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suivi dans les anciennes provinces de Lorraine, d'Alsace et de Franche-Comté.

Cette situation, à peu de différence près, se retrouve dans les départemens du centre de la France où les travaux agricoles, le bas prix des comestibles et l'aisance plus générale des propriétaires qui habitent les campagnes, assurent de l'ouvrage et des secours à la classe des ou→ vriers.

La région de l'ouest réunit des conditions précieuses pour les classes indigentes. Le littoral offre des moyens de subsistances et de travail, par la pêche et la navigation. Le climat est tempéré ; les vignes, dans la majeure partie de cette contrée, occupent une infinité de bras. En Bretagne, où les vignobles cessent de croître, les châtaignes, le blé noir et le laitage deviennent, par compensation, une ressource abondante et économique pour les malheureux. Les bureaux de bienfaisance sont, en général, dénués de revenus; mais il existe des terrains d'une immense étendue où les pauvres peuvent recueillir quelques produits et exercer des droits de propriété et d'usage. Là, d'ailleurs, le bas prix des denrées et l'extrême simplicité de mœurs des classes inférieures semblerait devoir rendre peu nombreuse la population indigente. Toutefois, il est loin d'en être ainsi. Il existe une quantité effrayante de pauvres et de mendians dans les départemens de l'ancienne Bretagne, mais il faut remarquer que ce paupérisme se manifeste principalement dans les cantons où l'ancienne et riche industrie agricole et manufacturière des chanvres et des lins a disparu par l'introduction de l'industrie du coton. Sur une population de 2,522,851 habitans, les départemens formant la province de Bretagne comptent 152,683 indigens (dont 46,172 mendians), c'est-à-dire le 16 8|15 de la population totale. A la cause de misère que nous venons de signaler, la vérité oblige d'en mentionner plusieurs autres. Un territoire immense encore en friche;

des communications difficiles; des malheurs politiques dont les traces n'ont pas disparu; dans les villes comme dans les campagnes, un penchant funeste à l'ivrognerie. Dans les campagnes, en outre, une profonde ignorance, des mœurs âpres et rudes, un entêtement obstiné aux anciennes routines et une opposition énergique à toute idée d'amélioration nouvelle. La charité particulière y est active et inépuisable, mais, hors de l'enceinte des villes, dirigée sans prévoyance et sans discernement éclairé. Heureusement, dans cette province, le respect de la propriété, l'attachement aux anciennes croyances, un esprit conservateur des doctrines morales, la résignation religieuse des pauvres et la charité pratique des riches, servent de compensation souvent avantageuse à des maux qu'il sera plus facile d'y guérir, parce que leurs causes appartiennent beaucoup moins à la démoralisation générale.

Dans le nord du royaume, un ciel rigoureux multiplie les besoins et commande des habitudes onéreuses. L'humidité constante de l'atmosphère exige l'usage des boissons fortes et d'une alimentation très substantielle. Le chauffage et des vêtemens chauds sont des objets de nécessité première pendant presque la moitié de l'année. Les classes ouvrières pauvres, livrées de bonne heure à l'industrie manufacturière, sont très ignorantes et sans énergie physique et morale. A l'exemple de l'Angleterre, les entrepreneurs de la haute industrie les considèrent uniquement comme des instrumens mécaniques. Les procédés économiques sont très répandus dans l'industrie manufacturière et même dans l'agriculture dirigée d'après le système anglais. La culture des plantes oléagineuses a pris, surtout en Flandre, une extension qui nuit à la production des plantes alimentaires. Les fruits sont trop rares et trop chers pour offrir une ressource à la classe pauvre. La population se trouvant agglomérée et pressée en quelque sorte dans un espace très circonscrit, les loyers sont né

cessairement très chers. Il n'existe pas, en général, dans la région du nord, des terrains communs où les pauvres aient le droit de faire paître des bestiaux, et quoique les bureaux de bienfaisance soient abondamment dotés, relativement à ceux des autres provinces, la misère ne peut jamais en recevoir que de très insuffisans secours, et devient ainsi une charge très onéreuse pour la bienfaisance particulière. Le système d'industrie et d'agriculture suivi dans cette partie de la France tend sans cesse, d'une part, à accroître la population manufacturière ; de l'autre, à abaisser le taux des salaires, à concentrer les capitaux et les bénéfices de l'industrie et à amener ainsi tous les élémens générateurs du paupérisme. Il y a plus de richesses que dans les autres provinces, mais elles sont très inégalement réparties. Toutes ces causes expliquent le nombre et la condition déplorable des indigens dans cette partie du

royaume.

