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affligeant, en effet, de penser que dans cette contrée, si florissante en apparence, plus du sixième de la population gémit dans les privations et dans la misère, et que plus d'un tiers de la classe industrielle soit obligée de recevoir le pain de la charité publique!...

Dans les campagnes, cette proportion n'est guère que du 12 au 15; mais dans les villes et les populations agglomérées, elle s'élève souvent au quart de la population. Nous en citerons quelques exemples.

A Lille, ville peuplée de 70,000 habitans, on trouve 22,281 pauvres (1).

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En 1789, la population du département du Nord était de 808,147 individus ; on comptait à cette époque dans le département environ 120,000 indigens, c'est-à-dire les 16 23 de la population générale (2). Aujourd'hui cette population, portée, d'après le recensement de 1827, 962,848 habitans, présente, comme on l'a vu, 15 78 d'indigens. Il en résulterait donc que depuis trente-huit ans la population se serait accrue de 15 24642|154701, ou de 154,701 habitans, et que, sur ce dernier nombre, se trouvent 43,455 indigens, ou 15 55. Ainsi, l'accroissement total des indigens, depuis 1789, serait de 16 140/193, et l'indigence aurait multiplié dans un rapport

(1) En 1828, on comptait à Lille 31,664 indigens. Une rectification rigoureuse des listes de pauvres, ordonnée par le préfet, a opéré une réduction de 9,383 individus admis abusivement aux secours annuels.

(2) Statistique de M. Dieudonné, premier préfet du département du Nord.

qui ne s'éloigne pas beaucoup du progrès de la population générale (1); mais il faut remarquer que le rapport de l'indigence nouvelle à la population nouvelle étant de 15 35, le paupérisme a marché bien plus rapidement encore que la population. Le rapport de ce double progrès est 15 35: 16 140193.

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Les secours destinés par la charité publique au soulagement des indigens, s'élèvent, ainsi qu'on l'a vu dans le tableau précédent, à une somme évidemment très inférieure aux besoins, puisque le secours moyen annuel ne saurait être que de 5 fr. 42 cent. par individu. Il est superflu de dire que l'application en est faite d'après l'âge et les infirmités des pauvres, le nombre d'enfans, les charges de la famille, etc., de sorte que parmi les indigens inscrits sur les listes de l'administration il en est un grand nombre qui ne reçoivent absolument rien, et qui n'ont d'autre prérogative que d'être traités gratuitement par le médecin ou l'officier de santé attachés au service des pauvres, lorsqu'ils ne peuvent être admis dans les hôpitaux. Les secours qu'ils reçoivent d'ailleurs, et sans lesquels ils ne pourraient subsister, sont dus à la bienfaisance particulière. On ne peut guère évaluer à moins de 50 fr. le taux moyen du secours annuellement nécessaire à chaque indigent pour l'aider à subsister. La charité publique, accordant 5 fr. 42c., il resterait à la charge de la charité privée 44 fr. 58 c. par individu, ce qui fait une somme annuelle de 6,752,912 fr. 74 cent.; mais quelque infatigable, quelque inépuisable que puisse être cette charité, on conçoit qu'elle ne peut subvenir à toutes les nécessités et soulager toutes les souffrances (2).

n'a

(1) La population du département du Nord s'est accrue chaque année, depuis 1816, de 1/138. Cet accroissement, pendant la même époque, guère été que de 1/165 pour la généralité de la France.

(2) Nulle part la charité chrétienne ne s'exerce avec plus de zèle et de dévouement que dans la ville de Lille et le département du Nord. On y

Chaque ville ou commune rurale du département possède un bureau de bienfaisance et des revenus provenant de dotations qui s'élèvent en masse à 754,857 fr. 7 cent. Les budgets municipaux ajoutent à ces ressources une allocation totale de 220,985 fr.: à chaque bureau de bienfaisance sont attachés un médecin ou un chirurgien et une sage-femme accoucheuse, qui doivent soigner gratuitement tous les indigens.

Dans les communes rurales, les administrations charitables, dépourvues d'hôpitaux et d'hospices, placent les vieillards et les orphelins chez des particuliers moyennant une pension modique. Jusqu'en 1828, l'usage général était de faire de ces placemens l'objet d'une adjudication publique au rabais. A cette époque, le préfet proscrivit cette forme inconvenante et immorale, et chargea les administrateurs des bureaux de bienfaisance de placer seulement les vieillards et les orphelins indigens et infirmes, qui étaient sans parens, chez d'honnêtes cultivateurs, voit fréquemment des personnes riches abandonner en secret tous leurs revenus aux indigens, ou les employer à fonder des asiles en faveur des pauvres. Nous ne pourrions les nommer sans trahir leur modestie; mais nous aimons à citer particulièrement les dames de Charité, les dames de la Société de Charité maternelle, MM. les curés et les administrateurs des hospices, etc. Nous avons eu trop à nous louer du concours des principaux fonctionnaires qui partageaient avec nous, en 1830, les soins de l'administration, pour ne point leur payer ici un juste tribut d'éloges et de reconnaisance. MM. de Muyssart, maire de la ville de Lille et ses adjoints; M. D'Usart- Descarnes, président de la commission administrative des hospices, M. Lemesre de Brulle, vice-président, MM. de Bardonnenche, Bequet de Mequille, de Garsignies, Saulay de Laistre, Coffins-Spins, et de Godefroy *, sous-préfets; MM. les maires des chefs-licux de sous-préfectures, de Bailleul, d'Estaires, de Merville, de Turcoing, de Bergues, de Roubaix, du Cateau, de Maubeuge, etc., rivalisaient d'efforts et de zèle pour l'amélioration du sort des malheureux, et ont laissé à leurs successeurs de nobles modèles à suivre.

