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ous terminions ce travail, lorsque l'un des arrière-neveux de Lamennais nous écrivit la lettre profondément chrétienne que nous insérons plus bas, dans la persuasion où nous sommes que ce livre ne saurait avoir un meilleur épilogue.

Auparavant, nous voulons, pour éviter tout malentendu, expliquer ce que nous entendons par la bonne foi de Lamennais.

Tout d'abord, nous observons que nul chrétien, à plus forte raison nul prêtre, ne tombe dans l'apostasie, sans qu'il y ait de sa faute, car il est évident que Dieu ne saurait permettre que l'un de ses serviteurs s'égare à ce point malgré lui et en dépit d'une bonne volonté absolue. Si donc

Lamennais cessa de croire, c'est qu'il ne fut pas toujours ce serviteur irréprochable; mais qui donc oserait se flatter de l'être ? L'histoire de sa chute est, au fond, l'un de ces mystères impénétrables dont seule la Justice divine a le secret. Nous n'en connaissons que les dehors; l'œil humain le plus perspicace ne saurait aller au-delà; Dieu, et Dieu seul, pouvant se dire « le scrutateur des cœurs et des consciences (1) ».

Lorsque nous prétendons que Lamennais fut sincère, nous voulons tout simplement dire qu'il se laissa glisser sur la pente de l'abîme sans trop s'en douter, et qu'il finit même par prendre cette pente pour le chemin véritable. Doué d'une intelligence supérieure, au service de laquelle il eut le malheur de mettre une imagination sans frein; d'une volonté à la fois inflexible et fantasque; d'un tempérament excessivement irritable et bilieux, qui donnait à chaque instant les démentis les plus cruels à un cœur essentiellement tendre et charitable, ce fut, somme toute, un homme fort incomplet. Engagé

(1) Ego sum scrutans renes et corda. Apoc. II. 23.

de bonne heure dans une lutte ardente, acharnée, pour la défense des causes les plus nobles, qui semblaient alors les plus désespérées, bien que, depuis, elles aient obtenu, pour la plupart, le succès le plus éclatant et, du moins nous nous plaisons à l'espérer, le plus décisif, il se vit discuté, combattu, non seulement par ses ennemis naturels, ce à quoi il s'attendait, mais encore par ceux-là mêmes sur la bienveillance et l'appui desquels il croyait avoir le droit de compter. Cédant alors à la violence de sa nature impétueuse et quelque peu sauvage, il ne ménagea personne, puisque personne ne le ménageait. Toutefois, il se garda toujours de la calomnie qui pourtant l'épargna si peu ; il aiguisait et affilait ses armes soigneusement; il ne les empoisonnait pas, comme le firent un grand nombre de ses ennemis (1). Cependant, son caractère s'aigrissant de plus en plus, il ne tarda pas à confondre ses contradicteurs les plus honorables avec ses plus déloyaux adversaires.

(1) Dans ses polémiques, il fut souvent violent jusqu'à la brutalité ; mais, nous le répétons, s'il se méprit sur le compte de certains adversaires et s'il les traita durement et même avec injustice, du moins ne les calomnia-t-il point sciemment.

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Nous avons vu qu'il avait désespéré de l'Eglise, le jour où elle refusa de se mettre, sur ses instances, à la tête du mouvement social dont il avait du premier coup jugé toute l'importance. Telle fut l'origine de ses malheurs et surtout du malheur suprême, celui de l'apostasie. La négation de la divinité de l'Eglise, nous le savons, devait

amener et amena toutes les autres, logiquement, ⚫ fatalement. Lamennais se croyait encore catholique, peut-être, qu'il n'était déjà plus chrétien; quand la mort arriva, il était descendu jusqu'au déisme et il fût sans doute encore tombé plus bas, s'il en avait eu le temps, le poids d'une erreur l'entraînant vers une autre toujours plus profonde.

Quel fut le degré de sa culpabilité, lors de son premier pas dans la voie de l'erreur ? Jusqu'à quel point la bonne foi put-elle alors lui faire défaut, et comment sa nature franche et loyale, après avoir fléchi un instant sous le poids des circonstances, reprit-elle sa rectitude première (nous allions dire sa rigidité) ? Voilà ce que Dieu seul peut savoir; il est plus que probable que Lamennais lui-même ne s'en rendit jamais bien

compte, emporté qu'il était par la chaleur du combat et, sans doute aussi, aveuglé par la poussière et la fumée du champ de bataille.

Voici la lettre dont nous parlions tout-àl'heure :

« La thèse que vous voulez soutenir me paraît absolument juste..., j'ai confiance dans la miséricorde de Dieu pour mon pauvre oncle. Il s'est laissé entraîner à des errements épouvantables; mais Dieu, dans sa justice, a pu lui tenir compte du zèle et du dévouement sans bornes qu'il avait mis pendant tant d'années au service de l'Eglise. S'il n'a pas reçu à ses derniers instants les secours de notre sainte Mère l'Eglise, des prières ferventes ont au moins été récitées autour de son lit de mort. Une main pieuse avait déposé sous son oreiller une médaille bénite de la Sainte-Vierge et, au dernier moment, N.-D. des Victoires aura fait son œuvre de miséricorde, et obtenu la grâce de l'ancien défenseur du Pape et de l'Eglise. Le bon Dieu a permis que le droit de faire réimprimer ses ouvrages appartînt exclusivement à

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