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Nous voyons ensuite le Docteur des nations rendre hommage aux prodigieux travaux de Pierre, en écrivant de Corinthe, à ces chrétiens de Rome qu'il ne connaît encore que de réputation, que leur foi est renommée dans tout l'univers (1). Et si vous soupçonnez quelque emphase dans cet éloge des chrétiens de Rome, ouvrez le païen Tacite au XVe livre de ses Annales, et il vous apprendra que la multitude des sectateurs du Christ était énorme, quand il prit fantaisie à Néron de leur imputer l'incendie de Rome.

Lisez les Actes des apôtres, et, quoique depuis le IX chapitre, les travaux de saint Paul en soient le principal, pour ne pas dire l'unique sujet, vous y verrez néanmoins une évangélisation à peu près universelle, et tellement fructueuse, qu'au XIXe chapitre, vous entendrez l'orfévre Démétrius, qui faisait de petits temples d'argent de Diane, dire à tous ses ouvriers et collègues : Vous savez que toute notre vie est dans ce travail; or vous voyez et vous entendez dire comment, non-seulement à Éphèse, mais dans presque toute l'Asie, ce Paul-ci entraîne une grande foule, en leur disant que les œuvres de nos mains ne sont pas des dieux. Il n'y va pas seulement de notre fortune, mais le temple de la grande Diane va tomber dans le mépris; et la majesté de celle qui est adorée dans toute l'Asie, et même dans tout l'univers, sera bientôt anéantie (2).

Pouvez-vous maintenant nier l'existence, dès avant le milieu du premier siècle de notre ère, d'une Église catholique, soit d'une Église prêchant Jésus-Christ à tous les peuples, et trouvant chez tous les peuples des croyants dévoués ?

D. A vrai dire, je serais très-porté à répondre que tout cela me paraît un rêve; mais vous me répondriez probablement que le rêve dure un peu trop.

R. Oui; et je crois vous avoir déjà dit, dans les Questions préliminaires, que les incrédules, en traitant le ca

(1) Ép. aux Rom., I, 8.

(2) XIX, 24-27.

tholicisme de rêve de l'esprit humain, nous donnent le droit de leur répondre: Mettons que le monde catholique rêve depuis le Christ, il faut donc désespérer du réveil de l'esprit humain ; et quand vous vous flattez de le remettre dans les voies de la raison, vous nous donnez la preuve d'un orgueil prodigieusement sot.

Et puis, s'il vous plaît, dans quelle tête aurait pu surgir un tel rêve? Parmi les plus audacieux penseurs dont nous ayons mémoire, vous n'en trouverez pas un qui ait osé rêver une société universelle, et la plus difficile de toutes les sociétés, la société des âmes et des cœurs.

Vous citerez les Romains? - Eh bien, nommez celui des Romains qui rêva, dès le commencement, je ne dis pas l'empire vraiment universel, mais l'empire tel qu'il était à l'arrivée de l'empire apostolique. Serait-ce Romulus, lui qui, en armant tout son monde, comptait à peine trois mille hommes de pied et trois cents chevaux, au moment où il fut enlevé par les dieux? Il y a tout lieu de penser que les Romains ne se formèrent une idée juste de leur empire que quand il se trouva fait, et vous devez savoir le temps qu'on mit à le faire.

Pour les bateliers du lac de Galilée, le plan précède l'exécution; et ce plan, qui surpasse en grandeur tous les plans entrés jusque-là dans la pensée humaine, s'exécute avec une telle rapidité, et par des moyens si disproportionnés au résultat, que notre pauvre raison reste confondue. Après avoir vainement cherché à s'expliquer le succès d'une entreprise que les travailleurs eux-mêmes appelaient une folie, le penseur consciencieux est obligé d'adopter l'explication qu'en donne saint Paul dans ses Épitres, notamment dans la première aux chrétiens de Corinthe. Connaissant leur faible pour la philosophie grecque qui avait fait leurs délices et leur gloire, il prend plaisir à leur montrer, dans tout ce qui se passe, l'accomplissement des paroles du Seigneur, qui avait dit par Isaïe: Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants. Où sont maintenant les

sages? Où sont les docteurs? Où sont les amateurs des lumières de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? Et la raison de cette conduite, c'est que, ajoute-t-il, le monde, avec toute sa science humaine, n'ayant point reconnu Dieu dans les œuvres de sa sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des prodiges, et les Grecs de la sagesse: pour nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Grecs; mais pour ceux qui sont appelés Juifs et Grees, le Christ est la puissance ainsi que la sagesse de Dieu (1).

Veuillez bien vous recueillir un peu pour méditer cette question: A une époque où l'incrédulité était générale dans le grand monde, et la division religieuse extrême parmi les croyants; à une époque où le peuple juif lui-même se partageait en plusieurs sectes, et où les dieux des gentils différaient non-seulement de nation à nation, mais de cité à cité, de village à village, de maison à maison; l'idée de ramener tous les hommes à l'unité de pensée et de sentiment en matière religieuse, et cela au nom d'un Juif crucifié, ne pouvait s'offrir à la pensée humaine sans être repoussée comme la plus grande des extravagances.

