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ceux-ci n'ont de convictions sur rien, et que de toutes les questions qu'ils ont posées, pas une n'a reçu jusqu'ici une solution qui les satisfasse. Donc, quand le rationalisme accuse la foi catholique de ravaler les esprits, c'est l'ignorance qui dit au savoir: Tu es un aveugle! C'est la nuit qui dit au jour : Tu manques de lumières !

D. A cela les rationalistes peuvent opposer la réponse du plus illustre philosophe de l'antiquité. Questionné sur ce que la philosophie lui avait appris, Socrate répondait : « Elle m'a appris à savoir que je ne sais rien. » Avoir acquis la conscience de son ignorance, n'est-ce pas quelque chose?

R. Si vous savez que vous ne savez rien, leur répondra tout homme de bon sens, pourquoi enseignez-vous? Avoir acquis la conscience de votre ignorance, et pourtant vous poser en maîtres de la science universelle, quelle inqualifiable prétention!

Condamnés par leurs propres aveux, nos rationalistes le sont encore par l'exemple des philosophes qu'ils invoquent. Socrate, Platon reconnurent l'insuffisance de nos lumières pour pénétrer le mystère de la science universelle et de la destinée humaine; mais, au lieu d'en rester là, ils en déduisirent la nécessité d'un enseignement divin, et ils exhortèrent leurs disciples à l'attendre de la bonté du ciel. Voilà ce que firent ces illustres penseurs à une époque où la Grèce conservait à peine le souvenir confus d'une révélation primitive. Aujourd'hui que les peuples de l'Europe marchent depuis tant de siècles au grand jour des lumières chrétiennes, que font nos professeurs de philosophie rationaliste? Ils ne cessent d'abuser la jeunesse, en lui offrant la raison comme la lumière des lumières, l'autorité des autorités, l'unique autorité. S'il leur arrive de mentionner la révélation évangélique, ce n'est que pour lui jeter leurs imbéciles dédains.

D. Les rationalistes diront encore que, la révélation étant un fait surnaturel, le philosophe doit l'abandonner

au théologien et se renfermer dans le cercle des connaissances naturelles.

R. Si les rationalistes veulent se renfermer dans le cercle des connaissances naturelles, eh bien, qu'ils s'occupent de l'art de fumer, de labourer, de semer nos champs, de soigner le bétail, etc.; mais qu'ils ne s'avisent pas de discuter des problèmes tels que ceux de l'origine et de la destinée de l'univers et du genre humain. Ces problèmes sortent évidemment du cercle de nos connaissances naturelles, et prétendre les résoudre par nos propres lumières, c'est chose aussi sensée que de vouloir porter la main sur le soleil, la lune et les étoiles.

Pour vous faire toucher au doigt la valeur respective de la méthode rationaliste et de la méthode catholique, mettons en peu de mots l'une et l'autre en présence.

De quoi s'agit-il? Il s'agit de trouver la clef de la science universelle, de connaître au juste quelle est la raison première et dernière de l'existence du monde, de notre propre existence.

Quelle voie vous indique la philosophie rationaliste? Consultez, vous dit-elle, votre raison, interrogez le spectacle de la nature, car ce sont là, pour le philosophe, les deux grands, les uniques foyers de lumière! C'est vous dire: Cherchez dans votre esprit la science suprême, car elle doit y être ; et si, par hasard, vous ne la trouviez pas, vous n'auriez qu'à la demander au spectacle de la nature, c'est-à-dire aux étoiles, aux animaux, aux plantes et aux pierres.

Quel moyen vous propose la philosophie catholique? Elle vous dit: La science universelle est le secret de l'Auteur de toutes choses, et Celui qui nous a faits peut seul nous dire pourquoi il nous a faits. Si nous restons forcément dans l'ignorance de la pensée intime des hommes avec qui nous vivons, tant qu'ils ne nous l'expriment pas, à plus forte raison ignorerons-nous la pensée de Dieu sur la destinée des êtres aussi longtemps qu'il ne nous la révé

lera pas. Or Dieu a révélé sa pensée au genre humain par le moyen du Christ. S'il vous reste des doutes sur ce fait qui a triomphé de l'incrédulité du monde, dissipez-les en étudiant les fondements de l'histoire chrétienne.

Examinez un instant les deux méthodes, et, la main sur la conscience, dites-moi de quel côté se trouve le langage de la raison et du bon sens philosophique?

D. Oui, la question est là: Le christianisme est-il l'expression de la pensée divine? Mais vous conviendrez que c'est là une grande question.

R. Ce n'est pas seulement une grande question, c'est l'unique question à examiner quand, après avoir reconnu l'existence d'un ordonnateur suprême, qui a soumis à des lois fixes le mouvement des astres et celui des insectes, on ne peut éviter cette question: Dieu a-t-il donné une loi aux hommes, et quelle est cette loi ? L'univers chrétien se levant alors pour affirmer le fait d'une loi divinement révélée, et montrant derrière lui quarante-cinq générations de témoins, l'examen approfondi de ce fait s'impose irrésistiblement au philosophe sérieux. Ne tenir aucun compte d'un événement qui a révolutionné à fond les populations les plus éclairées et les plus raisonneuses du globe, ou s'imaginer qu'on le rendra incroyable et indigne d'examen en le persiflant de toute manière, n'est-ce pas afficher le mépris de Dieu, des hommes et de cette raison humaine dont on se prétend les pontifes?

