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prend que l'homme fut placé dans un jardin de délices. Conjectures nombreuses sur le lieu du paradis terrestre... vers la Mésopotamie, vers Babylone? Rien de constaté, rien de sûr. Cet état supérieur de l'homme implique: 1° Union avec Dieu plus intime que ne le comporte la nature humaine déchue; 2° L'exemption du péché habituel au mal, qui se trouve actuellement dans l'homme. Cette exemption n'exclut pas la tentation, mais la concupiscence seulement. Plusieurs théologiens enseignent que, de ce que l'homme était exempt de la concupiscence, il ne faut pas en exclure pour cela que le péché est naturel à l'homme; car s'il en était ainsi, on ne pourrait, de l'existence de ce péché, en conclure l'état de chute; 3° Cet état était un état de bonheur et de puissance, un affranchissement de la souffrance et de la mort. Le dogme catholique nous enseigne que cet affranchissement était un effet de la grâce de Dieu et non un état naturel, ainsi sans un effet spécial de la grâce divine l'homme serait mort, seulement il est à croire que la mort se fut opérée d'une manière différente;

2o Quant au péché d'Adam, l'église interprète le passage de la Genèse, dans un sens littéral, dans le sens de prévarication. Dans la sainte Écriture cette prévarication implique deux germes de désordres, l'attrait des sens et la volonté de s'élever au-delà de l'état où Dieu nous a placés. Remarquez ici qu'il n'y a point de contradiction avec cet autre enseignement de la Révélation, d'après lequel il y a dans le monde une triple concupiscence de l'orgueil des yeux et de la chair 1. Saint Jean n'est pas contraire à la Genèse, car, dans le fond de ces trois désordres, il n'en admet que deux principaux. En effet, la plupart des théologiens qui ont commenté ce passage, entendent la concupiscence des yeux comme l'amour des richesses, des plaisirs du monde. Or, ainsi entendue, cette concupiscence est fille des deux autres. Elle tient d'un côté à la concupiscence de la chair, et n'est, d'un autre côté, que la modification de l'orgueil.

3° L'Ecriture nous enseigne que le péché d'Adam s'est transmis à sa postérité. « Nous étions, par nature, fils de co

Quoniam omne quod est in mundo, concupiscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et superbia vitæ (I, Jean, 11, 16.).

» lère, comme les autres. » Ce passage et plusieurs autres, dont quelques-uns encore de saint Paul, se rapportent évidemment au péché originel, car, sans cela, on ne voit pas comment nous naîtrions enfants de colère et de malédiction.

Ces différents dogmes ont été niés par plusieurs hérétiques. Les uns ont nié l'état de chute et, par conséquent, l'état supérieur. Dans les temps anciens, nous remarquons Pélage, qui · était probablement de la Grande-Bretagne, et que, quelquesuns cependant disent avoir été de la Bretagne française. D'autres ont admis l'état supérieur et l'état de chute, mais ils en ont faussé la notion.

Quelques-uns ont dit que l'état dans lequel l'homme avait été créé était un état de nature et non un état de grâce. Cette opinion a été soutenue par Baïus, professeur de philosophie à Louvain. D'autres enfin, tout en admettant que cet état était un état de grâce, ont outré la conséquence de cette vérité : tels les Jansénistes. Relativement à ces hérésies, nous ne faisons ici que constater, les principales sont en oposition avec l'enseignement de l'Eglise.

Il est bon de faire remarquer ici que dans les traditions des philosophes de l'antiquité, on trouve des souvenirs de cet état de bonheur et de la perturbation qui y mit fin. Mais dans ces traditions il faut distinguer celles qui se rapportent à l'origine du genre humain de celles qui se rapportent à l'origine de divers peuples. Les Chinois, par exemple, lorsqu'ils parlent de leurs temps primitifs, nous peignent en état de misère 2. De même les Persans. En Grèce, Orphée nous parle d'hommes sauvages vivant dans les bois. A côté de ces traditions on en trouve d'autres qui parlent d'un état primitif de bonheur. Ces traditions formeraient une contradiction infinie, si l'on ne prenait soin de remarquer que les premières se rapportent l'origine

Et eramus natura filii iræ sicut et ceteri (S. Paul. Eph. 11, 4). Quand Mgr Gerbet écrivait ces lignes, les traditions chinoises n'étaient nullement connues ni même traduites; voir dans les annales les articles: Souvenirs que les Chinois ont conservés sur l'état d'innocence, et de la nature déchue, dans Annales, t. ix, p. 312, et t. x, p. 106 (6e série), et dans les Vestiges du P. Prémare, p. 127, 140.

particulière des différents peuples, et que les dernières se rapportent à l'origine du genre humain.

