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et de taille, se fraie un chemin jusqu'à Zuleima au milieu des seigneurs castillans, et l'emporte évanouie dans les montagnes voisines. Là, sur des rochers à pic, comme ceux où Modschnoun pleurait Leila, les deux amants se croient dans le royaume de l'amour... Aly, apprenant enfin que son fils Almansor n'a pas été victime du fanatisme d'Abdullah, s'élance pour le sauver, pour sauver Zuleima, pour les unir tous les deux. Il est trop tard : à la vue d'Aly et de ses cavaliers espagnols, Almansor, toujours la tête en feu, se précipite du haut des rochers avec la jeune fille pâmée dans ses bras : le jeune Maure est persuadé qu'il a devant lui le magique royaume où nul ne lui disputera son amie. Mahométisme ou christianisme, que leur importe? Ils suivent tous deux leur rêve jusqu'au fond de l'abîme. Le poëte a donc manqué à sa promesse : ce n'est pas l'amour qui vient tout apaiser, c'est le délire et la mort.

Le délire et la mort, telle est encore l'inspiration de la seconde tragédie de Henri Heine, William

Ratcliff. L'auteur a beau nous conduire de l'Espadu xve siècle à l'Écosse du xix, c'est toujours son âme qui est le théâtre de ces tragiques folies. Maria, fille du laird écossais Mac-Gregor, devait épouser le comte Macdonald; le matin du jour des noces, le comte a été tué dans la forêt voisine auprès des rochers de Schwarzenstein, et, le soir même, son meurtrier, William Ratcliff, est venu rendre à Maria son anneau de fiançailles. Deux ans après, même aventure. Lord Duncan allait épouser Maria; pendant que la fiancée attendait à l'autel, Duncan tombait au Schwarzenstein sous les coups de Ratcliff, et au moment où la fiancée en deuil se retirait le soir dans sa chambre, Ratcliff, apparaissant soudain, lui rendait son anneau. Quel est ce Ratcliff? Un étudiant d'Édimbourg, dont le père avait connu jadis Mac-Gregor, et qui, reçu au château du laird, est devenu follement amoureux de Maria; Maria l'aimait aussi, et Mac-Gregor a congédié l'étudiant. William est allé à Londres, s'est jeté dans la débauche, a essayé de tuer son amour; mais, ne pou

vant y réussir, il est revenu en Écosse, où il vit avec les bandits de la forêt, et c'est depuis ce moment que les fiancés de la fille de Mac-Gregor, le matin du jour fixé pour le mariage, sont égorgés par lui au Schwarzenstein. Ce n'est pourtant pas un assassin que ce Ratcliff; Macdonald et Duncan ont été tués en duel, l'amoureux de Maria les avait provoqués loyalement, et loyalement les a vaincus. Non, ce n'est pas un bandit, c'est un possédé. Il ne s'appartient pas. Son amour et son bras ne sont que des instruments au service d'une puissance occulte. Deux esprits, deux spectres, avec une force irrésistible, l'avaient poussé naguère chez MacGregor et avaient livré son cœur à Maria; quand il s'éloignait de Londres subitement pour revenir en Écosse près du château du laird, les spectres l'entraînaient à cheval; quand il frappait Macdonald et Duncan auprès du Schwarzenstein, les spectres combattaient à ses côtés. Ces fantômes qui Le le quittent point, ces figures désolées, irritées, qui sans cesse tendent les bras l'un vers l'autre sans

pouvoir jamais se réunir, ce sont les âmes de Betty, la mère de Maria, et d'Édouard Ratcliff, le père de William. Édouard et Betty s'aimaient; un dépit amoureux les sépara, William épousa une femme qu'il n'aimait pas, et Betty devint la femme de MacGregor. Ils se revirent, il s'aimèrent comme avant, si bien que Mac-Gregor, dans les transports de sa jalousie, ne recula pas devant l'idée du meurtre. Édouard, comme une âme en peine, rôdait souvent autour du château; un matin on trouva son cadavre au pied des murailles. Inutile d'ajouter que Betty mourut de désespoir. Vingt ans se sont passés depuis cette aventure; aujourd'hui, pour la punition de Mac-Gregor, l'âme d'Édouard et celle de Betty revivent chez William et Maria.

Les drames fatalistes (Schicksals-dramen) étaient fort à la mode vers 1820, grâce aux Houwald et aux Müllner; Henri Heine, qui estimait peu cette dramaturgie grossière, est-il parvenu à la relever, comme il l'espérait, en y introduisant le romantisme poétique? Il suffit pour en juger de résumer la

pièce en quelques mots. Quand le drame commence, un troisième prétendant, le comte Douglas, vient d'épouser la fille de Mac-Gregor. On pense bien que celui-ci avait pris toutes les précautions nécessaires pour détourner de son futur gendre le sort de Duncan et de Macdonald. Des éclaireurs surveillaient les avenues de la forêt voisine, et le château était bien gardé. Déjà Mac-Gregor se félicite d'avoir sauvé le fiancé de sa fille, et comme il ne craint plus que Douglas par intrépidité s'élance lui-même au-devant du péril, il lui raconte une partie de la tragique histoire dont nous venons de parler, le double meurtre de Macdonald et de Duncan au pied du Schwarzenstein. A ce moment-là même, Douglas reçoit un billet signé d'un main inconnue; quelqu'un l'attend au pied du Schwarzenstein pour mesurer son épée avec la sienne. Il part, impatient de venger les deux victimes. Cette fois, en effet, c'est William Ratcliff qui est vaincu. Les spectres qui l'assistaient naguère ne sont plus là pour diriger son bras, et au contraire les fantômes de Duncan et

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