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routes, celui qui nous a ouvert la route du ciel; muet et sourd devant ses calomniateurs, celui dont la parole ouvre la bouche des muets, l'oreille des sourds; chargé de chaînes, celui qui a brisé nos chaînes; cruellement flagellé, celui qui a éloigné de nous tous les fléaux; crucifié, celui qui a mis fin à nos tourments; enfin, mort, celui qui ressuscite les morts. Mais il s'est ressuscité lui-même pour ne plus mourir, afin que chacun apprenne de lui à mépriser la mort par la foi à la véritable vie, etc., etc. (1). »

Après cette leçon de l'aigle d'Hippone parlant aux esprits les plus grossiers, lisez, dans la Théorie du pouvoir civil et religieux, les belles considérations que M. de Bonald adressait, il y a cinquante ans, aux penseurs de l'Europe, et dont je ne peux citer que le premier alinéa.

« Les autres législateurs donnèrent des préceptes, celuici (Jésus-Christ) donne des exemples. J'entends Numa, Solon, Lycurgue; je vois Jésus-Christ, je le vois dans tous les états, et dans toutes les situations où l'homme politique puisse se trouver sur la terre, le modèle de tous les états et de toutes les situations de la vie. Je le vois dans la société naturelle, dans la société politique, dans la société religieuse; homme privé, homme public; dans le repos et dans l'agitation, dans le commerce des hommes et dans les communications avec Dieu; dans les occupations extérieures et dans le recueillement et la prière. Dans la famille, il est fils, il est parent, il est ami; dans la société politique, il est sujet, et même il est pouvoir; dans la société religieuse, il est pouvoir, et même il est sujet. Il partage la table du riche, et éprouve la misère du pauvre; il a des disciples qui l'écoutent, et des calomniateurs qui le déchirent; il enseigne les docteurs, et il est interrogé par les juges; le peuple veut le faire roi, et ses ennemis le font mourir. Il ne représente pas un homme, car un homme ne peut pas être placé dans tous les états, ni se trouver

(1) De catechisandis rudibus, cap. 22.

dans toutes les situations; il représente l'humanité tout entière, et c'est un des caractères du Sauveur de tous les hommes. Il est fils respectueux envers ses parents, mais il préfère le devoir d'être utile aux hommes au devoir d'être utile à sa mère. Il paye le tribut à César, mais il concilie ce qui est dû à Dieu et ce qui est dû au prince, au pouvoir religieux et au pouvoir politique. Il est lui-même pouvoir par l'autorité de ses leçons et de ses miracles; mais il n'est pouvoir que pour répandre des bienfaits, transiit benefaciendo. »

L'aperçu que je vous ai donné, dans ces cinq chapitres, de l'existence de Jésus-Christ, si imparfait qu'il soit, ne m'autoriserait-il pas à vous poser avec quelque confiance cette question: Est-il probable, possible même, que JésusChrist ne soit qu'un homme? Cependant renvoyons-la après l'examen de l'œuvre par excellence de Jésus-Christ : l'Église catholique.

TROISIÈME FAIT.

L'EXISTENCE D'UNE ÉGLISE CATHOLIQUE.

CHAPITRE I.

Que le plan d'une Église catholique a dû exister dans la pensée de Dieu et de son Christ.

D. D'abord, qu'entendez-vous par une Église catholique ?

R. J'entends une société religieuse capable, par son organisation, d'embrasser l'universalité des hommes, et de les former à la connaissance et à la pratique de la loi de justice et de charité que Jésus-Christ a donnée au monde.- Dans

l'hypothèse (qui n'en est plus une) que Jésus-Christ soit l'envoyé de Dieu parmi les hommes, le régénérateur du genre humain, ne voyez-vous pas que l'établissement d'une telle société a dû être le but, ou du moins le résultat de sa mission?

D. L'unité religieuse a sans doute de grands avantages; mais Dieu l'aurait-il autant à cœur que le supposent les catholiques? La bigarrure des cultes religieux, choquante pour nos idées étroites d'ordre, blesserait-elle au même degré l'œil du Père céleste, riche envers tous ceux qui l'invoquent (1), quelle que soit la forme de leur prière ?

R. Si vous ne voyez dans les divers cultes non chrétiens qui ont divisé l'ancien monde, qui divisent encore plus d'une moitié du monde actuel, que des variétés innocentes dans la manière d'honorer Dieu, je dois vous dire que vous n'avez pas la moindre connaissance de ces cultes, et qu'en les étudiant, vous acquerrez la conviction qu'ils sont tous éminemment propres à détruire la notion du vrai Dieu et toute moralité parmi les hommes. Pour ne rien dire des dieux et des déesses altérés de sang humain et d'impudicités, qu'adoraient l'Égypte, la Phénicie, la commerçante Carthage, les Celtes, les Gaulois, les Scandinaves, etc., qu'adoraient encore les Mexicains au seizième siècle, il me suffira de vous citer en exemple parmi les nations idolâtres les deux qui se distinguent le plus par la douceur et la politesse des mœurs, je veux dire les anciens Grecs, et les Hindous nos contemporains.