Mgr GERBET.

Nota. Nous ferons remarquer que cette conférence a été sommairement traitée par Mgr Gerbet, pour la fin de l'année scolaire, imparfaitement recueillie par son disciple; aussi, sera-t-elle reprise et plus explicitement traitée dans la prochaine leçon.

Éducation catholique.

UN ENFANT MAL ÉLEVÉ

Lettre à M. Bonnetty, directeur des Annales de philosophie

chrétienne.

Fuans (Doubs), 14 septembre 1878.

Cher ami et vénérable Directeur,

I.

Vous le dites avec raison: un des caractères les plus frappants du monde actuel, c'est l'instabilité. Les hommes se consument dans une agitation stérile. Constitutions, formes de gouvernement, systèmes philosophiques et scientifiques : rien ne demeure. La société a perdu son centre de gravitė. La France, en particulier, semble atteinte de la Danse de SaintGuy. Sujet de tant de tristesses dans le présent, de tant d'inquiétudes pour l'avenir, ce spectacle vous préoccupe à juste titre. Vous en cherchez la cause et vous demandez à vos amis ce qu'est le monde actuel? Puisque vous voulez bien m'interroger, je vous réponds à mon tour, en vous demandant ce qu'est un wagon déraillé ?

Explosion de la chaudière, brisement des machines et des roues, incendie des voitures et des marchandises, chute dans un ravin; cris, blessures, mort des mécaniciens, des chauffeurs, des voyageurs tohu-bohu indescriptible, où tous s'agitent et où chacun perd la tête : faible image du monde actuel, qui fait peur et pitié.

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II.

Au lieu de continuer tranquillement son cours dans la voie ouverte par la Sagesse d'en haut et suivie par les siècles chrétiens, ce monde s'est fait une voie à lui. Dans cette voie nouvelle, il ne s'avance que par soubresauts; et ces soubresauts sont des Révolutions sans cesse renaissantes, et de plus en plus radicales à mesure qu'elles se succèdent. Comme les ouragans des hautes montagnes, ces Révolutions bouleversent, renversent, déracinent les institutions, les pouvoirs, les hommes et les choses.

Sur le sol couvert de ruines, les survivants s'ingénient à rebâtir un édifice quelconque : plans, matériaux, constructeurs, tout est nouveau. Tout change, mais plus cela change, plus c'est la même chose. Parce qu'il est sans fondement solide, le frêle abri, élevé aujourd'hui, tombe demain, et accumule ses ruines sur les ruines de la veille. Alors des déceptions, des stupéfactions, des cris, des douleurs, des colères, des blasphèmes, des récriminations, des haines, des revendications sanglantes et des désespoirs, forment un spectacle à faire pleurer les anges. Tel est, sans exagération, celui que présente le monde actuel.

III.

D'où vient cet étrange désordre? Ici est la question. Il vient de ce que le monde actuel a déraillé. Il a déraillé, parce que sciemment, opiniâtrement, il a abandonné, repoussé, banni Celui qui est la voie, la vérité et la vie, le CHRIST-JÉSUS, le VERBE de qui vient toute sagesse et toute force. Par son langage et par ses actes, il lui a dit : « Je ne veux plus de toi; » ton autorité me pèse; ta présence m'est à charge; ton nom › même m'est odieux Mort au clérical. Sors de mes écoles, » de ma philosophie, de ma politique, de mes sciences, de ma > littérature et de mes arts. Sans toi, loin de toi, malgré toi, » je saurai me suffire et vivre savant, tranquille et prospère. »

Pourquoi ce malheureux monde l'a-t-il voulu ainsi ? Pourquoi le veut-il encore? Parce qu'on lui a enseigné à le vouloir, en le faisant grandir loin du VERBE-CHRIST, dans l'ignorance du Christ, dans le mépris même du Christ, la Voie, la Vérité et la Vie, aussi bien pour les peuples que pour les individus.

IV.

Qu'est-ce donc que le monde actuel? C'EST UN ENFANT MAL ÉLEVÉ. Oui, un enfant mal élevé, ni plus ni moins. Pour le prouver sans réplique, il suffit de répondre à cette autre question: Qu'est-ce que l'homme? L'homme est un être enseigné. En venant au monde, l'âme humaine, comme dit saint Thomas, est semblable à une table rase sur laquelle il n'y

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Ego sum via, et veritas, et vita (Jean, XIV, 6).

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