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DIALOGUE XII.

SUJET : Circonstances et prodiges qui ont accompagné la mort de Jésus-Christ. Quelques réflexions morales. Expliquées par celles de l'Évangile, les paroles du Coran, C'est moi qui te ferai finir par la mort (inui motaouafica), cessent d'être vides de sens. Les Musulmans qui nient la mort de Jésus-Christ, et ceux qui admettent une mort de quelques heures, mis sur la voie de la vérité.

§ I.

DZIRI. Si c'était un effet de ta complaisance, o babas, de nous détailler un peu toutes ces circonstances! Jusqu'ici nous avons vu celles qui ont précédé la mort d'Aïça, mais nullement celles qui l'ont accompagnée ou suivie. Allons, sois un peu moins avare de paroles : Dieu aime les généreux; et la générosité en doctrine aura double récompense.

PRÊTRE. Ces circonstances, chacun de vous les peut lire dans l'Évangile, dans le même ordre que la sagesse divine les y a fait retracer. Toucher à cette harmonie, c'est pour moi la répugnance du joaillier, qui ne pouvait démonter une couronne sans que chaque brillant perdît de son prix aux yeux des ignorants. Il est vrai, Messieurs, que vous

PASSAGE DU CORAN A L'ÉVANGILE.

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êtes loin du profane vulgaire. En votre considération, je vais extraire quelques détails.

Jésus venait d'être condamné pour s'être dit fils de Dieu. On le mène au supplice. Semblable au jeune Isaac, qui portait le bois pour son sacrifice, Jésus, la croix sur les épaules, gravit la colline du Calvaire, en hébreu Golgotha, mot qui veut dire crâne : c'est qu'une tradition d'une autorité imposante place là le tombeau d'Adam. Mais comme toute tradition n'est pas dogme, celle-ci, quelque respectable qu'elle soit, ne l'est pas non plus.

SECRÉTAIRE. Ici j'arrête le babas. Nos traditions placent le tombeau, une sur le mont Rahoum (île de Ceylan), une autre sur celui d'Aboucaïs (près de la Mecque).

PRÊTRE. Et d'autres, ailleurs, bien entendu. Libre à vous de le placer où il vous plaira. Ceci ne doit guère plus importer à votre foi qu'à la mienne. Mais si vous êtes sages, vous mettrez ce fait au nombre des incertains, et laisserez, comme nous, à la critique éclairée le soin de dire sur ce point, comme sur tant d'autres, ce qu'il y a de plus probable. Pour moi, en nommant le Golgotha, et en insinuant l'étymologie de ce nom, je n'ai prétendu que constater le théâtre de la mort du Messie.

C'est là qu'il fut crucifié entre deux voleurs, l'un à droite, l'autre à gauche. Vous avez quelquefois été témoins du supplice de quelque malheureux. Avez-vous jamais vu personne endurer les tortures et la mort sans faiblesse ni ostenta

tion? Peut-être ne pouvez-vous penser à cette scène d'angoisses, ou de rage, ou de désespoir, sans éprouver un sentiment pénible et un frisson d'horreur, sans sentir les cheveux se dresser sur vos têtes; peut-être même quelquefois le cynisme du supplicié vous a-t-il fait oublier l'odieux ministère du bourreau. Approchez du Calvaire; voyez, écoutez, et comparez.

Jésus, dans le paroxysme de la douleur, loin de maudire ses juges ni ses bourreaux, s'occupe de leur salut << Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Vindicatifs, où êtes-vous? Écoutez celui qui parle, et dans quel moment!... Continuez, si vous l'osez et le pouvez sans honte, à demander œil pour œil, dent pour dent, sang pour sang.

§ II.

Vous avez entendu, Messieurs, la plus profonde et la plus sage parole qui ait jamais été prononcée en matière criminelle. C'est qu'en tombant de la croix, elle descendait du ciel. Cette parole reconnaît, jusque dans un déicide, pour circonstances atténuantes l'ignorance et la faiblesse inhérentes aux coupables.

De là, Messieurs, les adoucissements que le christianisme a introduits et tend à faire entrer, en de plus larges proportions, dans les lois pénales.

DZIRI. Cela me va. Plût à Dieu que le lacet et compagnie fussent abolis ou remplacés par la

carraca (travaux forcés)! En émettant ce vou, non, je ne suis pas l'enfant d'un vain enthousiasme : deux de mes frères ont été exécutés, et je fus le premier à demander d'honorer par leur tête la justice.

Mais la réflexion et l'expérience m'ont rendu plus modéré, et, je le crois, plus juste et plus sage. Les exécutions n'ont pas moralisé mon pays, et je ne sais si jamais elles en moralisèrent aucun: à force de voir couler le sang, les hommes perdent l'horreur de le verser.

Mes frères ont laissé deux familles dans la honte et la misère, dans la honte homicide de la pudeur, seule gardienne de l'honnêteté dans la misère. Avec le secours de Dieu, j'aurais pu corriger mes frères, et cicatriser, au lieu de les élargir, deux plaies faites à ma famille et à la société.

D'ailleurs, je ne trouve rien d'humiliant, pour les habitants d'un pays et l'espèce humaine, comme la réflexion que fit un jour un étranger, qui entrait pour la première fois dans ma ville natale. C'était un Gorni (habitant de Livourne (1)).

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Qu'est-ce que cela? demanda-t-il en montrant un emplacement peu agréable à la vue et à l'odorat.-C'est la voirie. Et cela? dit-il, après avoir fait quelques pas. - Là, on tue les hommes. Ces chiens sont des habitués qui viennent lécher le sang. Pourquoi ces anneaux et ces crochets? ajouta-t-il à une certaine distance, en longeant les remparts. -Là, on ne saigne pas les

(1) Où la peine de mort était abolie.

hommes, mais on les étrangle. - C'est plus conforme à la loi : Ne verse pas le sang de ton frère. Ho! voilà de superbes oiseaux. C'est qu'ils n'ont pas peur! on les dirait apprivoisés. · Ce sont les vautours qui se repaissent des cadavres, quand pour des circonstances particulières... — J'ai compris ... ils méritent l'honneur de l'exposition durant plusieurs jours. O fortuné pays, où les hommes sont bons à toutes les sauces, et faits tous les goûts!

pour

CADI. Cet étranger était à coup sûr partisan du système de la métempsycose.

§ III.

PRÊTRE. Grâce à la parole de Jésus, de telles horreurs disparaîtront peu à peu de la face du globe. Bien plus, un jour viendra peut-être, où la justice de l'homme se limitera à préparer les voies à la miséricorde de Dieu; et la société deviendra, par les soins et les sacrifices, solidaire de l'expiation, en punition de la solidarité de la faute par sa négligence à exercer dignement le rôle de mère dans l'éducation de ses enfants.

MUPHTI. La société, comme le maître des champs, ne peut espérer de moissonner que ce qu'elle sème. Il est bien moins pénible et moins pernicieux d'émonder le grain et de fortifier la plante par des engrais appropriés, que d'arracher les mauvaises herbes, quand leurs racines ont formé société avec celles du froment.

PRÊTRE. L'Évangile ajoute qu'il convient d'at

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