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GUILLAUME,

JUIF CONVERTI, DIACRE DE L'ÉGLISE DE BOURGES.

MORT VERS 1210.

Pag. 390, et

seqq.

HOMMEY a publié, dans le recueil qui porte le titre de Supplementum Patrum, plusieurs ouvrages de cet auteur, parmi lesquels on distingue un petit traité intitulé : Bellum Domini contrà Judæos et contrà Judæorum hæreticos (Sadducaos). Dans le prologue de cet ouvrage, Guillaume nous apprend que c'est aux instructions et aux conseils du bienheureux confesseur Guillaume, archevêque de Bourges, qu'il doit sa conversion. Omnibus in Christo credentibus, Guillelmus Christi diaconus, olim Judæus, salutem in Domino. Per admonitionem beati et eximii confessoris Guillelmi Bituricensis archiepiscopi, nuper veniens de umbrá veritatis ad lucem, etc. C'est la seule circonstance que l'on connaisse de la vie de cet De scriptori- écrivain, dont aucune bibliothèque rabbinique ne fait menbus ecclesiast., tion. Le seul Casimir Oudin lui à consacré quelques lignes, dans lesquelles il se contente de rapporter le commencement de prologue que nous venons de citer, et d'énumérer les ouvrages dont Guillaume est auteur. Il fait remarquer, à propos du traité Bellum Domini, etc..., que le P. Possevin l'attribue, mais à tort, à Pierre de la Palue (Petrus Paludanus), sans motiver en aucune façon ce jugement.

t. III, p. 156.

Apparatus sacer, t. II, verbo

P. Paludanus.

Cet ouvrage se trouve en effet porté dans la liste que donne Possevin de ceux de Pierre de la Palue; mais dans la notice qui traite du temps où cet écrivain vivait, il dit que Petrus Paludanus, patriarche de Constantinople, ou selon d'autres, de Jérusalem, florissait vers le commencement du XIVe siècle. Or, il est bien certain que le traité Bellum Domini... fut composé au XIIIe siècle, par un diacre nommé Guillaume (comme le prouve le prologue précité), juif d'origine, converti à la foi catholique par l'archevêque de Bourges, qui lui donna son nom, et lequel est bien le même que l'auteur du commentaire sur les Lamentations de Jérémie, dont

le manuscrit, conservé à la Bibliothèque du Roi, fut écrit au XIIIe siècle.

Casimir Oudin termine son article sur Guillaume, en disant que l'on doit croire qu'il vivait encore en 1240 et au-delà, sans s'appuyer d'aucun témoignage, sans même parler des raisons qui ont pu le porter à présumer ce fait. Ce qu'il y a de cer tain, c'est que notre auteur fut converti avant l'année 1209, puisque l'archevêque de Bourges est mort le 10 janvier de cette année-là; mais rien ne prouve, rien n'indique même qu'il ait survécu aussi long-temps à ce prélat.

Les ouvrages composés par Guillaume dans le recueil de Hommey, sont: 1° Allegorice in Vetus et Novum Testamentum de principio et fine cujuslibet libri. Notre auteur, comme presque tous les écrivains juifs des XIIIe et XIVe siè cles, semble dominé par une telle passion pour les allégories, que l'on en rencontre presque à chaque page de ses écrits, où souvent leur multiplicité diminue la force des preuves, en interrompant ou en retardant la conclusion des raisonnements. Dans le petit ouvrage dont il est ici question, la forme des allégories consiste uniquement à rapprocher le commencement et la fin de chaque livre de l'Ecriture sainte, pour en tirer une allusion morale. Ainsi, dit-il, la Genèse commence à la création du monde et finit à l'ensevelissement de Joseph, afin que nous apprenions que celui qui croit au Créateur, et qui observe ses préceptes, sera, à sa mort, enseveli avec Jésus-Christ dans la gloire, et qu'il ressusciterà un jour. On peut juger par-là des autres allégories: elles sont aussi peu naturelles, et presque toujours mal enchaînées.

2° De Sensuum disciplina. Ce petit traité prescrit des règles pour diriger l'usage des cinq sens de notre corps, et se distingue par une mysticité douce et pieuse. Les allégories que l'on y retrouve sont meilleures que celles de l'ouvrage précédent, et généralement beaucoup mieux enchaînées.

