Parce que j'ai fait l'hypothèse qu'en raison de ces méprises ou de ces abus il pouvait arriver que des initiatives, bonnes en elles-mêmes, rencontrassent des oppositions illégitimes, M. Michel m'attribue de soutenir que le catholique en face de l'autorité n'a rien à démentir de son caractère et de ses idées, comme si constater qu'il peut y avoir opposition c'était dire qu'il doit y avoir révolte. Or la pensée que j'exprime à cet endroit même, c'est que, à supposer les initiatives aussi bonnes qu'on voudra, il faut que ceux qui 'les prennent se gardent de vouloir triompher pour leur compte, et que, dans cette hypothèse même que les initiatives sont bonnes, ils doivent profiter de l'opposition qui peut leur être faite par méprise ou par abus, non pour se révolter, mais pour se purifier et se fortifier par l'épreuve. Est-ce donc là s'enfermer en soi-même et se raidir pour ne rien démentir de son caractère et de ses idées ? Et s'il est vrai que les initiatives sont bonnes, imagine-t-on que pour obéir il faudra les trouver mauvaises? Et si elles ne sont pas bonnes ou si quelque chose s'y mêle qui plus ou moins les contamine, imaginet-on qu'il puisse y avoir un autre moyen ou d'y renoncer vraiment, du fond du cœur et autrement qu'en parole, ou de les rectifier? Je n'ai pas prétendu donner de règles pour tous les cas. Et en cet ordre de choses il y a sans doute des cas d'espèce assez variés. Mais j'ai tâché d'indiquer dans quel esprit et dans quelle disposition il fallait se mettre pour, à travers tout, ne jamais perdre de vue la fonction de ceux qui exercent l'autorité 1. Ceux qui m'ont lu pour me comprendre et non pour me surprendre, comme on surprend quelqu'un au coin d'un bois, ne s'y sont pas trompés. Ils ont compris que je voulais signifier ceci: N'imaginez jamais que vous avez intégralement la vérité et encore moins que vous avez su l'expri 1. Que pense donc M. Michel des « initiatives » de M. Barbier à l'encontre de « la faveur » de Rome ou du cardinal Richard? N'y a-t-il pas eu là une opposition ? Et voit-on que M. Barbier en ait jamais profité pour modifier si peu que ce soit son attitude et abdiquer quelque chose de son caractère et de ses idées? Et si l'on juge et s'il juge lui-même qu'il n'a fait qu'user d'un droit imprescriptible, ce droit là n'existe-t-il que pour lui et pour ses amis ? mer comme il fallait. Et si ceux qui ont autorité manifestent des défiances à votre égard, que ces défiances vous soient une occasion et un devoir de remettre au creuset vos pensées les plus chères et vos intentions les plus intimes. Vous aurez tout à y gagner et les autres avec vous. Et il n'y a, en toutes circonstances, d'obéissance vraie qu'à cette condition: car obéir ce n'est pas abdiquer, ce n'est pas cesser d'être, d'agir et de penser, ce n'est pas s'effondrer dans l'inertie et se faire passif; c'est se transformer intérieurement, aidé par tous les concours qui sont offerts et le mal même comme dit S. Paul peut être tourné à bien-, afin de se rendre de plus en plus capable de vérité et de bonté. Ne vous inquiétez pas de vous-mêmes: si la cause à laquelle vous travaillez est celle de Dieu, elle triomphera. En attendant, peut-être succomberez-vous ici-bas, méconnu ou même persécuté. Qu'importe, si ce que vous avez fait vaut pour l'éternité? Ce n'est pas en ce monde que sonne l'heure du jugement. Mais en attendant aussi, n'exigez pas qu'on vous approuve, qu'on vous exalte, qu'on se mette à votre remorque. Persuadez-vous du mieux que vous pourrez que vous êtes des serviteurs inutiles. Si ces propos sont subversifs, je ne sais plus ce qui ne sera pas subversif dans la littérature chrétienne. Il ne nous restera bientôt plus sans doute que l'orthodoxie de M. Maurras poursuivant l'hypocrisie