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le sort de la classe ouvrière et indigente d'une province qui nous sera toujours chère à bien des titres, une grande commotion politique a aggravé encore le mal dont nous cherchons les remèdes. S'il faut en croire les récits qui nous sont parvenus, le nombre des indigens s'est accru momentanément d'une manière extraordinaire dans le département du Nord. Ce n'est pas exagérer que de porter cette augmentation au tiers, c'est-à-dire à 55,000 individus (1), ce qui aurait élévé le chiffre total des pauvres à près de 220,000 (le 14 4|11 environ de la population générale). Puisse le nouveau gouvernement parvenir à adoucir efficacement une telle misère!.... Mais les circonstauces ne permettent guère d'espérer que de longtemps il soit possible de guérir une plaie si profonde et qui tient aux vices d'une société corrompue dans ses principes moraux et économiques.

(1) Ou 11,500 ouvriers chefs de famille.

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CHAPITRE IV.

DE LA MENDICITÉ EN EUROPE.

Pour avoir le droit d'interdire et de punir la mendicité, il faut avoir réussi à faire disparaître l'indigence.

La mendicité, ce dernier degré de l'indigence et de la dégradation humaine, n'est que la conséquence extrême des causes qui produisent la misère publique; elle ne fait que révéler avec plus d'énergie les vices de l'état social.

Dans presque tous les états de l'Europe, les lois civiles considèrent, en général, la mendicité comme un délit punissable de leur côté, les Livres sacrés renferment ce précepte: « Qu'il n'y ait point d'indigent ni de mendiant parmi vous (1). »

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Ainsi la législation est d'accord sur ce point avec le christianisme, la nécessité de faire disparaître la mendicité; mais l'une veut atteindre le but par des châtimens, l'autre par la charité et par la morale.

La législation, dans son absolutisme sévère, suppose que la mendicité ne peut être l'effet que de la paresse et de la fainéantise. C'est admettre que la véritable misère est partout suffisamment secourue.

(1) Deuteronome, XV, 4.

Les riches égoïstes, importunés de l'aspect de la misère extérieure, ne voient dans le mendiant qu'un être dégradé, qui doit s'imputer à lui-même son dénuement et sa déchéance dans l'ordre de la société humaine. Comme l'image du pauvre, demandant son pain, trouble leurs jouissances, ils aiment à se persuader que le vice seul peut conduire à cette abjection. Ils ne veulent pas se donner la peine d'examiner les causes de cet excès d'inégalité sociale. Lorsqu'ils accordent un denier à une voix suppliante, ils croient avoir tout fait, et peut-être même d'avoir trop fait, car ils se reprochent d'avoir encouragé l'oisiveté et la débauche. Or, ce sont les riches qui ont fait les lois répressives de la mendicité.

La religion, au contraire, sait très bien que des malheurs imprévus et non mérités peuvent faire tomber l'ouvrier probe, et laborieux dans l'indigence; que le travail peut manquer à l'homme le plus moral; que le salaire est souvent insuffisant pour entretenir une nombreuse famille ; que l'ignorance involontaire, les maladies, les infirmités, la vieillesse et beaucoup d'accidens, indépendans de leur conduite morale, réduisent un grand nombre de malheureux à l'impuissance ou au défaut de travail. Eile sait que les asiles charitables ne suffisent pas pour recueillir tous ces infortunés. Dès lors elle prescrit l'aumône, elle veut que la charité et la justice réparent, envers eux, les conséquences de l'inégalité des conditions humaines, et adoucissent l'épreuve terrestre qu'ils sont destinés à subir. «Que l'abondance du riche, dit-elle, subvienne au dénuement du pauvre et rétablisse l'égalité (1).

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Fidèle à sa mission de salut, elle honorait, chez les pauvres, la Divinité elle-même, qui, sur la terre, avait voulu naître et mourir dans la pauvreté. Des intentions pieuses, mais peu éclairées, avaient présidé à la for

(1) Saint Paul.

mation des ordres de religieux mendians consacrés à la prière, et devant vivre uniquement des dons de la charité publique. Vers le temps des croisades, les pélerinages et le système féodal avaient réuni les idées d'hospitalité et de mendicité au point de confondre l'abus avec l'usage. Nous reviendrons sur ces notions historiques, en examinant la législation concernant les mendians. Mais dans ce temps-là même, la religion n'ignorait pas que les vices, répandus dans la société humaine, conduisent à l'abandon du travail, et que l'oisiveté engendre tous les vices. De tous les temps elle avait prescrit le travail à tous les hommes, comme la suprême loi de l'univers : elle avait flétri celui qui préfère demander son pain plutôt que de pourvoir lui-même aux besoins de son existence. Mais, à ses yeux, le malheur demeure toujours sacré. Elle aime mieux que la charité soit trompée dans ses largesses que retardée ou rendue illusoire par des recherches lentes ou des distinctions difficiles à établir. Elle recommande donc tous les pauvres aux riches de la terre. C'est en soulageant les uns par des secours matériels, les autres par travail, l'instruction et la morale, qu'elle désire voir accomplir le précepte: « Qu'il n'y ait ni indigent ni mendiant parmi vous. >>

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En effet, pour avoir le droit d'interdire et de punir la mendicité, il faut avoir réussi à faire disparaître l'indigence.

Ici encore se trouvent en présence les deux systèmes philosophiques; et, par eux, on peut expliquer la différence que présentent les divers états de l'Europe sous le rapport de l'indigence et de la mendicité.

Dans les pays où les doctrines de la civilisation matérielle régissent en majorité l'ordre social, soit par leur influence sur les lois, soit par leur action sur les mœurs publiques, il existe beaucoup de pauvres, et l'on voit, comparativement, peu de mendians. La vue de ces pauvres importuns ferait tache à la prospérité apparente, et

leur voix plaintive attristerait les plaisirs des riches. Il faut les écarter, les emprisonner même, s'il en est besoin. L'aumône est regardée comme un encouragement à l'oisiveté et au vagabondage; l'aumône doit être proscrite et les mendians balayés comme les immondices des rues.

Dans les états où les antiques croyances ont conservé plus d'énergie, il y a moins de pauvres, mais, aussi, proportionnellement plus de mendians, ou, plutôt, les mendians sont à peu près les uniques pauvres.. Là, la misère ne se manifeste guère que par la mendicité.

C'est par les mêmes motifs que l'on voit plus de mendians dans les campagnes que dans les villes. Ces dernières ont d'ailleurs une police plus sévère et des établissemens charitables ou de répression qui n'existent pas dans les communes rurales.

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La différence des climats, qui, dans les pays chauds, contribue à diminuer les besoins, exerce une influence réelle sur l'extension de la mendicité. La chaleur porte au repos, et le repos devient à la fois un besoin et un usage parmi les habitans des régions méridionales, parce que travail y est plus pénible, et qu'un léger salaire suffit à l'existence. Or, c'est en général dans les contrées du midi que les corps religieux ont conservé les richesses destinées aux pauvres; c'est là que le précepte de l'aumône est le plus généralement observé ; c'est là, enfin, que le pauvre peut vivre avec le produit des plus légers secours. De la réunion de ces circonstances il doit nécessairement résulter, d'une part, que la misère y sera moins générale, de l'autre, que la mendicité y sera plus répandue que dans les pays où existent des conditions absolument opposées.

C'est d'après ces premiers aperçus que l'on peut juger de la situation des diverses parties de l'Europe, sous le rapport de la mendicité.

Nous avons déjà fait remarquer que nous manquions absolument de renseignemens précis pour constater le nom

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