3o Sermo de Passione Domini. L'auteur s'adresse aux Juifs, et leur reprochant avec véhémence la mort de Jésus-Christ, réfute les excuses et les prétextes qu'ils allèguent pour pallier leur déicide.

4° Opusculum de Eucharistia. Il y cherche à préparer les Juifs, par quelques passages de l'Ancien Testament, à admettre la présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement de l'Eucharistie; leur en montrant le symbole et la figure dans la manue du désert, dans les fruits du Paradis terrestre, etc. Il Tome XVII

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paraît donc probable que, dans cet écrit, l'auteur se sera proposé de diminuer l'aversion que les Juifs ont pour ce mystère, plutôt que de vouloir les convaincre de sa réalité par les raisons simplement préparatoires qu'il emploie.

5° Bellum Domini contrà Judæos et contrà Judæorum hæreticos. Hommey n'en a donné que le premier chapitre, précédé d'un prologue dont on a déja fait connaître le commencement. Il dit avoir entrepris cet ouvrage à la prière de quelques personnes, contre ceux dont il pouvait mieux qu'un autre réfuter les erreurs, puisqu'il avait été élevé dans leurs principes, et qu'il avait une connaissance profonde de leur langue. Il se disculpe ensuite des calomnies et des inju res grossières que les Juifs vomissaient contre lui. Sa défense ne manque pas de chaleur, mais elle est sage, modeste, spirituelle et toujours prise de quelque texte de l'Écriture sainte, ce qui lui donne quelque chose de singulier. Enfin il avertit qu'il va combattre les Juifs, surtout d'après les prophètes, et qu'il citera tous les passages à l'appui de son opinion, en hébreu et en latin : après quoi, il prévient ceux qui liront ou transcriront son livre, de s'attacher principalement à bien écrire l'hébreu, de peur que les Juifs n'accusent les chrétiens d'ignorance, et ne tournent en ridicule leurs prêtres s'ils prétendaient disputer avec eux, sans connaître leur langue.

Guillaume divise son ouvrage en trente chapitres, par allusion aux trente pièces d'argent pour lesquelles les Juifs consentirent à livrer le Christ. Quia Judæi pro triginta argenteis Christum sibi traditum per invidiam tradiderunt, ideò scripsi eis triginta capitula. A juger du reste de l'ouvrage d'après le premier chapitre qu'Hommey en a donné, on doit croire qu'il est solidement fondé sur des raisonnements concluants. L'auteur cherche, dans ce premier chapitre, à établir le mystère de la Sainte-Trinité, en s'appuyant sur les passages de l'Ancien Testament qui sont cités pour être relatifs à ce dogme. Il discute ces passages d'une manière vive et serrée; ses raisons et les conclusions qu'il en tire ont assez de force et de chaleur, et ne peuvent provenir que d'un homme doué d'un jugement sain, et habitué à s'exercer sur les questions les plus difficiles.

Le même Guillaume est encore auteur d'un ouvrage intitulé Expositio in lamentationes Jeremiæ, qui se trouve manuscrit à la Bibliothèque royale. C'est un volume in-4° d'envi

ron 250 pages, sous le no 575, bien conservé et d'une belle écriture du XIIIe siècle. Quoique le titre de cet ouvrage ne lui donne que la qualité de juif (Incipit expositio Guillelmi Judæi super Lamentationes Jeremia), il paraît néanmoins qu'il ne le composa qu'après sa conversion, car il cite avec le plus grand respect, dans le cours de ses commentaires, les évangiles et les écrits des Apôtres, et il dit dans un endroit : Sicut idem Dominus incarnatus in Evangelio.

On y lit d'abord les Lamentations du prophète transcrites en entier à la tête des commentaires; l'auteur reprend ensuite chaque verset séparément, et consacre un chapitre plus ou moins long à l'expliquer. Son commentaire n'est pas simplement littéral, on y trouve quelquefois de courtes observations grammaticales; mais généralement, ce sont les allégories qu'il emploie pour expliquer son texte. Ainsi, Jérusalem est une ame pécheresse; les Babyloniens qui la dévastèrent sont les démons et les vices; et les ruines de cette cité sainte sont les suites du péché de l'ame. C'est ainsi qu'il tourne ce texte dans tous les sens, pour l'appliquer à l'état d'une ame coupable et abandonnée de Dieu.

