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mières et de vertus qui se trouvait même alors dans le sacerdoce, de l'aveu des historiens les moins favorables à celui-ci.

R. Eh bien, c'est dans cette masse de lumières et de vertus sacerdotales que je vois le plus terrible obstacle à l'unité catholique; obstacle tel, que, sans une lumière et une vertu supérieures aux lumières et aux vertus des membres du sacerdoce, l'union de ceux-ci constitue la plus grande impossibilité morale qu'il soit possible de concevoir.

Certes, ce n'est pas une petite affaire que de maintenir l'union et l'ordre parmi une trentaine d'esprits qui ne se distinguent que par l'ignorance, la paresse et la frivolité. Si, par hasard, vous ne le saviez pas, allez dans une école primaire. Mais établir et conserver l'unité de pensée, de sentiment et d'action dans une assemblée d'esprits à grandes vues, de cœurs passionnés pour les grandes choses, quelle tâche, l'assemblée ne fût-elle que de douze individus !

Je ne conçois qu'un moyen d'assurer l'unité des douze : la présence d'un président, résumant les débats, concluant par une décision telle quelle, et disant à une compagnie de licteurs Enchaînez celui de ces messieurs qui ne goûtera pas ma décision, et, s'il résiste, coupez-lui la tête ! — Si vous voyez un autre moyen de garantir l'unité, veuillez bien me le dire.

D. Votre méthode est sans doute la plus courte, mais elle a l'inconvénient de réduire les douze penseurs à un seul, et de faire de celui-ci un ogre. Il me paraît qu'entre hommes de science et de vertu, la discussion pourrait produire l'accord, 1o sur les premiers principes; 2o sur les déductions les moins contestables, et que, pour le reste, le bon sens dirait : Liberté !

R. Très-bien! et, pour ce qui me regarde, je préférerais infiniment la liberté à la chaîne et à la hache, m'offrit-on la présidence des douze. Mais allons au résultat de la liberté.

Si les douze s'occupent de philosophie rationnelle, je pense qu'ils pourront s'accorder sur quelques définitions

géométriques, sur quelques faits de l'ordre physique parfaiment constatés par l'observation. Quant aux axiomes métaphysiques les plus clairs, s'ils obtiennent aujourd'hui l'adhésion commune, des scrupules viendront à quelques-uns durant la nuit; demain ils demanderont une révision du jugement, et le résultat de la nouvelle discussion sera de transformer leurs scrupules en doutes très-graves, trèsfondés. Je paric tout ce que vous voudrez que, loin d'aborder le chapitre des déductions les moins contestables, nos douze resteront à discuter les principes jusqu'au jour où l'un d'entre eux dira : Que vous en semble, mes amis? N'aurious-nous pas surabondamment prouvé que, s'il existe des principes, ce n'est pas pour le pauvre esprit humain? -N’acceptez pas mon pari, car il est déjà gagné. Ne vous ai-je pas fait voir que, depuis vingt-cinq siècles que les philosophes rationnels sont à l'œuvre, il leur reste toujours à découvrir les principes de leur philosophie métaphysique et morale (1)? Mais laissons la philosophie rationnelle pour revenir à notre sujet.

De quoi est-il question? De l'établissement et du maintien, durant dix-huit siècles révolus, d'une école de philosophie religieuse, renfermant dans son sein une foule de nations et une infinité de familles appartenant à toutes les nations qui sont sous le soleil. Je suppose que les chefs de cette immense école se réduisent à douze, assemblés là autour d'une table, pour arrêter de concert le programme de cette philosophie. Où trouveront-ils les vrais principes de la philosophie du Christ?

D. Dans la Bible, vous répondra-t on.

R. Je le veux; mais trouve-t-on quelque part dans la Bible la formule complète, nettement conçue et exprimée de toute la doctrine du Christ?

D. Je ne le pense pas; mais nos douze sont des hommes de savoir et de vertu : qu'ils cherchent cette formule, et, Dieu aidant, ils la trouveront.

(1) V, les Quest. prélim.

R. Les voilà, en effet, je le suppose, à lire, méditer, confronter les trente et quelques mille versets de la Bible. Comme ils croient peu à l'infaillibilité des traducteurs, et qu'ils sont d'ailleurs de très-forts hébraïsants et hellénistes, ils lisent, discutent les textes originaux, ne négligent rien pour parvenir à l'intelligence du sens grammatical. Après ce travail d'analyse, qui, pour n'être pas dérisoire, exigera au moins un ou deux lustres d'études silencieuses, les voilà qui s'élèvent à la synthèse. Vous les voyez, chacun séparément, se hasarder à poser un principe, un point de départ, faire un pas en avant, un autre en arrière, à droite ou à gauche, écrire, corriger, effacer. Enfin les plus diligents, ou les plus légers, ont bâclé leur canevas de philosophie chrétienne, et demandent à lire leur composition. La lecture

commence.

