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XIII SIÈCLE.

d'Orlac lui donna enfin le prieuré de Villefranche ; il l'administra sagement, l'améliora et y mourut. Il a lieu de croire qu'il ne vivait plus en 1226.

Nous possédons vingt pièces de ce troubadour. Ses chansons galantes n'offrent rien de remarquable: si on y rencontre quelques idées ingénieuses, ce sont des emprunts faits à d'autres poètes. Il ne se montre original que dans les pièces où il peut se livrer à la bizarrerie de son esprit. Son style est serré, tendu, obscur. Satisfait de l'harmonie des mots, il ne tient nul compte de la souplesse et de la grace. Une pièce où il dit ce qu'il aime, deux autres où il fait m'enucia. Rayn. l'énumération de ce qui lui déplaît, sans avoir rien de neuf, Choix, t. V, P. offrent quelques détails assez comiques. Il aime, dit-il, la bonne chère, de gros saumons à l'heure des repas, le baiser d'amour au bord d'un ruisseau, etc. Il n'aime pas un grand parleur faible au service, un mauvais chanteur dans une cour brillante, une grande table et une nappe trop courte, etc.

264.

Pièce Mot

t. IV, p. 368.

Pièce Pus Peyre.

Dans sa satire contre les troubadours, il annonce francheRayn. Choix, ment qu'il veut imiter Pierre d'Auvergne. « Je chansonnerai, dit-il, les troubadours qui se sont illustrés après que Pierre << a eu composé ses vers. » Ces poètes sont au nombre de quinze. La plupart d'entre eux vivaient encore quand la pièce fut composée, car l'auteur termine son premier couplet, en disant : « qu'ils ne se courroucent point contre moi «si je relève leurs défauts;

E no m'aion ges cor irat

S'ieu lor malvatz fatz lur repren.

Plusieurs aussi avaient été contemporains de Pierre d'Auvergne, et ce poète n'en avait pas parlé: tels étaient Guillaume de Saint-Didier, Guillaume Adhemar et d'autres dont il a été fait mention précédemment dans le présent ouvrage.

L'auteur, imitant encore en cela Pierre d'Auvergne, s'adresse un couplet satirique à lui-même. Il se qualifie de faux moine; il se reproche de chansonner tout le monde, d'avoir laissé Dieu pour Bacchus, et prétend que n'eût-il point fait de vers, il mériterait encore qu'on jetât sa cendre

au vent.

Les plus singulières de ses pièces sont deux dialogues entre le père éternel et lui, où Dieu approuve sa conduite et le loue particulièrement de vivre hors du cloître.

XIII

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Terra, mars, vals e montanha,
Em dis morgue, quan venguis,

:

Ni cum estay Montaudos,

Lai on as maior companha?

L'autre hier j'allai au paradis,
Car je suis gai et joyeux;
Et tant il me fit bon accueil,
Dieu, à qui tout obéit,

La terre, la mer, les vallées, les montagnes,
Qu'il me dit moine, depuis quand ici,

Et comment est-on à Montaudon,

Là où tu as la plus nombreuse compagnie?

Après un couplet où le moine dit à Dieu qu'il l'aime plus que toute chose, Dieu lui répond:

Monge, ges ieu no t grazis,
S'estas en claustr' a rescos,
Ni vols guerras ni tensos
Ni pelei' ab tos vezis,
Per que 'l bailia t remanha;
Ans am ieu lo chant e'l ris;
El segles en es plus pros,
E Montaudos y guazanha,

Moine, je ne t'approuve nullement
Si tu demeures dans ton cloître, reclus,

Sans vouloir disputes, ni tensons,

Ni guerres avec tes voisins,

Pour que la supériorité te reste.

J'aime au contraire le chant et les ris;

Le siècle en devient meilleur,

Et Montaudon y trouve son profit.

Enfin, malgré le père éternel qui lui conseille de retourner à Saragosse, auprès du roi de qui il est tant aimé, le moine persiste à rentrer dans le couvent.

Senher, ieu tem que falhis,
Si fas coblas ni cansos;
Qu'om pert vostr' amor et vos,
Qui son escien mentis;
Per que m part de la barganha;
Pel segle que no m n'ahis,
M'en torney a las leysos,
E'n laissey l'anar d'Espanha.

Ra

etc.,

pag. Roch

nasse

294,

XIII SIÈCLE.

Seigneur, je crains de ne commettre une faute,
Si je compose couplets et chansons;
Car l'homme perd votre amour et vous,
Quand il ment à son escient;

C'est pourquoi je me retire de ce trafic,

Je laisse le monde qui (cependant) ne me hait,
Pour m'en retourner au pupitre,

Et renonce au voyage d'Espagne.

On voit que cette satire ne manque ni de gaieté ni de finesse. Le moine, en quittant le siècle, lui disait des vérités assez piquantes.

E-D.

