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une église catholique, une église russe, une église arménienne, une église calviniste, une église luthérienne; un peu plus loin se trouve l'église anglicane; il n'y manque, je crois, qu'une église grecque. Dites donc au premier homme que vous rencontrerez sur votre route: Montrezmoi l'église orthodoxe. Chaque chrétien vous montrera la sienne, grande preuve déjà d'une orthodoxie commune. Mais si vous dites: Montrez-moi l'église catholique, tous répondront: La voilà! et tous montreront la même... C'est une chose bien remarquable que, tout chrétien étant obligé de confesser, dans le Symbole, qu'il croit à l'Église catholique, néanmoins aucune Église dissidente n'a jamais osé se parer de ce titre et se nommer catholique, quoiqu'il n'y eût rien de si aisé que de dire: C'est nous qui sommes catholiques ; et que la vérité d'ailleurs tienne évidemment à cette qualité de catholique (1).

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D. Pour ne pas rester tout à fait muet devant ce grand rêve qui compte dix-huit siècles de réalité historique, je dirai avec nos chers frères des églises bibliques, que la réalité du rève inquiète plus que moi, que l'unité catholique n'est qu'une fiction, que l'opposition n'est pas moins grande entre les molinistes et les jansénistes, les ultramontains et les gallicans, qu'entre les divers partis qui scindent le protestantisme.

R. Puisque vous voulez plaisanter, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout, et dire : « On a beaucoup parlé de l'anarchie protestante, mais c'est de l'unité protestante qu'il fallait parler. L'accord frappant qui règne entre les symboles dės différentes églises protestantes, cet accord né dans la liberté et dont elle constate la réalité, cet accord est la véritable unité, dont le catholicisme n'a que le fantôme (2). » En parlant ainsi, le badinage serait palpable, et je ne courrais pas

(1) Du Pape, liv. IV, ch. 5.

(2) M. Vinet, Essai sur la manifestation des convictions religieuses, p. 369.

le risque d'ètre ridicule en prenant au sérieux une plaisanterie.

Je n'ignore pas que depuis que l'anarchie protestante est arrivée au comble, même au sein de l'Église anglicane, les soi-disant ministres du saint Évangile, pour apaiser les angoisses de leurs ouailles encore croyantes à quelque chose, fout de très-grands efforts pour accréditer parmi elles l'incomparable plaisanterie de l'unité protestante et des dissidences catholiques en matière de foi; mais, gràces en soient rendues au Pasteur éternel, qui veut que toutes ses ouailles dociles, encore égarées, reviennent au grand troupeau, l'entreprise des champions de l'erreur est désormais audessus de leurs forces et de la crédulité de leurs dupes. Je n'aurais besoin que de M. Vinet lui-même, qui a, non inventé, mais répété la plaisanterie (1), pour montrer l'universelle et dernière dissolution de toutes les Églises fondées par les glorieux réformateurs.

Cette dissolution, le noble écrivain la voyait partout, dans les églises allemandes, dans les églises des Pays-Bas, dans les églises françaises, dans les églises de la Suisse, dans sa chère église de Lausanne. Il avait assisté à plusieurs de ces synodes où le seul mot de symbole, de dogmes à professer, excitait des tonnerres de réprobation. Cette dissolution, il la décrivait avec une admirable énergie : « Les poutres de la charpente se déjoignent... L'édifice craque de toutes parts... Ses forces accessoires et auxiliaires se retirent... Tous les vieux ressorts se détendent et ne sont pas remplacés... Un instinct de conservation pousse tout le monde à sortir, avant qu'elle s'écroule, de cette maison ébranlée... Il y a des protestants, il n'y a plus de protestantisme (2). » Et il déplorait la faiblesse de ses coreligionnaires, qui ne s'accordaient plus que dans la nullité, en présence de cette Église,

(1) M. Vinet cite l'auteur anonyme, mais que je pourrais nommer, de la brochure intitulée de l'Unité romaine, et de la diversité protestante.

Essai, p. 181.

(2) Ibid., 495.

dont il disait, à l'encontre de ce qu'il avait écrit quelques pages plus haut: « La forme du catholicisme étant fort arrétée, tel on l'accepte, tel on le garde, et l'on sait d'avance sur quel terrain et dans quelles conditions on le trouvera... Il y a quelque chose qui semble environner le catholicisme d'un mur de diamant : c'est sa doctrine même (1).