Le tableau [C] des indigens existans dans chacune des régions de la France, en 1829, donne les résultats suivans :

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Nous plaçons, après ce tableau, la nomenclature des départemens dans l'ordre de l'intensité et de l'indigence [D].

Les calculs sur lesquels ces travaux sont établis, reposent en grande partie sur des renseignemens que nous devons à l'obligeance du plus grand nombre de MM. les préfets du royaume; nous joignons ici [E] un extrait sommaire de ces documens administratifs.

Quoique ces bases, comme on l'a déjà dit, soient en général seulement approximatives, et ne puissent prendre un caractère officiel qu'à l'égard d'un petit nombre de départemens, il est difficile de méconnaître (et l'on en sera convaincu par l'exemple du département du Nord, sur lequel nous présenterons, dans le chapitre suivant, le résultat d'études spéciales) que, dans vingt départemens du royaume, et sur une population de 10,062,769 habitans, comprise dans la zône souffrante (c'est-à-dire environ le 15 et 58 de la population générale de la France), l'indigence est devenue, surtout pendant la saison rigoureuse, une charge cruelle, intolérable, qui menace de s'aggraver tous les jours et qui exige des remèdes extraordinaires. Là, on compte 1 indigent sur 13 individus, tandis qu'une grande portion de la population générale (environ 13,043,514 habitans), ne compte qu'un indigent sur 23 individus, et qu'un certain nombre de départemens favorisés, renfermant 8,774,591 habitans, ne produisent qu'un indigent sur 33 individus (1).

Il serait sans doute d'un grand intérêt de vérifier soigneusement l'exactitude de ces calculs et de rechercher plus complétement que nous avons pu le faire, les causes morales et physiques qui, agissant, dans chaque localité, sur le sort des classes inférieures, favorisent et arrêtent le développement du paupérisme. La société des établissemens charitables, fondée en 1830, mais qui paraît avoir

(1) En prenant pour base divers renseignemens statistiques, on peut diviser ainsi qu'il suit la population indigente de la France :

1o Vieillards, Go,000 (dont 40,000 mendians).

2o Infirmes, 180,000 (dont 52,000 mendians).

3o Indigens par surcharge d'enfans, 790,000 (sur ce nombre environ 574,000 enfans (les 3/5), dont 76,000 mendians).

4° Indigens par défaut ou insuffisance de travail ou par suite de malheurs, 350,000.

5° Indigens par inconduite, 306,340 (dont 30,000 mendians des deux sexes valides).

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M. le baron Degérando (Visiteur du pauvre) établit ainsi le rapport des

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ralenti ses travaux, semblait appelée à se livrer à cette enquête paternelle que nous indiquons à tous les gouvernemens comme digne de l'attention la plus sérieuse. Nous avions nous-même entrepris ces investigations en 1828 et 1829, c'est-à-dire dans un état de paix et de prospérité pour la France. Depuis cette époque, une grande révolution s'est accomplie, et notre éloignement des affaires publiques nous a empêché de suivre les progrès du paupérisme, au milieu du bouleversement général des fortunes, de l'industrie et du travail. Ces progrès ont dû être effrayans si l'on peut en juger par les secours demandés au gouvernement pour venir au secours des grands établissemens industriels. D'un autre côté, les événemens de Lyon, les rapports des journaux de Paris et des dépar

diverses classes d'indigens à la population indigente totale, à Paris, près les relevés dressés par ordre du conseil général des hospices.

Sur 100 indigens, on compte ; Hommes mariés.

Femmes mariées

d'a

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16,0

6,9

1,7

13,5

0,7

3,4

48,7

9, I

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En faisant remarquer que la misère tombe essentiellement sur les gens mariés, sur les veuves, et sur les familles surchargées d'enfans en bas-âge, M. Degérando pense qu'il ne faut pas conclure que les indigens se marient plus facilement et que leurs mariages soient plus féconds. Il faut seulement reconnaître, dit-il, que les ménages chargés d'enfans en bas-âge et les veuves sont, par leur position elle-même plus exposés à l'indigence. Nous ne croyons pas cette conclusion tout-à-fait juste. L'expérience prouve que les ouvriers se marient en général de très bonne heure, et ont par conséquent beaucoup d'enfans. Or, c'est dans cette classe surtout que se manifeste l'indigence, et l'on ne peut nier que la précocité et l'imprévoyance dans les mariages ne soit une des causes principales de la misère des prolétaires. Le fait remarqué par M. Degérando confirme entièrement, d'ailleurs, les observations de MM. Malthus et de Sismondi.

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