BRIVAL DE LIMOGES,

GUILLAUME DE RIBES, ÉLIAS GAUSMARS, BERNARD DE

SAISSAC, EBLES DE SANCHAS, GUOSALBO ROZITZ,
COSSEZEN.

t. IV, p. 297.

que

Tous ces poètes ont été chansonnés par Pierre d'Auvergne, Choix, etc., dans son sirvente contre les troubadours de son temps, ainsi Pierre Roger et Bernard de Ventadour, dont nos prédécesseurs ont publié la vie dans le tome XV de cet ouvrage, et ainsi encore que Giraud de Borneilh, Pierre Brémond et Rambaud de Vachères, sur lesquels nous donnons nousmêmes des notices au présent volume. Nous n'avons trouvé de leurs ouvrages dans aucune des collections que nous connaissons. Quelques-uns peuvent avoir été des jongleurs plutôt que des troubadours. Le texte même de Pierre d'Auvergne autorise cette conjecture. Toutefois, quand on voit leurs noms associés à ceux de troubadours aussi illustres que Bernard de Ventadour, Pierre Roger, Rambaud de Vachères, Giraud de Borneilh, on ne peut s'empêcher de croire que ces poètes aujourd'hui à peu près inconnus, n'aient eu de leur vivant quelque réputation.

Quoi qu'il en soit, nous sommes réduits à ne citer sur leurs ouvrages que les épigrammes de leur censeur. C'est par la satire qu'ils ont été immortalisés.

XIII

Ray

Choix

Si nous en croyons Pierre d'Auvergne, Brival le Limousin était un des plus méchants jongleurs qu'on pût rencontrer; il chantait comme un pélerin malade qui amuse des gueux; Guillaume de Ribes est mauvais en dedans comme en de- IV, P. hors; il chante d'une voix enrouée; on dirait d'un chien qui aboie; son regard est celui d'un buste d'argent;

E dels huelhs sembla vout d'argen.

Ce Guillaume de Ribes a eu le privilége d'être chansonné par Pierre d'Auvergne et par le moine de Montaudon. Suivant ce dernier, il est peu instruit,

Qu'es de totz fatz menus apres;

il chante sans goût; il se démène pour s'avancer dans le monde sans y réussir; jamais on ne le vit bien vêtu; il vit tristement et pauvrement,

Ans viu ses grat et paubramen.

Élias Gansmars, continue Pierre d'Auvergne, de chevalier s'est fait jongleur; il a eu tort celui qui l'a assisté dans ce changement, et qui lui a donné de beaux habits; autant vaudrait les avoir brûlés; car déjà plus de cent (engagés apparemment par cet exemple) ont pris ce même métier;

Qu'enjoglaritz s'en son ja cen.

Bernard de Saissac n'a jamais exercé de profession dont il ait retiré quelque utilité; il va quêtant les petits présents. Ébles de Sanche n'obtint jamais les faveurs de l'amour. Ce n'est qu'un rustre déguisé. On prétend que pour deux pugeois, ici il se loue, là il se vend;

E ditz hom que per dos poges

Sai si loga e lai si ven.

Quant à Guossalb Rozitz, il est tellement satisfait de ses chansons qu'il se croit un chevalier, et cependant il ne sut jamais frapper deux coups.

Cossezen enfin est un petit Lombard, qui compose des chansons barbares, sur des airs aigus et bâtards;

Tome XIII.

Per q'us sonetz fai galiartz,
Ab motz amaribotz bastartz;
E luy apellon Cossezen.

Сссс

Chan

Ray

t. IV

XIII SIÈCLE.

Ces caricatures satiriques ne mériteraient guère d'être citées, si elles ne faisaient revivre des noms qui ne doivent pas être entièrement oubliés. Peut-être y remarquera-t-on aussi quelques particularités curieuses, telles que les pélerins qui chantent dans les rues; les bustes d'argent dont le regard est vague et hébété; le reproche adressé à des troubadours de ne pas savoir tout ce qui peut les faire exceller dans leur art; et enfin ce petit Lombard qui compose des chansons barbares, parce qu'il associe apparemment le patois de son pays à la langue poétique des Provençaux et des Aquitains. Si cette satire n'offre pas de fidèles portraits des poètes que l'auteur a voulu rendre ridicules, elle nous présente du moins, à quelques égards, une image du siècle où ils ont vécu.

E-D.

PIERRE

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IERRE BRÉMOND, surnommé le Tort, naquit à Viana, dans la Navarre. Ce fut, dit son biographe, un pauvre chevalier, habile à trouver, et qui obtint de la réputation chez les personnes distinguées: si fo un paubre cavalliers de Vianes; e fon bons trobaire, et ac honor per totz los bons homes. C'est là tout ce qu'on nous apprend sur sa vie. Nous voyons seulement que Pierre d'Auvergne a fait mention de lui dans sa satire contre les troubadours de son temps; et comme ce poète mourut de l'an 1190 à l'an 1195, il paraît certain que Pierre Bremond florissait déjà avant cette époque, et qu'il doit être mort dans les vingt premières années du treizième siècle. Une pièce de vers qu'il adresse à sa dame, est écrite de la Syrie, ce qui annonce qu'il se croisa. Cette pièce est portée dans quelques manuscrits sous le nom de Bernard de Ventadour; mais M. Raynouard a fait observer que d'autres Rayn. Choix, l'attribuent à Brémond, et Millot remarque justement que Bernard de Ventadour ne se croisa jamais. Ce fut vraisem

etc., t. V, p. 300.

Millot, t. I,

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