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mon enfant; des marchands venant de Maroc m'ont

raconté qu'il était mort.

DON ENRIQUE, avec une douleur affectée.

Oh! c'est horrible! horrible! l'émotion me suffoque! mon cœur saigne! Et vous n'avez pas tiré de 'ce forcené une vengeance éclatante? La fille de ce misérable était en votre pouvoir; comment l'avezVous traitée?

ALY, fièrement. .

Je l'ai traitée, señor, en chrétien. (I sort.)

DON ENRIQUE, seul.

Faut-il raconter l'histoire à Diégo? oui, certes. Il verra une bonne fois qu'il ne sait pas tout; il me prend pour un imbécile. Soit! Nous allons voir quel sera le plus fin de nous deux. (La musique du bal recommence.) Mais, chut! la fille nous appelle, et ma belle doña ne doit pas attendre,

Il fait nuit. On aperçoit l'extérieur du château d'Aly. Les fenêtres sont éclairées. Dans le château, une joyeuse musique de danse. Almansor est là, pensif. La musique cesse.

ALMANSOR.

En vérité, la musique est bien jolie; seulement, c'est dommage, quand j'entends pétiller les sons métalliques des cymballes, je sens en mon cœur mille morsures de vipères; quand j'entends la voix douce et prolongée du violon, une lame tranchante me traverse la poitrine; quand j'entends au milieu des mélodies éclater le bruit des trompettes, c'est comme un coup de foudre qui me frappe aux jambes jusqu'à la moelle des os; et quand j'entends le tonnerre sourd et menaçant des timbales, des coups de massue me tombent sur la tête.

Moi et cette maison, que de contrastes nous séparent! (Montrant tour à tour le château et sa poitrine.) Là, demeure la joie avec ses harpes mélodieuses; ici, habite la douleur avec ses serpents venimeux. Là, la lumière avec ses lampes d'or; ici, la nuit avec sa ténébreuse couvée. Là, la belle, la charmante Zu-leima... (Il s'arrête, pensif, puis montrant sa poitrine.) Il y a des ressemblances pourtant: Zuleima est là aussi.

oui, c'est bien cette étroite maison qu'elle habite; elle se tient dans la chambre rouge, elle joue à la balle avec mon cœur, elle fait résonner comme une harpe les cordes vibrantes de ma tristesse, ses serviteurs sont mes soupirs, et comme l'eunuque noir qui garde le harem, ma sombre humeur veille à la porte. (Montrant le château.) Quant à cette figure qui, làhaut, dans la salle resplendissante, va et vient magnifiquement parée, qui se pavane en ses atours, qui penche sa tête aux longues boucles et fait de gracieux saluts à ce drôle en habits de soie galamment incliné devant elle, cette figure-là, ce n'est que l'ombre froide de Zuleima, c'est une de ces marionnettes à qui on met des yeux de verre dans un visage de cire, et dont la poitrine vide se soulève et s'abaisse au moyen d'un ressort. (Fanfares.) Oh! misère voilà le drôle en habits de soie qui reparaît; il invite la marionnette à danser; que les jolis yeux de verre lancent de doux rayons! Comme l'aimable figure de cire s'anime en souriant! Comme le beau sein à ressorts se soulève, se soulève! Le drôle touche de sa main grossière l'œuvre d'art élégante et fragile. (Musique bruyante.) Il l'entoure d'un bras insolent et l'entraîne dans le flot tumultueux

des danses effrénées! Ah! arrêtez! arrêtez! Esprits de mes douleurs, arrachez ce drôle des bras de Zuleima! Éclatez, éclatez, tonnerres de ma fureur ! Écroulez-vous, murailles de ce château, et broyez en tombant la tête du profanateur! (Une pause. Musique plus douce.) Elles restent debout, les vieilles murailles, et ma rage se brise contre leurs pierres.

Vous êtes solidement construites, puissantes murailles; pourtant, vous n'avez qu'une faible et mauvaise mémoire. Je m'appelle Almansor, j'étais autrefois le favori du bon Aly, c'est sur les genoux d'Aly qu'était ma place, il me nommait son cher fils et de sa main tout doucement il caressait mes cheveux. Et maintenant je suis là, comme un mendiant, à la porte! (La musique cesse. On entend dans le château des voix confuses et de grands éclats de rire.) On rit de moi, là-bas. Holà! je ne ris point. (Il frappe à la porte.) Ouvrez ! ouvrez ! un hôte veut passer ici la nuit.

La porte du château s'ouvre. Pedrillo parait avec une lanterne et reste sur le seuil.

PEDRILLO.

Par saint Pilate! vous frappez de la belle façon. D'ailleurs, vous arrivez tard pour la danse, le bal est fini.

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ALMANSOR.

Ce n'est pas un bal qu'il me faut, c'est un gîte. Je suis étranger, je suis las, et la nuit est sombre.

PEDRILLO.

Par la barbe du prophète!... je voulais dire... par la barbe de sainte Él... Élisabeth,

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ce château n'est plus une maison hospitalière. Il y en a une non loin d'ici cela s'appelle une auberge?

ALMANSOR.

Le bon Aly n'habite donc plus les murs de ce château, puisque l'hospitalité en est bannie?

PEDRILLO.

Par saint Jacques de... de... de Compostelle ! prenez garde, car don Gonzalvo se met en colère quand on l'appelle encore le bon Aly. Zuleima seule (il se frappe le front), je voulais dire dire doña Clara, a la permission de prononcer le nom d'Aly. Aly lui-même se trompe et l'appelle souvent Zuleima. Moi aussi, on a changé mon nom; je ne m'appelle plus Hamahmah, je m'appelle Pedrillo, comme saint Pierre dans sa jeunesse. Et Habahbah, la vieille cuisinière, elle se nomme maintenant Pétronella, comme autrefois la femme de saint Pierre. Quant à l'antique hospitalité, c'était une de ces

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