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I. L'opposition que l'Évangile rencontre actuellement dans les idées et les mœurs des peuples idolâtres n'est certainement pas plus grande, est même beaucoup moins grande qu'au siècle de Caligula, de Claude, de Néron, alors que, repoussée comme un scandale par les Juifs, comme une folie par les Grecs, la nouvelle religion ne parut aux grands esprits de Rome qu'une abominable superstition orientale, digne de l'exécration du genre humain. Si elle triompha alors de la sagesse des philosophes et de la haine des maîtres du monde, comment ne triompherait-elle pas de l'ignorance et de la faiblesse des idolâtres de l'Asie, de l'Afrique, aujourd'hui qu'elle est depuis tant de siècles la religion des superbes dominateurs dont le compas a mesuré le globe à quelques mètres près, dont les flottes couvrent les mers, et font trembler sur leurs autels et leurs trônes les idoles mortes et vivantes de l'Asie et de l'Afrique?

Et puis cette opposition prétendue invincible que la loi du Christ rencontrerait dans la diversité des idées et des mœurs, l'Église catholique ne l'a-t-elle pas vaincue depuis longtemps? Ainsi que nous le verrons bientôt, elle a toujours compté, elle compte encore des croyants plus ou moins nombreux chez les nations de toute langue, de tout pays; d'où l'on peut conclure, ce semble, que nulle nation n'oppose à la lumière évangélique d'insurmontables obstacles.

H. Comment se fait-il done, demandez-vous, que le plus vaste et le plus populeux de nos continents, l'Asie, soit toujours couvert d'idolatres, et que l'Afrique, en partie chrétienne autrefois, soit retombée sous le joug de la barbarie? Cela n'accuserait-il pas une sorte de tiédeur du côté du ciel? Non, certes! le catholicisme, toujours dominant dans la partie la plus influente du monde, tenant toujours haut son étendard chez cent peuples divers, malgré le feu incessant des persécutions, n'est-il pas une belle preuve de la persistance du ciel dans son plan d'évangélisation universelle? Mais Dieu a mis deux conditions à la conversion des infidèles: 1° qu'ils fussent attirés à la foi

par la parole et l'exemple des chrétiens; 2o qu'ils eussent la volonté de s'instruire de la foi, et le courage de la pratiquer et de la confesser.

La volonté, bien connue, de Jésus-Christ, d'employer les hommes à la conversion des hommes, exigeait que les conquérants spirituels de l'univers, tout en portant la bonne nouvelle à l'universalité des peuples, s'appliquassent plus spécialement à la conquête d'une région dont ils fissent pour ainsi dire leur camp retranché, leur centre d'opé ration, le foyer de la lumière apostolique. Celui qui était venu renverser les rôles, mettre les derniers avant les premiers, choisit la famille du cadet Japhet. De là, de longs, de prodigieux efforts pour christianiser à fond l'Europe, et faire de la capitale des anciens spoliateurs et massacreurs des corps le quartier général des divins ravisseurs et bienfaiteurs des àmes.

Cependant les enfants de Sem et de Cham ne furent pas négligés. Quand nous connaîtrons mieux l'histoire de l'Asie (surtout du nord et de l'est) depuis l'ère chrétienne, il sera probablement démontré que le prophète de la Mecque n'a pas été le seul, ni peut-être le plus grand destructeur du christianisme asiatique, et que l'état actuel de l'Orient pourrait bien être le châtiment d'une grande apostasie.

D. Quand le fait serait prouvé, s'ensuivrait-il que les générations actuelles des peuples idolâtres sont coupables de l'apostasie de leurs ancêtres ?

R. Non, mais il s'ensuivrait que la privation des lumières de l'Évangile, dans ces pauvres idolâtres, serait imputable, non à l'indifférence de Dieu, mais à la perversité de leurs ancêtres, et de plus à la nôtre.

Rien de moins raisonnable que notre manière de juger Dieu dans le gouvernement providentiel des peuples. En choisit-il un en particulier, tel que le peuple juif, pour concourir à l'œuvre de la rédemption universelle, et, afin de s'attacher ce peuple, fait-il de son histoire un tissu de

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prodiges? Nous disons qu'il en fait trop, et que c'est là traiter les hommes en esclaves. Sans refuser aux autres peuples des lumières suffisantes, permet-il qu'ils abusent de leur liberté jusqu'à créer un ordre social digne de l'enfer? Nous accusons de partialité le Dieu du Sinaï, et nous disons: Jéhovah n'est pas le père commun des peuples.

Voici deux principes que je vous prie de méditer, comme éclairant un peu le formidable problème de la prédestination générale, problème que certains soleils théologiques n'ont fait qu'obscurcir.