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M. Vinet écrivait ainsi en 1842. Si Dieu nous l'eût conservé, que penserait-il aujourd'hui que la tête du protestantisme, l'Église anglicane, environnée par la reine Élisabeth d'un mur, non de diamant, mais d'or, est tombée en poussière sous la main du chef du cabinet de Saint-James, qui lui a dit, avec l'assentiment de tous ses archevêques et évêques, moins un : « Que tu es ridicule de soutenir encore au dix-neuvième siècle le dogme suranné du péché originel et de la nécessité de la régénération baptismale! Allons, sois sage, et reçois, en face de l'Europe, pour ton très-légitime ministre, le docteur déiste Gorham, sinon! »

Chose singulière ! pendant que la question capitale de la foi à la régénération baptismale coule bas les restes du protestantisme officiel en Occident, la même question, à ce qu'on nous dit, trouble le sommeil des églises schismatiques de l'Orient et menacerait l'ombre d'unité qu'on leur suppose. Les patriarches de Constantinople et de Jérusalem auraient déclaré indispensable pour le salut le baptême par immersion, et rangé par conséquent parmi les exhérédés du royaume des cieux, non-seulement tous les chrétiens de l'Europe, de l'Amérique, etc., mais encore ceux de l'église orthodoxe russe, qui tiennent pour très-valide le baptême par ablution. Qui sait s'il ne plaira pas au Seigneur de nous donner une nouvelle et bien douce preuve de cette vérité : Le baptême est la porte du salut, le sacrement qui nous fait enfants de Dieu et de son Église?

En présence de cette décomposition générale des institutions fondées par les hommes, que sont les dissidences doc

(1) De l'Unilé romaine et de la diversité protestante. p. 423.

trinales reprochées aux catholiques? Ne parlons pas du jansénisme proprement dit, mort sous les foudres de l'Église, et dont les partisans, s'il en est encore, ne peuvent rester parmi nous qu'en nous trompant. Quant aux thomistes et molinistes, gallicans et ultramontains, supposé qu'ils fussent aujourd'hui autre chose que des fantômes et de pures réminiscences du passé, que seraient-ils?-Des enfants de la sainte Église catholique qui s'amuseraient à rompre des lances théologiques dans le vaste champ clos laissé à leurs libres évolutions. Mais allez toucher à une des nombreuses colonnes du temple catholique, à l'un des articles, je ne dis pas du Symbole des apôtres, ni du Symbole de Nicée et de saint Athanase, mais seulement à l'une des définitions doctrinales décrétées et publiées, soit par un concile œcuménique, soit par le souverain pontife parlant ex cathedra urbi et orbi; vous verrez tous ces ferrailleurs s'unir pour vous dire: Ne touchez pas à cela, c'est une des limites posées par Jésus-Christ, parlant par son Église !

Voilà, faut-il dire à nos frères errants, à quoi se réduisent nos terribles dissensions. Comparez-les aux vôtres, et voyez si vous ne vous reconnaîtriez pas à ce mot fameux qui contient l'histoire de tous ceux qui ont prétendu trouver la vérité hors de l'unité catholique : Ils ne s'accordent que dans la division, le schisme est leur unité (1)!

CHAPITRE III.

Que si l'Église catholique a toujours subsisté, subsiste toujours,
il ne faut pas en accuser les hommes.

D. Que voulez-vous dire par là?

R. Je tiens à justifier deux classes d'innocents : le sacerdoce catholique avec ses défenseurs, et les ennemis quel

(1) Tertullien.

conques du catholicisme. On accuse les premiers, tantôt d'avoir créé, dans le délire de l'ambition, le plan d'une Église universelle, tantôt d'avoir faussé le plan divin en le resserrant ou en l'élargissant trop; enfin, de s'être toujours obstinés à le soutenir tel que nous le trouvons. On accuse les autres d'avoir lâchement, maladroitement combattu l'Église, d'avoir manqué cent occasions d'en finir avec ce mauvais rêve des papes, des évêques et des moines. Je veux décharger les uns et les autres du poids d'accusations injustes, absurdes même, montrer qu'ils sont innocents du fait de la perpétuité de l'Église catholique, et que, si le fait est répréhensible, le blâme en doit aller à Jésus-Christ et à un très-haut complice que je signalerai en expliquant le huitième article du Symbole des apôtres.

D. Je comprends votre thèse, mais la démonstration m'en paraît devoir être longue et difficile. Et d'abord, s'il est aisé d'absoudre les papes et les évêques de la création de l'Église catholique, création qui appartient visiblement aux apôtres et à celui qui les envoya, comment prouver qu'ils n'ont pas soutenu cette œuvre, puisque sans la hiérarchie catholique on ne conçoit pas la possibilité d'une Église universelle?

R. J'admets bien, pour l'existence de l'Église, la nécessité du concours perpétuel des membres du sacerdoce catholique; mais je crois voir, avec une parfaite évidence, que ce perpétuel concours des papes, des évêques, des prêtres, des moines et de tous les fidèles dévoués, pour le maintien de l'unité catholique, n'a jamais pu être l'œuvre ni d'un ou de plusieurs papes, ni d'un ni de mille évêques, prêtres, rois, empereurs, etc. Vous allez le voir.

Vous m'accorderez, sans doute, que ce n'est pas par leur côté faible, par leurs petites et grandes misères morales, que tous ces agents ont soutenu l'édifice catholique.

D. Non, certes; ce qui étonne même, quand on lit l'histoire de certains siècles, c'est que l'Église n'ait pas péri par les scandales et les désordres qui éclataient dans les plus hauts rangs. Elle ne fut sauvée que par la masse de lu

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