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Abaisse-t-il son regard borgne vers la terre, fleurs et feuilles se flétrissent, et l'amour aussi et les chants doivent se flétrir au fond du cœur de l'homme,

XLII

Ennuyé, morose, le cœur refroidi, je parcours le monde également froid et chagrin. L'automne touche à son terme. Un brouillard enveloppe comme d'un linceul humide les paysages à demi

morts.

Les vents sifflent, fouettant de côté et d'autre les feuilles rouges et jaunes qui tombent des arbres. La forêt gémit, la bruyère est couverte d'une vapeur fumante. Voici le pire à présent: il pleut.

XLIII

Les brouillards de la fin de l'automne, comme des songes glacés, s'abattent sur la vallée et sur la plaine. L'orage effeuille les arbres, ils sont nus et chauves comme des spectres.

Il n'y en a qu'un seul, un seul arbre silencieux et triste, qui reste là, couvert de son feuillage; humide

de larmes de douleur, il secoue parfois sa tête

verdoyante.

Ah! mon cœur ressemble à ce paysage désert, et cet arbre que je vois là aussi vert qu'aux jours d'été, c'est votre image, madame, l'image de votre inaltérable beauté.

XLIV

Un ciel gris et vulgaire ! La ville aussi est toujours la même, toujours se mirant dans l'Elbe, aussi gauche et aussi maussade.

De longs nez qu'on mouche aussi bruyamment et aussi ennuyeusement qu'autrefois! Et cela s'incline avec une dévotion hypocrite, ou cela se gonfle avec outrecuidance!

O contrées du midi! combien j'adore votre beau ciel et vos belles divinités, depuis que j'ai revu ces hommes affreux et cet affreux climat!

LE

RABBIN DE BACHARACH

FRAGMENT

A SON AMI BIEN-AIMÉ

HENRI LAUBE

EST DÉDIÉE CETTE LÉGENDE

DU

RABBIN DE BACHARACH

AVEC MILLE COMPLIMENTS JOYEUX

PAR

L'AUTEUR

Ce récit du Rabbin de Bacharach, que Henri Heine appelle une légende, est une des premières œuvres sorties de sa main. Il appartient à la même période que ses deux tragédies, Almansor et William Ratcliff. Un incendie, qui éclata dans la maison de sa mère, dévora le manuscrit tout entier. Henri Heine avait conservé une copie des trois premiers chapitres; il les publia en 1840 dans le quatrième volume d'un recueil de mélanges intitulé Salon. Pourquoi le poëte n'a-t-il pas essayé de retrouver dans sa mémoire les aventures du Rabbin? nul ne le sait. Mais ce fragment, tel qu'il est, avec ses figures nobles et ses figures grotesques, avec sa poésie et ses bouffonneries, lui a paru contenir une image assez vive des Juifs du quinzième siècle, puisqu'il l'a recueilli dans ses œuvres. En voyant la sérénité, la tendresse, la poésie du patriotisme et de la foi si délicatement indiquées dans les personnages du Rabbin et de sa compagne, en voyant l'avilissement d'une race par la persécution et la misère décrite en traits poignants dans les figures grotesquement triviales de Stern, de Jacquot, de Schnapper-Ellé, on regrette que l'auteur n'ait pas retrouvé ou refait cette peinture, et conduit à bon terme !'histoire du grave Abraham et de la belle Sara.

LE RABBIN

DE

BACHARACH

I

Au bas de la vallée du Rheingau, les rives du fleuve perdent leur aspect souriant, les montagnes. et les rochers, avec leurs ruines romantiques de vieux châteaux, prennent des allures plus hautaines; on voit s'élever une contrée splendide, d'un caractère plus sauvage et plus sérieux. C'est là qu'est située l'antique et sombre ville de Bacharach, semblable à une de ces légendes des anciens temps qui nous font frémir encore. Ces murs aux créneaux édentés, aux tourelles sans fenêtres, dans les lucarnes desquels le vent souffle et les moineaux font leurs nids, ils n'ont pas été toujours aussi dégradés,

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