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foiblesse de la tendre enfance réunie avec toute la majesté, toute la vénusté de l'âge viril, et avec un caractère plus touchant, plus attendrissant, plus sacré encore ! Comme tout ce que dira le vieillard sera intéressant, lorsque des paroles de douceur ne cesseront de sortir de sa bouche uniquement ouverte par une tendre pitié! C'est un Dieu consolateur laissé au milieu de ses enfans pour y être une image vivante du Dieu qu'ils adorent, pour leur transmettre ses bénédictions, pour les aider par ses conseils, pour les soutenir par le secours de ses encouragemens et de sa tendresse touchante, lorsqu'il reçoit de leur amour et de leur reconnoissance tous les secours que ces maux peuvent réclamer. Et quel est le cœur qui ne sera pas déchiré, si le vieillard auguste et respectable est obligé de courber sa tête défaillante sous le poids de la misère ou sous celui de l'infortune? LACEPEDE.

1mal entendue, injudicious. 2what does he need. 3plus haut, louder. 4que, let. with what an interest, &c. how interesting, &c.

NARRATIVE PIECES.

SECTION I.

LYSIMACH US.

Lorsque Alexandre eut détruit l'empire des Perses, il voulut que l'on 'crût qu'il étoit fils de Jupiter. Les Macédoniens étoient indignés de voir ce prince rougir d'avoir Philippe pour père: leur mécontentement s'accrut lorsqu'ils lui 3virent prendre les mœurs, les habits et les manières des Perses; et ils se reprochoient tous d'avoir tant fait pour un homme qui commençoit à les mépriser. Mais on murmuroit dans l'armée, et on ne parloit pas.

Un philosophe nommé Callisthène avoit suivi le roi dans son expédition. Un jour qu'il le salua à la manière des

Grecs: D'où vient, lui dit Alexandre, que tu ne m'adores pas? "Seigneur, lui dit Callisthène, vous êtes chef de deux nations: l'une, esclave avant que vous l'eussiez soumise, ne l'est pas moins depuis que vous l'avez vaincue; l'autre, libre avant qu'elle vous servit à remporter tant de victoires, l'est encore depuis que vous les avez remportées. Je suis Grec, seigneur; et ce nom, vous l'avez élevé si haut que, sans vous faire tort, il ne nous est plus permis de l'avilir."

Les vices d'Alexandre étoient extrêmes comme ses vertus: il étoit terrible dans sa colère; elle le rendoit cruel. Il fit couper les pieds, le nez et les oreilles à Callisthène, ordonna qu'on le mît dans une cage de fer, et le fit porter ainsi à la suite de l'armée.

J'aimois Callisthène; et de tout temps, lorsque mes occupations me laissoient quelques heures de loisir, je les avois employées à l'écouter: et, si j'ai de l'amour pour la vertu, je le dois aux impressions que ces discours faisoient sur moi. J'allai le voir. "Je vous salue, lui disje, illustre malheureux, que je vois dans une cage de fer comme on enferme une bête sauvage, pour avoir éte le seul homme de l'armée."

"Lysimaque, me dit-il, quand je suis dans une situation qui demande de la force et du courage, il me semble que je me trouve presque à ma place. En vérité, si les dieux ne m'avoient mis sur la terre que pour y mener une vie voluptueuse, je croirois qu'ils m'auroient donné en vain une âme grande et immortelle. Jouir des plaisirs des sens est une chose dont tous les hommes sont aisément capables; et si les dieux ne nous ont faits que pour cela, ils ont fait un ouvrage plus parfait qu'ils n'ont voulu, et ils ont plus exécuté qu'entrepris. Ce n'est pas, ajouta-til, que je sois insensible: vous ne me faites que trop voir que je ne le suis pas. Quand vous êtes venu à moi, j'ai trouvé d'abord quelque plaisir à vous voir faire une aetion de courage. Mais, au nom des dieux, que ce soit pour la dernière fois. Laissez-moi soutenir mes malheurs, et n'ayez point la cruauté d'y joindre encore les vôtres." "Callisthène lui dis-je, je vous verrai tous les jours. Si le roi vous voyoit abandonné des gens vertueux il

n'auroit plus de remords; il commenceroit à croire que vous êtes coupable. Ah! j'espère qu'il ne jouira pas du plaisir de voir que ses châtimens me feront abandonner un ami."

Un jour, Callisthène me dit: "Les dieux immortels m'ont consolé; et, depuis ce temps, je sens en moi quelque chose de divin, qui m'a ôté le sentiment de mes peines. J'ai vu en songe le grand Jupiter. Vous étiez auprès de lui; vous aviez un sceptre à la main, et un bandeau royal sur le front. Il vous a montré à moi, et m'a dit: I te rendra plus heureux. L'émotion où j'étois m'a réveillé. Je me suis trouvé les mains élevées au ciel, et faisant des efforts pour dire: Grand Jupiter, si Lysimaque doit régner, fais qu'il règne avec justice. Lysimaque, vous règnerez croyez un homme qui doit être agréable aux dieux, puisqu'il souffre pour la vertu."

Cependant Alexandre ayant appris que je respectois la misère de Callisthène, que j'allois le voir, et que j'osois le plaindre, il entra dans une nouvelle fureur. "Va, ditil, combattre contre les lions, malheureux qui te plais tant à vivre avec les bêtes féroces." On différa mon supplice, pour le faire servir de spectacle à plus de gens.