théistique en vertu de laquelle on juge qu'il << vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ». Pour marquer comment, au milieu de tout cela, un motif inébranlable de confiance subsiste toujours, j'ai ajouté : « Quand le Verbe de Dieu a été conçu par une âme rien ne saurait l'enchaîner et l'empêcher de se produire. >>> Et le sens de cette phrase s'éclaire par ce qui suit: <<< La preuve, c'est que l'histoire de l'Eglise et même l'histoire de la doctrine dans l'Eglise est remplie d'initiatives qui ont reçu comme après coup, si ce n'est toujours en totalité, au moins en partie, comme des consécrations officielles. 1 >> 1. Et à ce sujet je demanderai: est-ce vrai ou n'est-ce pas vrai? Et pense-t-on que ce qui a été la condition de la vie de l'Eglise dans le passé, ne doive plus être la condition de sa vie dans l'avenir ? Mieux M. Michel supprime cette suite, et transcrit la phrase en lettres capitales, escomptant qu'après ce qu'il a dit on ne saurait manquer d'y découvrir quelque chose d'énorme et de monstrueux ? Mais de grâce, quoi donc ? Et puisqu'il paraît énorme et monstrueux à M. Michel de dire que le Verbe de Dieu ne saurait être enchaîné, Verbum Dei non est alligatum, c'est donc que, selon lui, il peut être enchaîné et qu'il est légitime de vouloir l'enchaîner? Et c'est sans doute aussi que, selon lui, l'Eglise, au lieu d'avoir pour rôle d'amener les âmes à concevoir le Verbe de Dieu et à se libérer par lui, a pour rôle au contraire de les empêcher de le concevoir, comme si, en les faisant se donner au Christ par le cœur, elle avait à craindre de les voir échapper à son autorité. Mais alors que pense-t-il de S. Paul disant que l'homme spirituel juge tout et n'est jugé par rien? En vérité c'est à d'autres que moi qu'il devrait se prendre. III Toutefois où il met le comble à ses fantaisies et où il achève de laisser voir la conception qui le guide, c'est peutêtre dans sa conclusion. On m'excusera de me citer encore après lui. « Le propre du catholicisme, ai-je écrit, c'est d'affirmer aussi fortement que possible la solidarité qui nous lie les uns aux autres et qui nous lie à Dieu par le Christ; et c'est aussi de nous demander et en même temps de nous mettre en état de vivre cette solidarité, pour, en nous transformant nous-mêmes par la foi et la charité, la transformer en une communion éternelle des âmes. Il suppose que nous ne pouvons communier à Dieu que par l'humanité et à l'humanité que par Dieu, etc. » Je pourrais donner en mille à n'importe qui de deviner ce que M. Michel, avec son étonnante perspicacité, a su voir dans ces paroles. avisé est le P. Harent qui écrit: « Vouloir étouffer toute controverse, c'est la prudence de l'aveugle qui s'arrête immobile sur un chemin dangereux qu'il ne connaît pas; c'est vouloir comprimer l'esprit humain, supprimer le développement du dogme et de la théologie, conserver verbalement des formules sans chercher à en comprendre le sens, réduire la foi à un pur psittacisme, remplacer la science par l'ignorance, la vie intellectuelle par la mort... Grâce à son magistère infaillible et vivant, l'Eglise catholique peut affronter les batailles d'idées et faire avancer sa doctrine sur la voie du progrès « (Le rôle de l'Eglise dans les questions de foi. - Etudes, 20 mars 1913). Il y a vu d'abord la doctrine de l'expérience religieuse condamnée par l'encyclique Pascendi et formulée en ces termes: << Si l'on pénètre le sentiment religieux on y découvrira facilement une certaine intuition de cœur, grâce à laquelle et sans nul intermédiaire l'homme atteint la réalité même de Dieu. » Ainsi, c'est juste au moment où j'affirme qu'on ne va à Dieu que par l'humanité et par le Christ que M. Michel me fait encourir la condamnation de ceux qui disent qu'on va