Page images
PDF
EPUB

nité (1). Et qu'on ne dise pas que la charité est moins généreuse et moins noble, parce qu'elle attend une récompense. Il serait téméraire de mesurer, suivant nos idées humaines, ce qui appartient à une aussi haute région. D'ailleurs, ce n'est pas dans ce monde que la récompense doit s'obtenir. Pour être elle-même, la charité doit, au contraire, demeurer secrète et cachée; la main gauche ne doit pas même savoir ce que la droite donne ; mais rien de ce qui peut fortifier une vertu ne pouvait manquer à celle que Dieu appelait à jouer un si grand rôle sur la terre comme dans les cieux. Une noble ambition guide presque toujours les vertus humaines les plus parfaites; et quelle ambition plus digne de l'homme que celle d'aspirer au bonheur éternel par la vertu ! Pour le chrétien, l'immortalité de l'âme, la vie qui ne finira plus, sont nécessairement des pensées suprêmes et constantes. L'idée de la félicité éternelle ne peut, dans son cœur, se séparer de l'exercice et de l'amour du bien. C'est ainsi que la charité l'anime incessamment à se diriger vers cette fin sublime. Tous les sacrifices lui sont commandés pour y atteindre; tous, hors celui du désir et de l'espérance de l'obtenir.

Considérée sous le rapport purement humain, il est aisé de voir combien le pouvoir de cette haute récompense était encore nécessaire et combien est profonde la pensée qui a uni à la charité l'attrait d'une rémunération inestimable.

La pitié, la compassion ne sont que les élémens humains de la charité. Ils s'y rattachent par notre nature, mais

(1) Mercier, que nous avons déjà cité, dit encore dans son Tableau de Paris: «Laissons le terme de bienfaisance accompagner celui de charité. Plus heureux, cependant, celui qui donne sous l'œil de Dieu, et qui soulage son prochain comme son frère. Le sens du mot charité a une profondeur plus sublime que celui de bienfaisance. C'est l'amour de la créature comme ouvrage du Créateur, il y entre de l'adoration, du respect, du sentiment. Après le mot de Dieu, le mot charité est celui qui doit occuper le premier rang dans toutes les langues humaines, »

seulement comme un degré pour arriver à la perfection, attribut de toute vertu céleste. La bienfaisance n'est qu'une vertu incomplète, si on la sépare des idées religieuses et des préceptes du christianisme, si on la considère comme une simple satisfaction donnée au sentiment de pitié ou de compassion naturel à l'homme; elle s'éloigne bien plus encore de son origine élevée lorsque, soumise à de froids calculs, elle est réduite à des combinaisons de politique ou d'économie publique, et se matérialise comme la philosophie moderne. Nous aurons l'occasion de comparer les deux charités, telles que les conçoivent et les appliquent les deux systèmes philosophiques; mais, d'avance, nous aimons à comprendre cette vertu telle que le pauvre la comprend dans sa touchante, naïve et cependant si solennelle prière : « Pour l'amour de Dieu! » nous dit-il. Par ces mots si simples, il se présente à nous comme image, comme membre de l'Homme-Dieu, et réveille le souvenir de ces paroles sublimes : « J'étais nu, et vous m'avez vêtu; j'avais faim, et vous m'avez rassasié, » qui doivent retentir au jour du jugement. Le pauvre, en s'adressant ainsi au riche, lui exprime non seulement une prière, mais encore lui donne un commandement, un avertissement et une consolation. Sa prière renferme ainsi tout le secret de l'univers moral. N'en doutons pas, elle lui a été inspirée par Dieu lui-même.

Nous terminerons ces réflexions par cet admirable passage de la lettre où saint Paul instruit les premiers chrétiens de l'excellence de la charité.

« Mes frères ! quand je parlerais le langage de tous les hommes et de tous les anges même, si je n'ai pas la charité, je ne suis que comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante; et quand j'aurais le don de prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères et que j'aurais une parfaite science de toutes choses, et quand j'aurais toute la foi possible et capable de transporter des montagnes, je ne suis

rien; et quand j'aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela même sert de peu. La charité est patiente; elle est douce, elle est bienfaisante: la charité n'est pas envieuse, elle n'est point téméraire ou précipitée; elle ne s'enfle point d'orgueil, elle n'est point ambitieuse : la charité ne finira jamais. Or, ces trois vertus, la foi, l'espérance et la charité demeurent maintenant ; mais la charité est la plus excellente de toutes (1). »

(1) Saint Paul, épître aux Corinthiens.

CHAPITRE II.

DE L'AUMÔNE.

Si je demande à chaque obole,
A chaque larme qui console,
A chaque généreux pardon,

A chaque vertu qu'on me nomme,
En quel nom consolez-vous l'homme?
Ils me répondent En son nom!
(LAMARTINE, hymne à J.-C.)

Le précepte de l'aumône dérive nécessairement de celui de la charité il est donc divin, sacré, impérieux. Mais l'aumône ne consiste pas à donner quelque secours à l'indigent; elle embrasse toutes les œuvres de miséricorde, tous les égards que les hommes se doivent entre eux ; elle est la charité mise en action, et doit nécessairement participer de sa nature et de ses bienfaits.

Saint Augustin définit merveilleusement les caractères de l'aumône telle qu'elle doit être comprise et appliquée :

<< Donner à manger à celui qui a faim et à boire à celui qui a soif, revêtir un homme nu, loger un voyageur, donner asile à un fugitif, visiter un malade ou un prisonnier, racheter un esclave, soutenir un affligé, panser un blessé, montrer le chemin à celui qui s'égare, donner un conseil à celui qui en a besoin et la subsistance à un pauvre, ne sont pas les seules espèces d'aumônes que l'on

peut faire; mais pardonner à celui qui pèche, ou le corriger quand on a l'autorité sur lui, en oubliant l'injure que l'on en a reçue et en priant Dieu de lui faire grâce, ce sont des œuvres de miséricorde que l'on peut regarder comme des aumônes (1). »

Il s'ensuit que l'aumône peut et doit s'appliquer diversement suivant les lieux, les hommes, les temps et les circonstances; mais avec cette condition absolue que, dans aucun cas, un malheur ou une souffrance ne peuvent demeurer sans soulagement immédiat et efficace, selon le pouvoir et les facultés de l'homme auquel ils se sont manifestés.

De tous les modes d'exercer la charité, l'aumône simple, c'est-à-dire le don d'une pièce de monnaie ou d'un morceau de pain, fait au pauvre qui le sollicite ou l'attend, est sans doute le plus facile et le plus commode ; par cela même il est devenu usuel et général; il n'est pas sans doute le meilleur; mais gardons-nous de le blâmer ni d'en ébranler le principe, car il est souvent le seul à la portée de la plupart des hommes; et tant que l'organisation sociale est encore imparfaite à l'égard de la charité, il est évidemment le plus praticable.

Dans les premiers temps du christianisme, le principe de l'aumône apparut dans toute sa force. La ferveur de l'église primitive engagea les fidèles à vendre leurs biens et à en déposer le prix aux pieds des apôtres pour subvenir aux besoins des indigens. Saint Paul écrivant aux Corinthiens, leur recommande de faire des collectes ou des quêtes tous les dimanches pour assister les pauvres, comme il l'avait prescrit aux églises de Galatie. Saint Justin fait connaître que tous les fidèles de la ville et de la campagne s'assemblaient le dimanche pour assister à la célébration des saints mystères; qu'après la prière, chacun faisait son aumône

(1) Lib. de Fide, Spe et Charit. (72, no 19.)

« PreviousContinue »