Le jour qui le précéda j'écrivis ces mots à Callisthène : "Je vais mourir. Toutes les idées que vous m'aviez données de ma future grandeur se sont évanouies de mon esprit. J'aurois souhaité d'adoucir les maux d'un homme tel que vous.

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Prexape, à qui je m'étois confié, m'apporta cette réponse: Lysimaque, si les dieux ont résolu que vous régniez, Alexandre ne peut pas vous ôter la vie; car les hommes ne résistent pas à la volonté des dieux."

Cette lettre m'encouragea; et, faisant réflexion que les hommes les plus heureux et les plus malheureux sont également environnés de la main divine, je résolus de me conduire, non pas par mes espérances, mais par mon courage, et de défendre jusqu'à la fin une vie sur laquelle il y avoit de si grandes promesses.

On me mena dans la carrière. Il y avoit autour de moi un peuple immense qui venoit être témoin de mon courage ou de ma frayeur. On me lâcha un lion. J'avois

plié mon manteau autour de mon bras: je lui présentai ce bras, il voulut le dévorer; je lui saisis la langue, la lui arrachai, et le jetai à mes pieds.

Alexandre aimoit naturellement les actions courageu→ ses: il admira ma résolution; et ce moment fut celui du retour de sa grande âme.

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Il me fit appeler; et me tendant la main: Lysima. que, me dit-il, je te rends mon amitié, rends-moi la tienne. Ma colère n'a servi qu'à te faire faire une action qui manque à la vie d'Alexandre."

Je reçus les grâces du roi; j'adorai les décrets des dieux, et j'attendois leurs promesses sans les rechercher ni les fuir. Alexandre mourut, et toutes les nations furent sans maître. Les fils du roi étoient dans l'enfance; son frère Aridée n'en étoit jamais sorti; Olympias n'avoit que la hardiesse des âmes foibles, et tout ce qui étoit cruauté étoit pour elle du courage; Roxane, Eurydice, Statyre, étoient perdues dans la douleur. Tout le monde, dans le palais, savoit gémir, et personne ne savoit régner. Les capitaines d'Alexandre levèrent donc les yeux sur son trône; mais l'ambition de chacun fut contenue par l'ambition de tous. Nous partageâmes l'empire; et chacun de nous crut avoir partagé le prix de ses fatigues.

Le sort me fit roi d'Asie: et à présent que je puis tout, j'ai plus besoin que jamais des leçons de Callisthène. Sa joie m'annonce que j'ai fait quelque bonne action, et ses soupirs me disent que j'ai quelque mal à réparer. Je le trouve entre mon peuple et moi.

Je suis le roi d'un peuple qui m'aime. Les pères de famille espèrent la longueur de ma vie comme celle de leurs enfans; les enfans craignent de me perdre comme ils craignent de perdre leur père. Mes sujets sont heureux, et je 12le suis. MONTESQUIEU.

1croire. 2accroire.

3voir. 4whence is it. "le, so.

trop, but too well. fais que, grant that. mais sorti, had never ceased to be childish. power is boundless. 12le, so.

6mettre. "que

"résoudre. 10n'èn étoit jaque je puis tout, that my

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SECTION II.

THE ADVENTURES OF ARISTONOUS.

Sophronyme ayant perdu les biens de ses ancêtres par des naufrages, et par d'autres malheurs, s'en consoloit par sa vertu dans l'Isle de Délos. Là il chantoit sur une Lyre d'or les merveilles du Dieu qu'on y adore. Il cultivoit les Muses, dont il étoit aimé; il cherchoit curieusement tous les secrets de la nature, le cours des astres et des cieux, l'ordre des élémens, la structure de l'Univers qu'il mesuroit de son compas, la vertu des planètes, la conformation des animaux; mais sur-tout il s'étudioit lui-même et s' appliquoit à orner son âme par la vertu. Ainsi la Fortune en voulant l'abattre l'avait élevé à la véritable gloire, qui est celle de la sagesse.

Pendant qu'il vivoit heureux sans bien dans cette retraite, il aperçut un jour sur le rivage de la mer un vieillard vénérable, qui lui étoit inconnu: c'étoit un étranger qui 1venoit d'aborder dans l'Isle. Ce veillard admiroit les bords de la mer, où il savoit que cette Isle avoit été autrefois flottante: il considéroit cette côte, où s'èlevoient, au-dessus des sables et des rochers, de petites collines toujours couvertes d'un gazon naissant et fleuri: il ne pouvoit assez regarder les fontaines pures et les ruisseaux rapides, qui arrosoient cette délicieuse campagne: il s'avançoit vers les bocages sacrés qui environnoient le Temple du Dieu: il étoit étonné de voir cette verdure que les Aquilons n'osent jamais ternir; et il considéroit déja le Temple, d'un marbre de Paros plus blanc que la neige, environné de hautes colonnes de Jaspe. Sophrony. me n'étoit pas moins attentif à considérer ce vieillard. Sa barbe blanche tomboit sur sa poitrine; son visage ridé n'avoit rien de difforme: il étoit encore exempt des injures d'une vieillesse caduque: ses yeux montroient une douce vivacité; sa taille étoit haute et majestueuse, mais un peu courbée; et un bâton d'ivoire le soutenoit. O Etranger, lui dit Sophronyme, que cherchez-vous dans cette Isle qui paroit vous être inconnue? Si c'est le Tem. ple du Dieu, vous le voyez de loin, et je m'offre de vous

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