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que, si les faiblesses de beaucoup de ses membres n'eussent pas suffi à compromettre l'existence de l'unité, ses lumières et ses vertus eussent été plus que suffisantes pour diviser et subdiviser l'innombrable troupeau, dix fois dans un siècle.

R. Passons maintenant à l'apologie d'une autre classe d'innocents.

CHAPITRE IV.

Que les ennemis actuels de l'Église catholique ne peuvent pas se plaindre

de leurs devanciers.

D. Pensez-vous donc que les anciens ennemis de l'Église aient constamment fait preuve de sagesse et d'ardeur dans leur guerre au catholicisme?

R. Oui, je le pense; et vous le penserez vous-même quand vous aurez lu l'histoire authentique de l'Église. Dans le récit de ces guerres, qui se ralentissent et semblent s'éteindre à certaines époques, mais qui, en réalité, ne s'assoupissent que pour éclater de nouveau, vous admirerez souvent la supériorité de l'attaque sur la défense, et vous direz avec l'unique fondateur et sauveur de l'Église : Dans leurs entreprises, les enfants du siècle sont plus habiles que les enfants de lumière (1). En attendant, voici un léger aperçu des exploits de la sagesse du siècle.

On peut classer les ennemis de l'Église en trois catégories les antichrétiens, voulant abolir jusqu'au nom du Christ; les anticatholiques, qui, par le schisme ou l'hérésie, veulent faire une église ou une religion chrétienne à leur image; les mauvais catholiques, qui, sans sortir de l'Église, veulent y jouir de la liberté de vivre en schismatiques, en

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hérétiques, et même en païens. Ces trois sortes d'ennemis ont toujours coexisté en Europe; car, quand l'antichristianisme païen s'y éteignit, l'antichristianisme y reparut bientôt sous les noms bizarres de ces sectes du moyen âge, aussi impies que brutales, dont la doctrine était : Le crucifié du Calvaire est un démon, le mariage une invention de l'enfer (1). Ces ennemis se sont toujours donné la main, alors même qu'ils ne croyaient pas le faire. Les antichrétiens ont constamment appuyé les attaques des anticatholiques, et avec raison, puisque les schismatiques et les hérétiques n'ont jamais été que les pionniers et l'avant-garde de l'antichristianisme. Les mauvais catholiques n'ont cessé de sourire à ces attaques, de répéter les coups de langue des ennemis du dehors, et de dire: Il est bon que le sacerdoce, qui ne nous ménage pas, trouve des gens qui lui disent de belles vérités au milieu de quelques exagérations.

Je soutiens que ces gens-là ont tous très-bien rempli leur rôle, et que, si la citadelle catholique tient toujours, ce n'est nullement leur faute.

D. Je vous accorderai que les antichrétiens des premiers siècles n'y sont pas allés de main morte; mais cette violence toute matérielle qui se bornait à dire : Adorez les dieux ou mourez! n'était pas très-propre à ramener des âmes éprises d'une doctrine infiniment supérieure aux absurdités de l'idolâtrie; peut-être même ces brutalités contribuèrentelles à resserrer les liens de la famille catholique.

R. Si vous pensiez sérieusement que les prisons, les chaînes, les grils ardents, les chevalets, les ongles de fer, les lions et les panthères de l'amphithéâtre, sont des moyens d'attacher à une religion telle que la nôtre des âmes unies à des corps comme les nôtres, je n'aurais rien à vous dire, sinon que j'ai perdu mon temps en vous donnant des leçons de philosophie chrétienne. Vous me donneriez la preuve que vous êtes encore étranger à toute connaissance de notre

(1) V. M. Hurter, Histoire d'Innocent III.,

nature. Notre âme, à ce qu'il me paraît, est naturellement très-froide pour la doctrine de Jésus-Christ, aujourd'hui que celle-ci ne lui demande que le sacrifice de nos bourreaux, les vices; pouvait-elle se passionner pour cette doctrine, quand, derrière le prêtre exigeant le sacrifice des passions les plus chères, les plus invétérées, elle voyait les bourreaux du corps prêts à se ruer, au nom de la loi, sur le nouveau chrétien? Le bon sens ne vous dit-il pas, comme à tout esprit non malade: Ce ne sont pas les supplices qui ont soutenu l'unité catholique, mais c'est l'unité catholique qui s'est trouvée assez forte pour résister, on ne sait comment, à un déluge de supplices qui a duré, avec quelques intermittences, près de trois siècles.