Or telle est la méthode invariable de nos rationalistes. Puisque vous répétez assez bien leurs objections, je pense que vous avez quelque connaissance de leurs livres. Eh bien! je vous le demande, avez-vous trouvé dans les nombreuses productions de MM. Cousin, Jouffroy, Damiron, Pierre Leroux, etc., l'apparence d'une discussion grave et consciencieuse des fondements historiques du christianisme? Ces puissants critiques ont-ils seulement essayé de nous dire comment Jésus-Christ, s'il n'était qu'un philosophe ou un visionnaire, a pu persuader ses premiers disciples qu'il

était le vrai Messie, l'Homme-Dieu né, mort et ressuscité pour le salut du monde; comment ces disciples ont été si bien convaincus d'avoir vu ce que, dans l'hypothèse rationaliste, ils n'auraient pas vu, qu'ils n'ont pas hésité à mourir pour soutenir cette conviction et la faire partager à leurs contemporains; comment ces pauvres dupes ont fait tant d'autres dupes, et des dupes si incorrigibles, que le sang chrétien n'a cessé de couler durant deux siècles et demi; comment la supercherie a été assez heureuse pour que l'empire romain, après l'avoir combattue de toutes ses forces, ait fini par l'adopter et lui coordonner ses institutions et ses lois; comment les Barbares, vainqueurs de l'empire romain et acharnés à sa destruction, ont embrassé l'incroyable et incommode religion des vaincus, et en ont fait l'âme du monde moderne; - comment cette religion, qui humilie l'intelligence et fait sourire les esprits forts, a élevé si haut la raison européenne et trouve toujours des savants pour broyer les objections des esprits forts, des apòtresmartyrs pour aller la prècher aux barbares, des sœurs de charité pour se vouer au service de ceux-là mème qui la blasphèment; comment, etc., etc., etc.?

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Je vous le demande : ces messieurs ont-ils jamais touché du bout de leur plume ces problèmes historiques ? Dans ces faits qui ont ébranlé et transformé l'univers, ont-ils vu autre chose qu'une poésie, des fictions, des mythes grossiers et populaires que la philosophie doit dissiper (1)?

D. Je ne pense pas qu'aucun de ces messieurs ait entrepris sérieusement l'étude du christianisme au point de vue historique. Pénétrés de respect pour son glorieux passé, mais frappés de la répugnance qu'inspirent aujourd'hui ses

- (c La

(1) « Dieu a dû se rapprocher de l'homme et se révéler à lui, nous dit M. Damiron, non qu'à cet effet il ait pris visage et corps et se soit incarné sous quelque forme. Tout ce qui s'est dit de semblable sur cette matière, est figure et poésie. » Essai sur l'histoire de la philosophie, p. 388. rédemption et la médiation de Jésus-Christ sont de ces mythes, de ces symboles, de ces figures que le soleil de la philosophie dissipera. » M. Jouffroy, Mélanges philos., p. 185 et 475.

doctrines, ils cherchent un nouvel appui à la société ébranlée dans ses vieux fondements. M. Jouffroy a bien exprimé cette disposition des esprits quand, dans ses Mélanges philosophiques, traitant du Problème de la destinée humaine, il dit : « Croyez-vous que dans l'époque actuelle une solution puisse être proposée à l'acceptation des masses, à ce titre qu'elle a été révélée?....... Quant à moi, Messieurs, j'incline fortement pour la négative.... Il ne reste donc, selon moi, pour venir au secours de la société menacée, qu'une seule voie, qu'un seul moyen: c'est d'agiter philosophiquement ces redoutables problèmes dont il lui faut nécessairement une solution, etc. »

R. Oui, ces messieurs se flattent de pouvoir éconduire le christianisme avec des coups de chapeau. Mais rien n'est si rénitent qu'un fait; et quand ce fait a, comme le christianisme, une longueur de dix-huit siècles, une largeur égale à celle du globe, et qu'il remplit toute l'histoire moderne, ne vous semble-t-il pas qu'il peut défier les courbettes et les gourmades des pédants qu'il gêne?

Le catholicisme fût-il aussi malade qu'il plaît à ces messieurs de le supposer, il n'en serait pas moins incontestable qu'il a longtemps fait vivre de sa vie l'univers chrétien, et dès lors voici le dilemme qui s'impose aux méditations du philosophe :

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La foi catholique repose nécessairement sur la vérité ou sur l'erreur. Si elle est ce qu'elle se dit, l'œuvre de Dieu, il y aurait crime et folie à vouloir la remplacer. Comment dire à l'Auteur de la vie : La loi que tu nous as donnée ne va plus à nos goûts; trouve bon que nous la mettions au rebut! Si elle est l'œuvre de la supercherie et de l'ignorance, son incroyable succès ne doit-il pas faire désespérer de l'esprit humain et fermer la bouche aux prôneurs des lumières de notre raison? Après de si tristes aberrations, pour se flatter de pouvoir reconduire les hommes à la vérité, ne faudrait-il pas du moins leur signaler clairement les causes de leur long asservissement à l'erreur?

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