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Avant la révolution de 1789, l'instruction était gouvernée en France par les magistrats de Vordre judiciaire et de l'ordre civil, par les parlemens, par les évêques et les curés, par les universités, et enfin par les congrégations enseignantes dont aucune ne pouvait s'établir dans le royaume sans lettres-patentes, dûment enregistrées.

Charlemagne, Saint-Louis, François Ier, Henri IV et Louis XIV, parmi nos rois, donnèrent une attention spéciale à l'instruction de la jeunesse. Ces deux derniers monarques avaient protégé et fondé, en tout ce qui dépendait du pouvoir civil, un système complet d'enseignement public.

Tous les ordres de l'état s'étaient trouvés constamment d'accord avec nos rois sur les bienfaits et la nécessité de l'instruction.

En 1560, aux états-généraux d'Orléans, la noblesse, loin de craindre que le peuple ne fût instruit et éclairé, voulait (ce sont les termes dont elle se servait) : « Pédagogues et gens letirés en toutes villes et villages, pour l'instruction de la pauvre jeunesse du plat pays, en la religion, bonnes mœurs et autres sciences nécessaires. »

Et persuadée qu'il faut souvent faire le bien aux hommes malgré eux ; que si telle est la condition des pères de famille vis-à-vis de leurs enfans, telle est à plus forte raison la condition des gouvernemens envers des pères de famille, la noblesse voulait de plus : qu'il y eût contrainte et amende contre les pères et mères qui négligeraient d'envoyer leurs enfans aux écoles. »

Henri IV, par une déclaration de 1593, consacra ce vœu qui pouvait paraître sévère, mais qui témoigne du inoins de l'opinion que professait au sujet des lumières, un ordre que l'on a si souvent peint comme intéressé et disposé à maintenir le peuple dans l'abrutissement et la servitude.

Louis XV et Louis XVI avaient suivi les traces de leurs glorieux devanciers. Le premier, affectant à l'université

d'honorables revenus, voulut l'enseignement gratuit. Le second, si naturellement généreux et le meilleur ami des Français, voulut l'éducation nationale, comme il voulait la liberté et le bonheur de tous.

Aux états-généraux de 1789, le clergé et la noblesse se montrèrent encore unanimement disposés à seconder les vues paternelles de ce monarque de sainte mémoire. Dans cette assemblée, le clergé avait ainsi rédigé une partie de ses cahiers. « L'éducation publique ayant une influence si marquée sur le sort des empires par les sentimens qu'elle fait germer dans le cœur des citoyens et les mœurs auxquelles elle les forme, le clergé a toujours mis au nombre de ses principaux devoirs l'abligation de s'en occuper essentiellement et de les surveiller. »

« Ce qui doit attirer les soins paternels de sa majesté au moment qu'elle s'occupe de regénérer la nation, c'est l'instruction publique. C'est du sein des états-généraux que doit sortir enfin le plan si universellement désiré d'une. éducation salutaire et générale. »

La noblesse s'exprimait en ces termes :.

« L'assemblée nationale portera sûrement son attention sur les établissemens d'instruction publique qui, manquant absolument dans plusieurs parties du royaume, y sont presque partout imparfaits. Ces fondations, presque toutes anciennes, ont conservé la routine des. siècles qui les ont vues naître. Il serait temps de les faire participer aux lumières acquises, de leur donner un régime plus propre à former des citoyens de tous les états, et surtout de propager jusque dans les campagnes, les moyens d'une instruction suffisante à ceux qui les habitent et qui puisse s'étendre même jusqu'aux pauvres. »

« Que l'éducation publique soit perfectionnée, qu'elle soit étendue à toutes les classes des citoyens; qu'il soit rédigé pour tout le royaume un livre élémentaire contenant sommairement les points principaux de la constitution :

qu'il serve partout à l'instruction de la jeunesse, à la première instruction de l'enfance; et que les Français, en naissant, apprennent à connaître, à respecter et chérir leurs lois. Il sera arrêté des lois invariables relativement à l'éducation nationale, et les états-généraux aviseront aux moyens de trouver les fonds nécessaires pour pourvoir à l'entretien, et récompense des maîtres pour l'éducation des pauvres. »

Le tiers-état demandait également : « Qu'il fût fait un plan d'éducation nationale dont le principal but sera de donner aux élèves une constitution robuste, des sentimens patriotiques, et la connaissance des principes néeessaires à l'homme social et au Français. »

Jusqu'en 1789, les petites écoles ou écoles primaires pour les pauvres avaient été partagées entre diverses congrégations qui étaient plus ou moins soumises à la juridiction de l'ordinaire (l'évêque) dans les différens diocèses, et des maîtres isolés, qui exerçaient leur état avec l'approbation préalable et sous la direction immédiate, soit de l'écolâtre, soit de l'archidiacre, soit du grandchantre (1) ou de son vicaire, soit enfin des curés, sans néanmoins aucun préjudice des droits de ceux à qui une fondation, ou tout autre titre, donnait le droit de nommer aux places de maîtres et de maîtresses d'école.

