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vant elle,

cette figure-là, ce n'est que l'ombre froide de Zuleima, c'est une de ces marionnettes à qui on met des yeux de verre dans un visage de cire, et dont la poitrine vide se soulève et s'abaisse au moyen d'un ressort. Oh! malheur! voilà le drôle en habits de soie qui reparaît; il invite la marionnette à danser... Que les jolis yeux de verre lancent de doux rayons! comme l'aimable figure de cire s'anime en souriant! comme le beau sein à ressorts se soulève, se soulève! Le drôle touche de sa main grossière l'œuvre d'art élégante et fragile; il l'entoure d'un bras insolent et l'entraîne dans le flot tumultueux des danses effrénées! Ah! arrêtez, arrêtez! Esprits de mes douleurs, arrachez ce drôle des bras de Zuleima! Éclatez, éclatez, tonnerres de ma fureur! Écroulez-vous, murailles de ce château, et broyez en tombant la tête du profanateur!... » Nous avons entendu ces accents retentir avec plus d'art, avec plus de finesse dans les strophes du Livre des Chamts. C'est bizarre, c'est subtil, c'est puéril on ne saurait nier que ce soit poétique;

mais, folies charmantes ou puérilités sérieuses, tout cela n'est encore qu'un prélude. La grande mélodie, qui est l'âme de ce poëme, c'est le duo d'Almansor et de Zuleima.

La fête est finie; dames et cavaliers, en litière ou à cheval, sont sortis du château. Toutes les lumières sont éteintes; on n'en voit plus qu'une seule briller à une fenêtre sur laquelle sont attachés les yeux d'Almansor. Oh! qu'il la connaît bien, cette fenêtre! Pendant les nuits d'été, à cette même place, combien de fois il a fait résonner son luth, jusqu'à ce que la bien-aimée parût au balcon et lui répondit avec sa voix si douce! Précisément, - admirez comme le hasard sert bien les amants et les poëtes,

le luth se trouve encore là. Il le prend, il essaie si le mélodieux talisman n'a pas perdu son prestige, il chante une vieille chanson arabe; Zuleima l'entend et tressaille. La voici qui paraît au balcon de sa fenêtre elle reconnaît Almansor, elle l'interroge, elle écoute le récit de ses douleurs, elle évoque avec lui les souvenirs de son enfance, elle évo

que l'image de Fatima qui l'aima comme une mère, d'Abdullah qu'elle vénérait comme son père, et qu'elle a si cruellement affligé. Mais Abdallah lui a pardonné avant de descendre au tombeau, et voici Almansor qui vient en son nom se réconcilier avec elle. Se réconcilier? et l'obstacle qui les sépare? Almansor va-t-il se faire chrétien pour retrouver la fiancée de sa jeunesse et l'épouse de ses rêves?... Tout à coup apparaît une forme humaine enveloppée d'un manteau; on dirait l'ombre d'Abdullah lui-même. Il parle, il ordonne à la jeune fille de sauter sur le coursier d'Almansor et de retourner avec lui au pays de ses ancètres, sous les tentes de l'Arabie heureuse,

Cette apparition, vous le devinez, c'est le vieil Hassan qui veille sur son jeune maître. Il craint pour lui les séductions du château d'Aly; il ne veut pas qu'Almansor se fasse chrétien pour épouser Zuleima, et, comme il écoutait les deux amants dans l'ombre, il a profité d'une figure poétique du jeune Arabe pour jouer le rôle de revenant. Ce re

venant est aussi un deus ex machina. L'auteur cherchait un moyen d'interrompre son duo nocturne afin de le reprendre sur un motif plus souriant et plus frais, aux premières lueurs de l'aube; il a employé ce procédé d'une candeur toute primitive. Le lendemain, Zuleima, que l'apparition du vieux musulman avait fait rentrer chez elle, sort de sa chambre à pas discrets, descend dans le parc, et, tout en s'agenouillant devant un crucifix pour demander à sa foi une arme contre son amour, prend plaisir à rêver dans le lieu même où elle a revu Almansor. Elle vient de prier, elle se relève, elle se croit désormais victorieuse. Elle peut donc répéter sans crainte le nom d'Almansor; n'est-ce pas le nom d'un frère? Almansor est aux aguets; il l'entend, il se montre, et le dialogue mélodieux recommence. Vainement Zuleima, qui connaît la haine d'Aly pour Abdullah, veut-elle éloigner son ami, croyant qu'un danger de mort le menace; Almansor est inflexible. « Ah! s'écrie-t-il, que personne ne cherche à m'éloigner d'ici ! Fût-ce la mort,

je ne reculerais pas. » Il sent ses pieds attachés à ce sol par des chaînes secrètes. De toutes parts sc lèvent les songes dorés de son enfance. Il reconnaît les fleurs, les arbustes, le grenadier où chantait le rossignol, le berceau de jasmin et de chèvrefeuille « où nous nous racontions, dit-il, les jolies histoires de Modschnoun et de Leila, le délire de Modschnoun, la tendresse de Leïla, leur amour et leur mort à tous deux. » Que de scènes d'enfance naïvement évoquées! que de témoins joyeux de ses jours d'autrefois venant lui souhaiter la bienvenue ! Tout à coup il aperçoit l'image du Christ et fait un mouvement de surprise. « Dis-moi, ma bien-aimée, il y a là une image étrangère, une image qui me regarde... oh! avec quelle douceur! et pourtant aussi avec quelle tristesse! Une larme amère tombe de ses yeux dans le beau calice d'or de ma joie. »

C'est ici pour nous la crise intéressante du drame. On sait quelles sont les contradictions de Henri Heine au sujet de la religion de l'Évangile, et comme il passe aisément de l'exaltation de Hegel à

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