La lecture des douze compositions achevée, si vous n'avez pas douze systèmes de philosophie chrétienne, sinon totalement contradictoires, du moins n'ayant entre eux de commun que leur prétendue origine biblique, vous devrez crier au miracle; car, si vous jugiez cela naturel, vous me prouveriez que vous ne connaissez ni la Bible ni le caractère des hommes de savoir et de vertu.

D. Je m'attends bien à une grande divergence; mais, la lecture finie, la discussion commencera, et si nos vertueux docteurs en bannissent les entètements de l'amour-propre, la lumière se fera.

R. Oui, et je vais vous montrer cette lumière. De deux choses l'une ou nos vertueux docteurs tiendront à leurs convictions personnelles, fondées sur les lumières résultant de leurs études et de la discussion, ou ils entreront dans le système des concessions réciproques.

S'ils prennent le dernier parti et qu'ils disent : Il faut en finir avec ce galimatias biblique, en tirer tant bien que mal une forme de religion commune que nous puissions enseigner aux peuples par ordre du Christ. Prenez-moi ces deux ou trois dogmes, je vous abandonne les autres; que chacun en fasse autant, et nous allons écrire: Il a paru à l'Esprit

Saint et à nous!.... Dans cette hypothèse, vous comprenez que, si le savoir et la vertu de nos docteurs ne trouvent pas en ce monde leur récompense, Dieu y pourvoira et recommandera, d'une manière toute spéciale, ces honnêtes gens au premier auteur des religions de mauvais aloi.

Que si nos vertueux savants tiennent à ne pas faire croire aux autres ce qu'ils ne croient pas eux-mêmes, je suis sûr de ne pas m'éloigner de la vérité en disant que, sur les douze religions, la moitié, les deux tiers crouleront plus ou moins vite sous le feu de la discussion, et que les incendiés se réfugieront sous le drapeau des deux ou trois chefs qui les aideront à sauver quelques débris de leur travail. La lutte ne sera plus d'un contre tous, mais de parti à parti, et, au lieu d'arriver à l'unité de conviction, on marchera, de séance en séance, à la preuve de la nullité des plus fortes convictions.

Mettons qu'un beau jour, un de ces douze génies ait rallié toutes les voix par un exposé lumineux et irrésistible de son programme, et que tous, se sentant subjugués, s'écrient C'est vraiment la parole du Christ! Combien pensez-vous que durera cette conviction?

D. Il serait bien possible qu'il en fût de nos philosophes bibliques comme des philosophes rationalistes, que la Pénélope de leur raison effilochât la nuit ce qu'elle aurait tissé durant le jour.

R. Cela est évident. Leur conviction ne pouvant reposer que sur la force de l'argumentation, je ne vois pas quelle argumentation théologique et philosophique serait assez heureuse, assez resplendissante d'évidence, pour subjuguer constamment ces douze esprits supérieurs. Plus ils seraient craignant Dieu, plus aussi ils répugneraient à imposer aux peuples une profession de foi qui leur laisserait des doutes, et pour la défense de laquelle ils ne seraient pas prêts à dire aux persécuteurs, comme nos millions de martyrs catholiques: Je crois au Christ, et, plutôt que de renier ou dissimuler ma foi, je mourrai !

Maintenant, je vous le demande, voyez-vous l'impuis

sance où a toujours été le sacerdoce catholique (eut-il renfermé cent fois plus de lumières et de vertus) d'établir et de maintenir, par ses propres forces, l'unité de croyance et de pratique, je ne dis pas durant dix-huit cents ans, mais seulement durant un petit quart de siècle?

D. Je crois y voir du moins une très-grande, une extrême difficulté.

R. Deux mots vous feront voir que votre extrême difficulté est une impossibilité morale supérieure à toutes les impossibilités imaginables dans ce genre.

En effet, au lieu des douze membres du sacerdoce catholiques (que nous avons supposés réunis autour de la mème table), l'histoire de l'Église catholique nous en montre plus de dix-huit millions, formant durant dix-huit siècles l'immense réseau qui retient, par la seule force de la conviction, dans la profession de la même foi, cinquante générations de catholiques disséminées sur tout le globe. Pour vous montrer que je n'exagère pas, voici mes calculs par nombres ronds:

1o Environ 260 'papes de saint Pierre à Pie IX....

2° En ne donnant à chaque pape que mille frères dans l'épiscopat, et en donnant à chacun vingt ans d'épiscopat (ce qui est certainement trop), nous avons 5,000 évèques par siècle, ce qui nous en donne pour 18 siècles.....

3o En donnant 200 prêtres à chaque évêque, nous en avons 200,000 à la fois (ce qui est évidemment au-dessous du nombre même actuel); en leur accordant, ce qui est encore trop, vingt ans de prêtrise, chaque siècle nous en donne un million, et, partant, le total des prêtres catholiques serait de...

260

90,000

18,000,000

18,090,260

Je vous prie d'observer que dans mon calcul ne figurent pas 1° les ministres inférieurs : diacres, sous-diacres,

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