à Dieu sans nul intermédiaire. Si je disais qu'il fait jour en plein midi M. Michel me ferait dire qu'il fait nuit.Passons. Il insinue ensuite que j'élimine le rôle du Christ, parce que je ne dis pas quel est ce rôle. Or je le dis, puisque j'indique que c'est lui qui nous lie à Dieu et que, par conséquent, il est pour nous Médiateur. Enfin parce que, à ce moment-là, je ne nomme pas l'Eglise, M. Michel déclare que « je tais le cadre » que le Christ << a imposé aux hommes ». Et cette fois le procédé est encore plus invraisemblable que les autres, puisque, pour la plus grande part, ma brochure est consacrée à ce «cadre » même. Si à tout moment on ne dit pas tout, on pourra donc à tout moment être accusé de tout nier. M. Michel n'a pas dit une seule fois dans son article que Dieu existe, dois-je en conclure qu'il est athée ? Passons encore et arrivons au dernier trait. La preuve, pour M. Michel, que je professe bien la doctrine de l'expérience religieuse, c'est que j'admets que la communion à Dieu par l'humanité et à l'humanité par Dieu << est postulée par notre vie individuelle » et que le catholicisme « manifeste ce qu'il est et ce qu'il vaut par ce qu'il demande aux hommes de faire » 1. Dans ces conditions, dit M. Michel, le catholicisme <<< est donc, par rapport aux autres religions, dans une situation privilégiée, non parce qu'il vient de Dieu et qu'il se fonde sur la révélation, mais parce que mieux et plus que les autres religions, il propose et réalise la fin de l'homme » (p. 130). Je n'entreprendrai pas ici de faire à nouveau un exposé de la méthode apologétique à laquelle j'ai cru que le fallait avoir recours. Je me suis expliqué sur ce point assez souvent pour n'avoir pas besoin d'y revenir. M. Michel a l'air de n'en rien savoir, c'est son droit; mais alors son devoir était de n'en point parler. Si je n'admets nullement l'extrinsécisme exclusif auquel ici visiblement il se réfère, ce n'est point pour me contenter, comme il l'imagine, de je ne sais quel pragmatisme qui ferait du christianisme une sorte de postulat n'ayant d'autre fondement que le besoin tout subjectif que nous en aurions. Je crois qu'il y a rencontre d'un « fait intérieur » et d'un 1. Tout à l'heure la doctrine de l'expérience religieuse consistait à découvrir « la réalité même de Dieu » par « une certaine intuition de cœur »; maintenant elle consiste à le postuler comme condition de la vie. Intuitionner et postuler c'est sans doute pour lui la même chose. (( fait extérieur » comme disait Dechamps. Et, si M. Michel veut savoir comment je l'entends, il n'a qu'à se reporter à l'article Immanence du Dictionnaire apologétique de la foi catholique qui lui sera sans doute moins suspect que mes écrits et qui, du moins pour ce qui est vraiment essentiel, exprime les idées que pour mon compte aussi j'ai toujours défendues. Mais, outre qu'à mon tour je trouve énorme et monstrueux en soi que M. Michel ose me reprocher de méconnaître l'origine divine du catholicisme parce que je dis qu'il correspond << à ce que nous sommes et à ce que nous devons être », - comme si ce que nous sommes et ce que nous devons être ne venait pas aussi de Dieu, et comme si c'était aller à l'encontre de Dieu que de réaliser la fin qui urge en nous ! dans la circonstance présente je n'avais pas d'autres considérations à mettre en avant, puisqu'il me fallait répondre à quelqu'un qui niait ou qui tendait à nier la valeur du catholicisme par rapport à nous. Je ne dirai pas comme Châteaubriand se plaçant au même point de vue, qu'il s'agissait, « non pas de prouver que le christianisme est excellent parce qu'il vient de Dieu », mais de prouver << qu'il vient de Dieu parce qu'il est excellent » 1: car je 1. Génie du christianisme, chap. I. Introduction. |