Malgré de nombreuses allégories, il est toujours clair, mais quelquefois diffus. On remarque des passages empreints d'une touchante sensibilité et qui montrent que l'écrivain était pénétré de son sujet. L'on voit aussi qu'il avait une connaissance profonde du cœur humain : les conseils et les règles de conduite qu'il donne le prouvent, et rappellent quelquefois la noble simplicité du style de l'imitation de Jésus-Christ.

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Lament., cap.

Comme tout l'ouvrage est en quelque sorte allégorique, il arrive souvent que l'allusion est bien amenée et s'applique naturellement au sujet; mais souvent aussi elle est forcée, et il était presque impossible qu'il en fût autrement. C'est ainsi qu'en expliquant ce verset, Facti sunt principes ejus sicut arietes... il dit que les béliers, qui sont les chefs du troupeau, désignent les docteurs, les pasteurs du peuple, dont ils sont 1, v. 6. les chefs spirituels, et qu'ils doivent édifier et diriger par leur piété, leurs instructions et leur bon exemple; qu'une des plus grandes calamités qui puisse affliger la nation, c'est lorsque les brebis ne trouvent point de pâturages, c'est-à-dire lorsque les pasteurs, négligeant de nourrir leurs ames des paroles de l'Écriture sainte, Pascua sunt divina eloquia, elles se trouvent privées de nourriture. Et que les pasteurs ne disent pas, continue-t-il, qu'ils ne peuvent pas trouver eux

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v. 25.

mêmes ces pâturages, car il est dit dans Salomon, aperta Prov., cap. 27, sunt prata et apparuerunt herbæ virentes...... Ce qui signifie que les paroles de l'Écriture sont clairement exposées, et que l'on y découvre facilement l'excellence de toutes les vertus, quæ sunt piarum pabula animarum. Nulla ergò excusatio relicta est arietibus non inveniendi pascua, quia in inquirendi inertia manifestatur eorum culpa.

Cette allusion est, comme on le voit, assez naturelle et bien suivie : mais en voici une autre d'un genre tout différent. En expliquant le passage où il est dit des femmes de JéruLament., cap. salem: Coxerunt filios suos: facti sunt cibus earum... Il dit

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que nos actions sont les enfants de nos ames. Per filios itaque... mulierum, intelliguntur opera animarum semine verbi Domini fœcundatarum, quæ filios suos coquunt cum igne timoris vel amoris divini, et in instrumento compunctionis exanimant. Les allégories de cette dernière espèce sont heureusement rares chez notre auteur.

:

L'allusion suivante paraît assez spirituelle, lorsqu'il dit, à propos de ce verset, Parvuli ejus ducti sunt in captivitatem..., que les petits enfants de l'ame sont les cinq sens de notre corps l'ame gouverne les sens; et quand elle est esclave, les sens le sont aussi. Parvuli animæ sunt sensus corporis quinque, quorum est quasi pedagogus, quæ videlicet mens cum facta fuerit ancilla cupiditatum, ipsi sensus ducuntur in captivitatem vitiorum.

On trouve encore, dans le cours de cet ouvrage, des pensées fines et originales, mêlées de quelques réflexions judicieuses. En parlant de la force et du bonheur de l'ame, qui semblable à un roi gouverne ses facultés, il dit: In regno terreno provinciæ plurima existunt, quæ quantò feliciores juris consensu et divitiis procedunt, tantò princeps earum metuendus adversariis suis apparet, et gloriosior inter suos refulget. Qui hujus mundi quoquo modo quærunt honores, dit-il dans un autre endroit; et humanas appellant laudes, humilitatis nesciunt iter, cujus proprium est tenere, ex voto, inter alios ultimum locum, nolle inter magnos nominari, imò studere à cunctis ignorari.

Le style de Guillaume est généralement assez bon; il serait de meilleur goût, sans la multitude d'allégories qu'il trouve moyen d'adapter à tout; il est coulant, facile, rarement élevé, sans pourtant manquer d'élégance, et l'on ne trouve, dans ses écrits, aucune de ces phrases triviales, où les

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