Cela était conforme aux anciennes lois et notamment à l'édit de 1695 dont le 25e article était conçu en ces termes: « Les régens, précepteurs, maîtres et maîtresses d'école des petits villages seront approuvés par les curés des paroisses ou autres ecclésiastiques qui ont le droit de le faire. >>

Les archevêques, évêques et archidiacres pouvaient donner l'ordre de les remplacer, si l'on n'était pas satisfaits de leur doctrine et de leurs mœurs (2).

(1) Dignitaires du chapitre diocésain.

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(2) « Que de choses admirables, dit M. le baron Ch. Dupin, dans l'an

Mais cette législation s'était affaiblie dans la pratique. En 1789, le clergé demanda que les anciens réglemens tendant à conserver et fortifier la précieuse influence des curés sur l'éducation, et surtout sous le rapport de l'éducation chrétienne, fussent remis en vigueur. En même temps, le tiers-état proposait d'ajouter à l'art. 25 de l'édit de 1695 une disposition en vertu de laquelle l'examen, pour la reception ou le renvoi des maîtres et maîtresses d'école, serait fait par le curé en présence du syndic et de quatre notables de la paroisse, et même de deux curés voisins, si les maîtres ou maîtresses le requéraient, le tout sous l'inspection des assemblées provinciales et municipales. Ce moyen paraissait obvier aux inconvéniens qu'on avait reconnus dans le droit exclusivement attribué aux supérieurs ecclésiastiques de nommer et de destituer les maîtres et maîtresses d'école.

Tout, néanmoins, demeura dans le même état jusqu'au mois d'août 1792.

Malgré les vœux ardens du roi Louis XVI, la loi constitutionnelle de 1791 qui promettait à la France une éducation nationale et gratuite pour les classes pauvres (1),

cienne instruction publique! Combien d'écoles gratuites! combien de bourses offertes aux jeunes gens qui n'avaient pour eux que des dispositions! aux jeunes gens que la fortune semblait condamner à n'acquérir jamais une instruction approfondie! Quelle modicité dans la plupart des frais de pensionnat et d'école! De nos jours, au contraire, quelle indécente fiscalité! quelle rapacité ! et, dans beaucoup d'établissemens, quelles extorsions scandaleuses n'imaginent pas les chefs d'institution, pour arracher des familles tout l'argent qu'on peut en extraire, par un talent ingénieux d'inventer et de grossir des comptes de toute espèce!» (Des Forces productives de la France.)

Il est facile d'expliquer la différence signalée par l'honorable écrivain. Dans les institutions anciennes, il y avait une origine de religion et de charité; dans les nouvelles, l'égoïsme et la morale des intérêts matériels ont dû remplacer trop souvent l'esprit religieux et charitable.

(1) Le rapport fut fait à l'assemblée constituante par M. de Talleyrand Périgord, évêque d'Autun, dans les séances des 10 et 11 septembre 1791.

n'avait donné que de trompeuses espérances, et renfermait des germes de destruction que la seconde assemblée dite législative, se chargea de faire fructifier.

Le décret du 18 août 1792 prouva en effet qu'elle ne s'était guère occupée de l'instruction publique que pour la détruire. Voici comment il était conçu : « Considérant qu'un état vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corporation, pas même celles qui, dévouées à l'enseignement public, ont bien mérité de la patrie, déclare éteintes et supprimées toutes les congrégations connues en France sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques, telles que celles des prêtres de l'oratoire, de Jésus, de la doctrine chrétienne, de la mission de France ou Saint-Lazare, des Eudistes, de Saint-Joseph, de Saint-Sulpice, de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, du Saint-Esprit, des missions du Clergé, des Mulotins, etc., les congrégations de filles, telles que celles de la Sagesse, des écoles chrétiennes, des Wattelotes, de SaintCharles, etc., même celles uniquement vouées au service des hôpitaux et au soulagement des malades, et toutes autres associations de piété ou de charité. » (Art. 1er.)

L'art. 6 ordonnait aux membres des congrégations enseignantes de continuer leurs fonctions à titre individuel, jusqu'à l'organisation définitive de l'instruction publique. L'article 9 abolissait et proscrivait tous les costumes religieux.

Cette loi, que précéda de quelques mois le rapport sur l'organisation générale de l'instruction publique, fait, le 20 avril 1792, à l'assemblée législative par Condorcet, consacra le triomphe du philosophisme moderne sur la charité chrétienne. C'est à ce terme que voulaient arriver les novateurs, disciples fervens de l'école voltairienne : le mauvais génie des peuples dut en tressaillir de joie.

Cette œuvre de destruction consommée, on comprend que l'instruction des classes pauvres fut entièrement aban

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