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cette infinité de sectaires des premiers siècles qui se décoraient du nom de gnostiques, c'est-à-dire savants. Tel a été celui des hérésiarques, grands et petits, qui se sont succédé depuis Arius jusqu'à Luther, et depuis celui-ci jusqu'aux chefs actuels des sectes les plus obscures. Tous ont proclamé la majorité de l'esprit humain; tous se sont donné la mission de l'élever des ténèbres de la foi aux splendeurs de la science.

Les prétentions de nos rationalistes manquent donc du mérite de la nouveauté. Montrons que, si elles furent excusables dans les philosophes de l'ancien monde, elles sont aujourd'hui d'un parfait ridicule.

Au siècle des Thalès et des Pythagore, alors que les habitants demi-sauvages de l'Europe étaient en proie aux plus grossières erreurs, les esprits graves qui se mirent à observer, à réfléchir, n'eurent pas de peine à reconnaître la vanité des croyances communes. Que, enhardis par ce premier succès et par la découverte de quelques vérités secondaires, ils se soient flattés de déchirer le voile de ténèbres qui couvre les questions capitales de la science, on le conçoit. Que voulez-vous? la présomption est naturelle aux débutants, et la puissance du savoir humain n'a jamais eu de plus chauds admirateurs que les demi-savants et les écoliers.

Mais aujourd'hui que nous avons sous les yeux le produit net des travaux philosophiques exécutés par les plus vigoureux esprits durant vingt-cinq siècles; aujourd'hui que les porte-drapeaux de la philosophie rationaliste confessent que cette lumière des lumières ne voit encore rien, que cette science des sciences en est encore à ignorer quel est son objet (1), y a-t-il du bon sens à venir nous dire

(1) « L'objet précis de cette science (la philosophie) n'a pas encore été déterminé, et voilà ce qui a fait faillir et les tentatives d'Aristote, et celles de Bacon, et celles de Descartes, pour réformer la philosophie proprement dite. » M. Jouffroy, dans l'écrit posthume publié par M. P. Leroux, dans la Revue indépendante, 1er novembre 1842.

que la méthode catholique a fait son temps, qu'elle doit faire place à la philosophie, et que les peuples sont assez éclairés pour se décider en toutes choses par les lumières de l'évidence?

Inviter deux cents millions de catholiques à mépriser les réponses du catéchisme pour écouter celles de la philosophie, qui toutes se réduisent à celle-ci : « Je n'en sais rien; » prétendre que chacun d'eux pourra, en quelques années et à l'aide de sa raison, découvrir cette vérité première que les plus profonds raisonneurs du monde ont vainement cherchée depuis deux mille et cinq cents ans, n'est-ce pas reculer les bornes du ridicule?

D. Sans doute la philosophie n'a rien dans son passé qui justifie ses dédains pour la foi, mais ses espérances pour l'avenir ne trouvent-elles pas quelque fondement dans les progrès miraculeux de l'esprit moderne? On eût traité de visionnaire ridicule celui qui, en 1750, eût prédit que, avant un siècle, les habitants des extrémités de l'Europe auraient le moyen de se donner de leurs nouvelles en quelques minutes et de se toucher la main en moins d'une semaine. La réalisation de ces prodiges ne devrait-elle pas imposer quelque réserve à ceux qui défient la raison humaine de résoudre les problèmes qu'elle n'a pas encore résolus?

R. Voudriez-vous donc confondre les problèmes de l'ordre religieux et moral avec ceux de l'ordre physique, tels que la télégraphie électrique et nos machines à vapeur? Entre autres différences, en voici une que je recommande à votre attention.

Les forces employées dans le télégraphe et les locomotives existent dans la nature; il s'agissait donc non de les créer, mais de les reconnaître. Depuis longtemps les physiciens étudiaient les propriétés du fluide électrique et considéraient la vapeur comme une puissance motrice (1).

(1) Voy., dans l'Annuaire du Bureau des longitudes pour 1829, la Notice de M. Arago sur les machines à vapeur.

L'art de s'avertir de loin par des signaux, connu dans l'antiquité, avait donné aux modernes l'idée de s'écrire de loin (télégraphe), idée que les frères Chappe réalisèrent à la fin du dernier siècle. On savait aussi que, pour accélérer la marche d'une voiture ou d'un navire, il n'y avait qu'à augmenter la force d'impulsion et à diminuer la force de résistance. Il ne restait qu'à rapprocher ces données diverses et à se dire: Voyons si ce fluide électrique, avec lequel nous produisons instantanément à de grandes distances de si singuliers effets, ne pourrait pas transmettre le signe matériel de la pensée. Voyons si la vapeur, capable de nous emporter dans les airs, ne pourrait pas accélérer nos mouvements sur la terre et sur l'onde. En un mot, ces belles inventions étaient préparées par les progrès antérieurs, et on peut dire que les deux problèmes se trouvèrent résolus, le jour où ils furent nettement formulés.

