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D. Oui, cette hostilité plus que protestante d'un grand nombre de catholiques est un fait palpable, et ce fait donne lieu à une question que je me suis souvent faite et que j'ai entendue encore plus souvent: Comment se fait-il que les catholiques se montrent, en général, moins attachés à leur religion que les protestants à la leur ?

R. Je vous prierai, d'abord, d'observer que, si la question a jamais été fondée en fait, elle ne l'est plus aujourd'hui qu'il n'y a qu'un cri dans le protestantisme pour déplorer le vide qui se fait dans les temples. Un de ses ministres écrivains, dans le Nord, nous dit que, « sur cent soixante-dix mille habitants, on en compte à peine cinq ou six mille qui fréquentent le lieu saint. » Un autre nous dit plaisamment, que « les jours saints sont désormais réservés à toutes sortes d'orgies; que le temple de Thalie l'a emporté sur celui de Jéhovah; que bientôt on fètera mademoiselle Sonntag plus que le Sonntag (1), etc., etc. »

Alors même que les ministres du protestantisme n'avaient pas la douleur de voir leurs prêches déserts et une partie de leur auditoire s'écouler, dans les pays mixtes, vers l'Église catholique, il y avait encore lieu de douter si les zélés protestants étaient plus attachés à leur religion que les catholiques les plus tièdes ne le sont à la leur. L'attachement se démontre surtout par les sacrifices. Or ce n'est pas d'hier qu'on a observé ce fait très-significatif : « Il n'y a point de princesse luthérienne ou calviniste, en Allemagne, qui ne soit prête d'abjurer en un tour de main son hérésie, et de passer au schisme grec pour épouser un grand-duc. Les soldats français qui tombaient aux mains des Arabes, durant la guerre, refusaient, fussent-ils nés dans la rue Mouffetard, d'embrasser l'islamisme pour sauver leur vie (2). »

(1) Voy. Honinghaus, la Réforme contre la Réforme, tom. II, ch. 10. — Pour comprendre le calembour de Wohlfahrt, il faut savoir que, en décomposant le mot Sonntag, on y trouve Sonne (soleil), et Tag (jour); par conséquent Sonntag signifie : jour du soleil ou dimanche.

(2) M. L. Veuillot, Libres Penseurs, liv. VI.

Que si les protestants (et, en général, les chrétiens de toutes les communions séparées) ne montrent pas contre leurs églises la mauvaise humeur et les emportements des mauvais catholiques contre la leur, je vais vous en donner la véritable raison.

Les religions faites par des hommes bien portants plairont toujours infiniment plus à un bon nombre d'hommes bien portants, que la religion du Dieu crucifié. Les premières se montrent si bonnes, qu'on les pratique alors même qu'on doute de leur bonté; et même quand on les juge mauvaises, on se résigne difficilement à en dire du mal. L'autre est si exigeante, que ceux qui lui obéissent ne le font pas sans quelques murmures, que les désobéissants lui jettent volontiers l'outrage. C'est évidemment la religion à laquelle on croit le plus, que l'on pratique le moins et que l'on bafoue davantage avant l'heure des réflexions sérieuses.

Si, au lieu de vous en tenir aux apparences, vous avez l'esprit observateur, vous ne me contesterez pas ce fait : sur cent mauvais catholiques, cinquante avoueront bientôt que, s'ils ont affecté de mécroire, c'est qu'ils ne se sentaient pas, pour le moment, le courage de pratiquer; sur les cinquante incrédules plus ou moins réels, vingt-cinq au moins tiendront, comme l'athée Diderot, à ce que leurs enfants apprennent le catéchisme catholique, avec l'idée qu'ils pourront bien eux-mêmes y revenir dans leurs vieux jours (et, s'ils en ont le temps, ils reviendront); sur les vingt-cinq autres, plusieurs seront surpris par la mort ou pourront s'obstiner, mais pas un de ceux qui voudront faire la paix avec Dieu ne songera à demander un autre ministre que celui de la grande Église. Les protestants de bonne foi et un peu observateurs pourraient-ils bien affirmer la même chose de leurs incrédules?

D. Je pourrais incidenter sur vos chiffres, sans toutefois que cela m'empêchât de reconnaître que dans sa généralité le fait est notoire. Mais la présence de tant d'anticatholiques dans les flancs de la grande Église ne justifierait-elle pas

cette objection, assez commune, des protestants, quand nous leur opposons notre grand nombre? — Oui, nous disent-ils, votre Église vise plus au nombre qu'à la valeur. De peur de diminuer le troupeau, elle garde les boucs avec les brebis, ou ne les frappe que de condamnations générales dont elle néglige l'application aux individus. Avec cela, on nous dit fièrement : Réunissez-vous tous, prenez encore les schismatiques grecs avec vous, et nous verrons si nous ne sommes pas encore les plus forts! Nous pourrions d'abord dire, avec Christ, que la voie du salut n'est ni la plus large ni la plus fréquentée. Mais la tolérance nous fait un devoir de laisser à Dieu le jugement de votre Église, et nous n'opposerons qu'un mot à ses forfanteries: Fais le dénombrement exact de tes fidèles enfants, et tu trouveras peut-être autant de protestants au dedans qu'au dehors.