Je vous défie de me trouver, chez les premiers, un dieu, une déesse, que le jury le plus indulgent de nos cours d'assises ne se crût obligé d'envoyer au bourreau, ou au moins au bagne. J'en excepte à peine la chaste Diane, qu'on se bornerait à renfermer dans une maison de correction. Demandez à ceux qui ont étudié l'Inde en quoi consistent la religion du Lingam, le culte de la déesse

(1) Épilre aux Romains, X, 12.

Sacly, etc., car je n'ai ni le temps ni le courage de vous le dire. Ils vous apprendront encore que ces Hindous, qui portent l'horreur du sang jusqu'à s'interdire comme un crime le meurtre d'un tigre, d'un serpent, d'un insecte, n'hésitent pas à brûler vives les veuves sur le bûcher de leurs maris, et à solliciter chaque année les bénédictions du ciel sur leurs champs par le massacre d'une multitude d'enfants engraissés à cette fin (1).

Enfin, ces bons musulmans, qui sont certainement les moins corrompus, les moins barbares et les plus priants des peuples infidèles, que demandent-ils à Dieu dans leurs incessantes prières? Le paradis de Mahomet, c'est-à-dire la faveur de continuer, dans le monde éternel, une vie ordurière fondée sur l'avilissement de la moitié de l'espèce humaine. Le créateur de la femme, qui a fait du cœur de cet être le grand réservoir des vertus nécessaires à la bonne éducation des hommes, croyez-vous bien qu'il puisse goûter ces bestiales supplications?

Que l'opulent déiste qui jouit en paix dans nos villes des bienfaits de la civilisation évangélique, juge que tout va au mieux dans la famille humaine, renfermée pour lui entre son habitation citadine et sa maison de campagne, à la bonne heure. Qu'il soit plus amusé qu'ému de ce qu'il apprend par-ci par-là des mœurs, des institutions des peuples barbares; qu'il y admire la sagesse de la nature, diversifiant l'espèce humaine comme l'espèce des singes; on le conçoit. Dieu et l'humanité auraient-ils bonne gràce à se plaindre, quand l'honnête philosophe a un bon lit pour se délasser des nobles fatigues de la table, de la promenade, du théatre? Mais vous, qui avez déjà acquis une certaine connaissance de la tendresse de Dieu pour l'œuvre de ses mains, et des profondes misères de la plus noble des créatures, ne comprenez-vous pas qu'il y avait urgence

(2) Voy. 'Histoire de la société domestique, par M. l'abbé Gaume, et, plus bas, le ch. Ier du quatrième fait.

pour le genre humain que Jésus-Christ vint nous apporter, non une prière plus parfaite, mais l'unique prière qui puisse plaire à Dieu et sauver les hommes dans ce monde et au delà ?

D. De quelle prière voulez-vous parler?

R. Des sept demandes, si courtes, du Notre Père qui éles aux cieux. Bien comprises, elles contiennent tout ce que Dieu veut de nous et tout ce qu'il faut aux hommes pour vivre en bonne harmonie. Ces demandes étaient et sont encore inconnues aux peuples infidèles. En étudiant leurs cultes, vous verrez qu'ils n'ont jamais demandé aux dieux leur réforme morale, l'extirpation des vices qui ferment aux àmes le séjour de l'éternelle sainteté, et qui font de la société un bourbier de fange et de sang.

Or si, pour enseigner le Pater noster aux hommes, il n'a fallu rien moins que l'avénement du Dieu-Homme, ne voyez-vous que, pour perpétuer cet enseignement, il fallait une société religieuse embrassant l'universalité des temps et des lieux ?

D. Oui, une telle institution était la conséquence logique, le complément nécessaire de la mission de JésusChrist, et je ne conçois pas que le croyant à la divinité du christianisme puisse rester dans le doute sur ce sujet. Mais le simple philosophe aura grand' peine à se persuader que l'unité religieuse du monde soit dans l'ordre des choses possibles, et même dans les desseins de Dieu, tant elle trouve d'obstacles dans l'opposition des idées, des mœurs, tant la persistance de la moitié de l'univers dans l'idolatrie semble montrer, du côté du ciel, peu d'empressement à réaliser les vœux du Christ et des siens!

R. J'ignore l'art de persuader le simple philosophe, c'est-à-dire l'esprit frivole qui, content de phraser sur tout, évite la source première de toute conviction, l'étude consciencieuse des faits. Quant aux hommes qui apportent, comme vous, à la recherche de la vérité des dispositions meilleures, voici deux faits que je les prie de méditer.

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