Il n'en est pas ainsi du fameux problème philosophique : Démontrer, par les seules lumières de la raison humaine, quelle est la cause première et finale de tout ce qui existe, notamment de l'homme. Voilà bien des siècles qu'il a été clairement posé et vigoureusement agité par cent écoles de philosophie, sans qu'il ait fait un pas.

Nous avons constamment progressé, et nous pouvons nous promettre de progresser toujours plus dans les arts, c'est-à-dire dans la connaissance et l'emploi des forces de la nature, pourquoi ? Parce que, dès l'origine, les hommes ont eu quelques connaissances élémentaires des forces de la nature, et que les connaissances acquises servent à l'acquisition de nouvelles connaissances. Mais qu'ont-ils découvert dans l'ordre métaphysique? Rien. Rien ne se faisant de rien, les chances pour les découvertes à venir se réduisent donc à zéro, et nos progrès dans l'étude du monde matériel ne font que mieux constater notre impuissance dans le monde intellectuel.

Il y a plus le problème, tel qu'il est posé par les philosophes rationalistes, est une absurdité, et ne peut être

sérieusement discuté que par ceux qui n'en comprennent pas les termes.

D. Comment donc?

R. Pesez bien les termes du problème : Démontrer, par les seules lumières de la raison humaine, quelle est la cause première et finale de tous les êtres, notamment de l'homme.

Démontrer, c'est mettre une proposition ou un fait dans une telle évidence, que la conviction s'ensuive. Que s'agitil de démontrer ainsi? Quelle est la cause première et finale, etc. Il faut donc résoudre péremptoirement et sans laisser place au doute ces petites questions: Le monde at-il toujours été, sera-t-il toujours tel que nous le voyons? S'il est éternel, montrez-nous la raison irrécusable de son éternité. S'il a eu un commencement, s'il doit avoir une fin ou subir des transformations, faites-nous voir clairement quand et comment il a commencé d'être, quand et comment il finira ou se transformera. Si vous ne pouvez dissiper tous les nuages qui pèsent sur ces questions, en voici du moins une qu'il vous importe extrêmement de décider au plus vite et de manière à n'y pas revenir : Quelle est l'origine première et la destinée finale de notre espèce et des individus qui la composent? D'où venons-nous? où devons-nous aller, et quelle route suivre au milieu des mille voix intérieures et extérieures qui nous sollicitent en sens contraires?

Et à qui demande-t-on la démonstration évidente, absolue de ces choses? Aux seules lumières de la raison humaine. Or, la raison humaine n'étant qu'une abstraction, quand on ne la prend pas dans les individus humains, c'est en réalité à vous, c'est à moi, c'est à quiconque veut être philosophe, qu'on demande la lumineuse, la péremptoire solution. Ni vous ni moi ne pourrions dire quand et comment poussa sur notre tête le premier ou le dernier de nos cheveux, ni annoncer quand et comment il tombera; n'importe, les rationalistes entendent que nous découvrions au

juste quand et comment commencèrent toutes choses, quand et comment elles finiront. Toutes les lumières de notre raison sont impuissantes à dissiper les nuages de notre berceau, et nous ignorerions invinciblement quels furent nos premiers pas dans la vie, sans le témoignage de ceux qui veillaient sur nous; n'importe, les rationalistes veulent que nous levions le voile qui couvre le berceau et la fin du monde, le principe et la destinée de tous les êtres.

N'avais-je pas raison de vous dire que le problème de la philosophie rationaliste est une absurdité pour quiconque en a compris les termes?

D. Si le rationalisme pèche par excès de confiance dans nos lumières, s'il demande trop à la raison, par contre le catholicisme ne tomberait-il point dans un excès contraire? Ne ravale-t-il point nos forces intellectuelles en nous disant: Dieu a parlé, croyez et ne raisonnez pas?

R. En attendant que l'exposition des doctrines catholiques vous montre quelle vaste carrière le catéchisme ouvre à la pensée humaine, voici deux courts raisonnements qui, appuyés sur des faits aussi éclatants que le soleil, mettent en évidence l'absurdité de cette vieille calomnie: La foi catholique affaiblit les intelligences.

I. Dans leurs institutions sociales, comme dans toutes les branches du savoir humain, il est notoire que les peuples chrétiens ont laissé bien loin derrière eux tous les peuples non chrétiens. Or il n'est pas moins notoire que c'est au catholicisme que tous les peuples chrétiens doivent leur éducation. Il est donc juste de reconnaître que la méthode catholique n'est pas un éteignoir.

II. La force et la grandeur des esprits se mesurent à l'étendue et à la solidité de leurs connaissances, comme leur faiblesse se reconnaît à l'absence de principes fixes sur quoi que ce soit. Or il est constant que tous les catholiques instruits ont sur l'universalité des questions philosophiques des principes et des convictions d'une grande fermeté : il n'est pas moins constant, de l'aveu des rationalistes, que

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