuse enfant!

« Je ne te raconterai jamais que je t'ai aimée, et quand tu seras morte, j'irai pleurer sur ton tombeau. »

XL

Cher ami, à quoi bon chanter toujours la même chanson? Veux-tu donc éternellement demeurer là accroupi, couvant les vieux œufs de ton amour?

Ah? c'est une besogne qui ne finira jamais. Les petits poussins brisent leurs coques, ils piaulent, ils sautillent, et toi tu les mets en cage dans ton petit livre.

XLI

Ne soyez pas trop impatient, si parfois les accens de mes douleurs d'autrefois résonnent dans mes nouvelles chansons.

Attendez! il se dissipera, cet écho de mes douleurs, et un nouveau printemps de poésie jaillira de mon cœur convalescent.

XLII

L'heure est venue enfin de renoncer sagement

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