M. de Godefroy, avant d'exercer les fonctions de sous-préfet à Valenciennes, avait été membre de la commission administrative des hospices de la ville de Lille, où il s'était fait remarquer par un zèle très éclairé. Depuis, ainsi que ses collègues, il a emporté, dans sa retraite, les regrets et les souvenirs de tous les hommes capables d'apprécier un noble caraetère, une rare sagesse, et les taleus les plus distingués.

moyennant une pension réglée de gré à gré, et avec toutes les garanties de soins et de traitemens convenables. Quant à ceux qui avaient une famille, il fut prescrit d'user des voies judiciaires, s'il en était besoin, pour forcer les parens à les entretenir, sauf à leur accorder un secours s'il était reconnu qu'ils fussent eux-mêmes dans l'indigence.

Le système des secours en nature, à domicile, est à peine connu dans la plupart des petites communes et même dans les villes considérables; les membres des bureaux de charité ayant peu de temps à sacrifier aux soins et à la visite de pauvres dont le nombre est excessif, trouvent plus commode de déterminer une allocation en argent, et quelquefois en pain, à des époques fixes, par mois ou par semaine.

Le service de santé des indigens est organisé dans presque toutes les communes; mais l'ignorance de plusieurs des officiers de santé et des accoucheuses auxquels il est confié dans les campagnes, ne permet pas d'espérer que des soins complets et suffisamment efficaces soient donnés aux malheureux. Les honoraires de ces officiers de santé et sages-femmes sont d'ailleurs fixés au taux le plus modique.

La vaccine est, en général, pratiquée dans le département du Nord. Mais elle éprouve encore des obstacles dans la classe ouvrière par l'effet d'anciens préjugés et par l'insouciance de quelques commissions de bienfaisance.

Des écoles gratuites existent dans tous les établissemens de charité, et, dans presque toutes les communes, un certain nombre d'enfans pauvres doivent être admis gratuitement aux écoles élémentaires. Toutefois, à peine 120 de ces enfans fréquente les écoles; les parens apportent une négligence insurmontable à faire profiter leurs enfans des bienfaits de l'instruction. Un grand nombre même s'y refusent tout-à-fait pour ne pas se priver des chétifs pro

duits qu'ils retirent de bras faibles et prématurément livrés à l'industrie manufacturière.

Nous avons dit que la majeure partie des indigens appartenait à la classe industrielle. En 1829, il n'existait nulle part, pour les ouvriers, de véritable caisse d'épargnes qui pût leur offrir, dans les cas très rares de salaires suffisamment élevés, la possibilité de se ménager quelques ressources pour la vieillesse. Les associations de prévoyance formées dans certaines villes parmi les ouvriers, ne procurent que des économies dont le produit est à peu près exclusivement destiné au cabaret. Aucune précaution d'hygiène, aucune surveillance morale, aucun moyen d'instruction ne sont établis dans les manufactures et ateliers (1).

Le goût des boissons fortes est tel, dans les villes, parmi la classse ouvrière, que des pères et souvent des mères de famille mettent en gage leurs effets pour le satisfaire, et vendent même, dans ce but, les vêtemens dont la charité publique ou la bienfaisance particulière ont couvert leur nudité. L'institution des monts-de-piété existant à Lille, à Cambrai, à Douai, à Bergues et à Valenciennes, loin de soulager la misère du peuple, ne sert guère qu'à augmenter sa démoralisation et son dénuement (2).

L'instruction religieuse a grand'peine à se faire jour au milieu d'un tel abrutissement; la voix des respectables membres du clergé n'est que peu ou point écoutée. D'ailleurs le petit nombre de prêtres existant dans le diocèse ne saurait satisfaire à des besoins si étendus et qui exigeraient,

(1) M. Dupont, médecin à Lille, auteur d'un mémoire sur les moyens d'améliorer la santé des ouvriers de cette ville, a proposé l'établissement d'une société de secours mutuels, dont il trace le plan et les statuts. Cet ouvrage respire les vues les plus charitables et le zèle le plus éclairé.

(2) Voir le chap. XIX relatif aux monts-de-piété, livre III.

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