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ZULEIMA, d'un ton sérieux.

Conduisez-moi dans la salle.

DON ENRIQUE, d'une voix troublée, en lui offrant son bras. Señora, c'est mon coquin de valet qui ma joué ce

tour.

ZULEIMA.

C'est bien, señor, c'est bien.

Aly et un chevalier rencontrent les précédents à la porte.

ALY, prenant don Enrique par le bras.

Non, chère Clara, laisse-moi ton fiancé. Don Rodrigue te conduira dans la salle.

Zuleima s'en va conduite par le chevalier. La porte se referme.

Je suis surpris...

DON ENRIQUE.

ALY, d'un ton grave.

Ne vous souvient-il pas que j'ai un secret pour vous, et que ce secret j'ai promis de le révéler avant le jour des noces, señor?

DON ENRIQUE, intrigué et d'une voix flattense.

Ah! vous avez déjà tant fait pour...

ALY.

Moi? Rien du tout. Doña Clara seule peut dispo

ser de sa main.

DON ENRIQUE.

Non, señor, une seule voix est souveraine en cela, la vôtre, celle du père.

ALY.

Les raisons ne me manquaient pas pour vous refuser la main de doña Clara, mais je n'en avais pas le droit. Apprenez-le je ne suis pas son père.

DON ENRIQUE à voix basse.

Vous n'êtes pas son père !

ALY, souriant.

Rassurez-vous, señor: Par un testament authentique je l'ai reconnue pour ma fille. Maintenant, vous comprenez pourquoi Clara peut seule disposer de sa main. Sachez-le toutefois; personne ici, pas même Clara, n'a connaissance de ce secret.

DON ENRIQUE.

Señor, ma surprise...

ALY.

C'est mon devoir de vous le communiquer, à vous qui êtes son fiancé. Mais promettez-moi de ne le révéler à personne, pas même à Clara; je veux lui épargner cette grande douleur, et ne pas troubler le repos d'un cœur si tendre.

DON ENRIQUE, lui donnant sa main.

Sur ma parole de chevalier, je vous promets le silence.

ALY.

Vous savez que je ne m'appelai pas toujours don Gonzalvo.

DON ENRIQUE.

Votre nom n'était pas moins beau, moins glorieux; chacun vous appelait le bon Aly.

ALY.

Oui, oui! on m'appelait le bon Aly! on aurait pu à meilleur droit encore m'appeler l'heureux Aly; car Aly fut heureux jadis, heureux par l'amitié et par l'amour.

Dieu me donna un ami, le plus rare des trésors, et une femme aussi, une femme si belle, si douce... non, c'est un péché que de lui donner le nom de femme, c'était un ange que je pressais sur mon cœur en extase! Il me fut accordé aussi de ressentir les joies de la paternité. L'ange charmante mit au monde un fils; mais elle-même, hélas! sa figure devint pâle, toujours plus pâle et bientôt elle mourut.

Alors, mon ami versa dans mon cœur le baume des consolations, et comme sa femme, en ce temps

là même, donnait le jour à une petite fille, l'excellente créature prit avec elle mon enfant orphelin, le nourrit de son lait, et fut une mère pour lui. Mais, plus tard, quand je repris dans mon château ce fils de douleur, sa vue réveillait sans cesse en moi la désolation où m'avait plongé la mort de sa mère. Mon sage ami s'en aperçut, et il me dit un jour : « Que te semble, Aly, du plan que je te propose? Dès à présent, je voudrais voir nos enfants unis l'un à l'autre par le gage des fiançailles, pour affermir encore l'amitié qui nous lie. » Pleurant à chaudes larmes, je tombai dans les bras de mon ami; il fut décidé aussitôt que je prendrais sa fille avec moi, que je l'élèverais moi-même dans mon château par les soins d'une gouvernante, afin de préparer à mon fils une digne femme, et que de son côté, mon ami se chargerait de l'éducation de mon fils pour qu'il formât lui-même l'époux futur de sa fille unique. Ce projet se réalisa.

DON ENRIQUE.

Je brûle du désir d'apprendre...

ALY.

Les enfants grandirent, ils se virent souvent, ils

s'aimèrent... jusqu'au jour de la tempête. Vous savez comme la foudre tomba sur la plus haute tour de l'Alhambra, et comme un grand nombre des plus grandes familles de Grenade se convertit à la religion de la croix. Vous savez que la gouvernante de Zuleima, elle-même chétienne et pieuse, avait depuis longtemps gagné au Christ le tendre cœur de son élève, que Zuleima ne tarda point à confesser publiquement le Sauveur, et qu'avec le saint sacrement du baptême, elle reçut le joli nom de Clara. Je pris la même route, suivant à la fois mon propre cœur et ma chère fille adoptive. Je ne doutai pas que mon ami, animé des mêmes sentiments, ne suivît cet exemple. Mais c'était un aveugle musulman, il reçut mon message avec une froide fureur, et me fit répondre qu'il haïssait l'ennemi de son dieu comme son propre ennemi, qu'il ne voulait plus revoir le visage de sa fille, le visage d'une renégate, qu'il allait s'enfuir du pays des serpents, et qu'Almansor, son enfant d'adoption, serait sacrifié à la colère d'Allah, pour que le sang du fils expiât le crime du père. Et il a tenu parole, le forcené ! Vainement je courus à son château; il avait fui déjà, il avait fui avec sa proie. Depuis, je n'ai point revu

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