1o En nous créant libres, Dieu s'est engagé à ne nous sauver qu'autant que nous le voudrions nous-mêmes, à moins qu'il ne lui plaise de nous ôter de ce monde avant l'âge de raison. Cela, je pense, est compris de tous. Voici qui l'est moins :

2o En faisant de nous des êtres sociaux qui, au physique et au moral, sont procréés par d'autres hommes, Dieu s'est engagé à se servir principalement des chefs de la société domestique, civile, religieuse, pour faire arriver à chacun de nous les vérités qui éclairent notre esprit, les vertus qui purifient et exaltent nos cœurs.

Donc, quand chez un peuple déjà chrétien ou près de le devenir, les influences sociales combattent la lumière évangélique avec une certaine opiniâtreté, il en résulte naturellement et nécessairement, d'abord le déclin, puis l'extinction de cette lumière, à moins que Dieu ne veuille renouveler chez ce peuple les prodiges d'héroïsme par lesquels les chrétiens des trois premiers siècles triomphèrent de la férocité des maîtres du monde. Or je vous le demande, Dieu serait-il obligé de faire toujours ce qu'il était indispensable alors de faire pour implanter la loi de Jésus-Christ parmi les hommes ?

D. Je ne le pense pas la conduite des premiers chrétiens, leur ardeur pour le martyre, qui gagne même les enfants, la victoire de ces agneaux sur les loups qui les dévorent, etc., tout cela a l'air d'une éclatante dérogation

aux lois de notre nature morale; c'est donc là un fait exceptionnel dont la reproduction trop fréquente irait à supprimer les lois naturelles de l'ordre moral, qui sont pourtant l'œuvre de Dieu.

R. Qui; le miracle, c'est-à-dire l'intervention directe et extraordinaire de Dieu dans les affaires humaines, a pour but de subvenir à notre impuissance, non de favoriser notre paresse.

Quand tous les hommes, à peu d'exceptions près, étaient ensevelis dans l'erreur et la corruption, leur résurrection morale exigeait que l'éternelle vérité et sainteté se fìt homme et créat des hommes qui fussent la lumière du monde et le sel de la terre. Ces hommes ayant par leurs travaux enfanté des nations chrétiennes, le christianisme, ainsi naturalisé dans le monde, dut dès lors s'y soutenir et s'y propager par le déploiement de ses forces à la fois divines et humaines. Il fut dit à l'Europe, comme au chef de ceux qui l'avaient conquise au Christ: Une fois convertie, travaille à la conversion et à l'affermissement de tes frères (1). L'Europe a-t-elle reçu des forces suffisantes pour remplir sa divine tâche et élever sa civilisation au plus haut degré en civilisant l'univers? Oui, nous le verrons ailleurs. Assistons maintenant à la réalisation du plan divin d'une Église catholique.

CHAPITRE II.

Que depuis environ dix-huit cent vingt ans, il existe une Église chrétienne catholique.

D. Dix-huit cent vingt ans nous reportent à l'an 32 de l'ère vulgaire; or je ne vois pas comment vous pourriez prouver l'existence à cette époque d'une Église catholique.

(1) Saint Luc, XXII, 32.

R. L'Église chrétienne naquit catholique. Le jour même où elle apparut, elle parla toutes les langues, et nous voyons des croyants de tous pays entrer dans son sein, et nous la signaler comme l'épouse de Jésus-Christ, chargée d'enfanter toutes les nations à la vie nouvelle; vie que le Sauveur définit ainsi dans sa prière au Père: La vie éternelle est en ceci, qu'ils (les hommes) te connaissent, seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ (1).

Écoutons l'historien oculaire de la naissance de l'Église. Le jour de la Pentecôte, le cinquantième après la résurrection de Jésus-Christ et le dixième après son ascension, il y avait à Jérusalem des hommes religieux de toute nation qui est sous le soleil... : des Parthes, des Mèdes, des Élamites, des habitants de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont, de l'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Égypte, de la Lybie, des Romains, des Crétois, des Arabes... Pierre ayant pris la parole et prêché la foi au Fils de Dieu crucifié, ceux qui reçurent sa parole furent baptisés, et ce jour-là environ trois mille âmes se joignirent aux disciples. Et à une seconde prédication, qui suivit de près la première, le nombre de ceux qui crurent fut de cinq mille hommes... Et dans cette multitude de croyants, venus de toutes parts, l'union était si parfaite, qu'il n'y avait qu'un cœur et qu'une âme, et que nul n'appelait sien ce qu'il possédait, mais que tout étail commun entre eux (2).

A quelques années de là, le prince des apôtres prend la plume et date sa première Lettre du sein de l'Église qui est dans Babylone, c'est-à-dire dans l'immense cloaque des erreurs et des vices, que le Pasteur des pasteurs doit purifier et donner pour capitale à l'empire de la vérité et de la sainteté chrétienne. Et à qui adresse-t-il cette Lettre? Aux chrétiens du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l'Asie, de la Bithynie, etc.

(1) Saint Jean, XVII, 3.
(2) Acles des apôtres, II-IV.

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