En y réfléchissant bien, vous verrez que le plan de faire de tous les hommes un seul cœur, une seule âme, n'a pu être sérieusement conçu et entrepris que par celui qui avait le droit de dire: Pour les hommes, cela est impossible; mais rien n'est impossible à Dieu... Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre; allez donc (2) ! Si la conception du plan est surhumaine, que penser de l'exécution?

D. Je sens la force de ces considérations; mais n'est-il pas vrai que le prodige de l'unité religieuse reçut de cruelles atteintes dès le premier jour; que Simon le magicien essaya

(1) Prem. Ép., I, 19-24.

(2) Saint Matthieu, XIX, 26; XXVIII, 18, 19.

d'élever une église dans l'Église, sous les yeux mêmes de

Simon-Pierre ?

R. Oui; mais vous savez que l'Église le mit à la porte en lui disant par la bouche de son chef: Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as pensé que le don de Dieu est chose vénale! Tu n'as ni part ni héritage dans cette œuvre, car ton cœur est sans droiture devant Dieu (1). Nous voyons par les écrits apostoliques que Simon eut une foule d'imitateurs, que les antechrists étaient nombreux, et qu'avant de descendre dans la tombe sur la fin du premier siècle, l'apôtre bien-aimé Jean vit l'hérésie saper toutes les bases de la foi, et dut prendre la plume pour défendre la divinité du Sauveur et son humanité.

En frappant de l'anathème ces blasphemateurs ignorants et ces docteurs corrompus el corrupteurs, en prescrivant aux fidèles de les fuir comme la peste et de ne pas même leur rendre le salut (2), les apôtres rappelaient à ceux-ci les paroles du divin Maître : Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre.... Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups.... Il est inévitable qu'il y ait des scandales, mais malheur à celui par qui viendra le scandale! - Il faut qu'il y ait des hérésies, dit saint Paul aux Corinthiens, afin que par cette épreuve les bons, parmi vous, soient mis en lumière (3).

En effet, si les hérésies et les schismes sont chose infiniment déplorable à cause du grand nombre de dupes honnêtes qu'ils tiennent éloignées du grand fleuve de vie, ils ne laissent pas que d'avoir l'avantage, 1o de purifier l'Église de ses mauvaises têtes, ainsi que des désordres et des abus qu'engendre une longue paix; 2o de resserrer les liens de l'unité parmi les fidèles; 3o de faire resplendir aux yeux de tous cette unité, par son contraste avec les éternelles divisions et subdivisions du schisme et de l'hérésie.

(1) Actes des apôtres, VIII, 20, 21.

(2) Saint Jean, Deux. Ép., 10.

(3) Prem. Ép., XI, 19.

Quel qu'ait été le nombre des sectes durant les premiers siècles (et il fut très-grand), jamais il ne put rendre douteuse l'existence d'une Église catholique, je ne dis pas pour les fidèles ni pour les sectaires, mais pour les païens euxmêmes. Celse, dans ses livres contre les chrétiens, leur reproche leurs divisions; mais il sait fort bien quels sont les partis que ne reçoit pas la grande Église (1). Quand l'empereur Aurélien veut mettre fin aux troubles qu'excitait dans l'église de la capitale de l'Orient (Antioche) l'évêque hérétique Paul de Samosate, il n'hésite pas à adjuger la maison de l'église à ceux qui, en communion avec les évêques d'Italie, reçoivent les lettres de l'évêque de Rome (2). AmmienMarcellin, tout païen qu'il était, blâme l'empereur Constance d'avoir voulu bouleverser la religion chrétienne, si nette et précise dans son dogme et sa constitution, par le désir de faire condamner Athanase par l'autorité qu'avait l'évêque de Rome au-dessus des autres. (V. liv. XV et XXI.)

Je finis par les paroles de deux beaux génies catholiques, écrivant, le premier vers l'an de Jésus-Christ 400, l'autre en 1816.

Dans un livre aux manichéens, ses anciens coréligionnaires, saint Augustin termine ainsi l'énumération des motifs qui l'attachent à la grande Église : « Ce qui m'y retient enfin, dit-il, c'est le nom même de catholique, tellement propre à cette Église, au milieu de tant de sectes qui le lui envient, que si un étranger demande où s'assemblent les catholiques, nul hérétique n'osera lui indiquer son temple ni sa maison (3).

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Une grande et magnifique cité d'Europe, dit M. de Maistre, se prête à une expérience intéressante que je propose à tous les penseurs. Un espace assez resserré y réunit des églises de toutes les communions chrétiennes. On y voit

(1) V. Origène, Contre Celse, liv. V.

(2) V. Eusèbe, Hist. ccclésiast., liv. VII, ch. 30. Théodoret, Fables des hérétiques, liv. II, ch. 8.

(3) Contra Epist. fundam., IV.

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