R. L'objection est, en effet, très-commune parmi les méthodistes et autres puritains du protestantisme. Et dans les mêmes brochures où l'on nous fait un crime de cet excès de tolérance envers ceux qui déshonorent parmi nous le nom chrétien, vous lirez de furibondes déclamations contre l'affreuse intolérance de ces pasteurs catholiques qui condamnent impitoyablement au feu éternel tout ce qui ne marche pas docilement sous leur houlette. Telle est la logique de l'hérésie.

Hélas! faut-il répondre à ces faiseurs d'Églises pures et immaculées, l'Église catholique n'a pas reçu de Jésus-Christ le beau privilége que vous a donné la glorieuse réforme! Elle ne peut pas dire, comme vous, à ceux qui résistent à ses lois : Puisque mes lois ne vous vont pas, allez fonder une autre église; car l'essentiel n'est pas d'être tous de la même église, mais d'en avoir une et de tenir à ses lois. Elle n'a jamais cessé de professer, elle, que Jésus-Christ n'a fondé qu'une Église, qu'il a condamné d'avance, et ceux qui en voudraient fonder d'autres, et ceux qui y entreraient au mépris de la sienne. Voilà ce qui l'oblige à user, comme le divin Pasteur, d'une extrême patience envers les brebis les

plus malades, les plus désespérées. Pure des égarements et des scaudales qu'elle ne cesse de déplorer et de flétrir, elle ne se hate pas d'en mettre les auteurs à la porte; car, une fois dehors, le retour serait très-difficile. Son cœur maternel voit en eux des malades en délire plutôt que des ennemis. L'expérience lui prouve des milliers de fois chaque jour que ceux qui la désolent l'accablent de mépris dans l'ivresse des passions, la combleront de joie un jour, elle et les habitants du ciel, en lui disant : Mère, j'ai péché contre le ciel et contre vous, mais j'en ai un sincère repentir! Elle attend avec confiance les moments de la miséricorde de Dieu et les changements de l'homme, et souffre une infinité de choses qu'elle désapprouve.

La différence entre vos dix mille églises et la nôtre consiste en ceci, que vos églises sont des filles des hommes qui peuvent s'attifer et se parer autour comme des temples, selon le mot de la Bible (1), attendu qu'elles n'ont pas charge d'âmes. L'Église catholique est l'épouse du Dieu anéanti pour le salut de tous; c'est la mère des douleurs, obligée de tout souffrir, de tout sacrifier à sa mission de peupler le ciel d'élus, arrivés là du nord et du midi, du levant et du couchant, et partis, les uns à la première, à la troisième, à la sixième heure, les autres à la dernière.

Voilà qui est très-suffisant, je pense, pour expliquer et justifier la tolérance dont use l'Église envers une foule de protestants qui paraissent ne lui appartenir que par le baptême, par la première communion et par l'espoir d'une fin catholique. Il n'en est pas moins certain que ces hommes sont un danger permanent pour l'unité religieuse. Toutefois, ce n'est pas le plus grand de nos dangers domestiques. D. Et où en voyez-vous donc un plus grand?

R. Dans cette infinité de catholiques d'entre-deux, bons relativement à ceux dont nous avons parlé, respectant la religion, l'aimant, la pratiquant même quelque peu, mais

(1) Psaume CXLIII.

lui faisant plus de mal que tous ses ennemis ensemble; car ils lui portent au cœur le poison de l'esprit du monde.

Le cœur de la société catholique, l'organe qui y élabore et fait circuler dans tous les membres la vie chrétienne, c'est le sacerdoce. La vie du sacerdoce est toute dans son unité; son unité est toute dans l'esprit du chef, Jésus-Christ; l'esprit de Jésus-Christ est l'opposé de l'esprit du monde, que l'Écriture définit convoitise de la chair, convoitise des yeux (avarice) et orgueil de la vie (1).

Eh bien! la mission que se sont toujours donnée, que se donneront toujours nos catholiques d'entre-deux, c'est d'apprendre aux prètres à sauver la religion, à la faire aimer, en conciliant l'esprit de Jésus-Christ avec l'esprit du monde, c'est-à-dire en sacrifiaut le premier à l'autre. Si les prêtres résistent à ces sommations amicales, ils ne sont plus que des esprits étroits, entêtés, de pauvres théologiens qui parlent une langue inconnue. On déplore l'extrême faiblesse de l'éducation sacerdotale; on s'afflige de voir ceux qui doivent être la lumière du monde, le sel de la terre, rester stationnaires quand le monde est en marche, et se tenir à une si grande distance de ceux qu'ils ont mission d'éclairer et de rassainir. En somme, ces bons catholiques décrient les prêtres qu'ils n'ont pu égarer, et facilitent aux révolutionnaires antichrétiens ces réformes de l'éducation cléricale qui vont à donner des ministres de l'Évangile qui ne croient ni à l'Église, ni au Christ, ni même en Dieu.

Malheureusement les prêtres ne savent pas toujours résister à ces suggestions, si conformes au vœu de la nature. En garde contre les mondains avancés qui leur prêchent le mépris du devoir ou leur jettent l'injure, ils écoutent volontiers ces hommes, qu'ils regardent avec raison comme de bons et loyaux amis. Insensiblement ils s'affadissent, se relâchent, et à mesure qu'ils s'éloignent de l'esprit du divin Maître, ils se tournent vers la terre et se divisent entre eux.

(1) Saint Jean, Prem. épître, II, 16.

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