Au reste, ne vous imaginez pas que les premiers catholiques n'eussent à lutter que contre les supplices infligés par la loi ; les séductions et les violences morales étaient encore plus grandes. Les philosophes, les écrivains, entre lesquels le païen Celse et les apostats Porphyre et Julien, ne laissèrent rien à désirer pour mettre en lumière l'impiété, la fausseté et le ridicule de la superstition galiléenne. En lisant ce qui nous reste de leur travail, on voit que si dans la plaisanterie et le sarcasme ils sont inférieurs à Voltaire, ils le surpassent de beaucoup dans l'érudition biblique et l'art du sophisme. Aux attaques de la science se joignaient d'affreuses accusations tellement accréditées par la haine publique, que les plus éloquents apologistes désespéraient d'obtenir justice. Pour ne pas entrer dans des détails, bornons-nous à ces paroles de Bossuet : « Les calomnies se joignaient... à la cruauté. Des hommes qui pratiquaient des vertus au-dessus de l'homme étaient accusés de vices qui font horreur à la nature. On accusait d'inceste ceux dont la chasteté faisait les délices; on accusait de manger leurs enfants ceux qui étaient bienfaisants envers leurs persécuteurs (1). ›

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(1) Disc. sur l'Hist. univ.

Vous voyez donc que la persécution morale accompagna toujours la persécution sanglante, et qu'elle continuait de torturer les âmes quand il arrivait aux bourreaux de laisser respirer les corps. De Néron à Constantin, l'opinion païenne ne cessa de traduire les chrétiens en scélérats stupides et abominables.

D. Allons, je retire ma phrase, qui d'ailleurs n'avait rien de bien sérieux, et je tiens les vieux antichrétiens pour irréprochables au tribunal de Satan.

R. Oui, pourvu que Satan soit juste, ce que je ne garantis pas. Comme j'espère que nous n'aurons jamais, ni vous ni moi, l'occasion de plaider à ce tribunal, contentons-nous de justifier les vieux antichrétiens devant ceux qui aujourd'hui continuent leur œuvre, et qui, pleins de confiance dans la profondeur de leurs manœuvres, se flattent d'en finir bientôt avec la vieille superstition que la sagesse et la puissance du peuple-roi ne surent pas étouffer au berceau. Pour ramener ces fanfarons à des sentiments d'équité et de modestie, tout en rendant justice à leur mérite, voici, selon moi, ce qu'on pourrait leur dire :

« Il est très-vrai que votre guerre au catholicisme est un chef-d'œuvre qui ferait le plus grand honneur à vos chefs ́'dans un certain monde que je ne nomme pas, si le roi de ce monde-là n'en était pas l'inspirateur. Ils ont tiré un admirable parti d'une arme qui manquait aux premiers persécuteurs: la presse. A un signal donué, dix mille plumes barbouillent de la même boue et du même sang la figure du pape et des cent mille évêques, prètres, religieux qui sont en Europe et en Amérique. Ces prêtres sont, d'abord, d'implacables ennemis, ici des monarchies absolues ou constitutionnelles, là des républiques, en un mot, de tout gouvernement qui ne se fait pas jésuite ou capucin pour servir l'insatiable ambition du sacerdoce. Ce sont, par leur théologie morale, et surtout par l'application qu'ils en font au tribunal de la pénitence, d'abominables corrupteurs des âmes, des dévoreurs du pauvre peuple par leurs

mille exactions et une soif inextinguible de l'or; enfin, des hommes de sang, des soudoyeurs d'assassins, quand ils ne jugent pas à propos d'exercer par eux-mêmes leur rage sur les bons patriotes, sur les grands amis du peuple. La chose est démontrée par la production de correspondances sacerdotales, de listes de proscription, etc., etc.; et, à force d'être ressassée, la calomnie prend si bien, que j'ai connu des lecteurs honnêtes devenus, les uns complétement fous, les autres tellement furieux, que, pour manger de la chair de prêtre, ils n'attendraient pas qu'elle fût cuite (ce sont leurs expressions).

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Cela est très-habile; les anciens persécuteurs, avec les mèmes moyens, n'auraient pas mieux fait. Ceux-ci avaient sur vous l'avantage de défendre un ordre social vénérable par son antiquité; ils avaient pour eux les lois, les mœurs, la force publique, et une foule de très-honnêtes citoyens. Vous n'avez rien de tout cela. Le moins coquin d'entre vos héros, s'il n'a pas mérité vingt fois la corde, comme tels et tels, a du moins plus d'un titre au bagne par ses infamies, ou à la prison pour banqueroutes et dettes: parmi nous et parmi vous, cela est hors de doute. Vous attaquez une société christianisée depuis quinze siècles, et défendue encore par des armées que vous n'avez pu corrompre. Eh bien, par leur presse et d'autres moyens de propagande, vos chefs ont su compenser ces désavantages. Ils ont blanchi comme neige vos plus noirs vauriens, transformé en soleils de vertu, passionnés pour le bonheur du peuple, les gredins les plus décriés; organisé l'extermination de l'élite de la société chrétienne au nom de l'évangile du Christ, et créé dans l'ombre des légions de sicaires, probablement supérieures par le nombre aux légions romaines. Le succès vous paraissait naguère si infaillible, que plusieurs d'entre vous, dans l'ivresse d'une joie prématurée, jetaient le manteau de l'hypocrisie.

C'est là, je l'avoue, une espèce de miracle que personne n'attribuera à Dieu, mais qui paraît au-dessus du génie de

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