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Les petites convoitises, intrigues, rivalités, se produisent, éclatent, et, supposé qu'on s'en tienne là, il n'en faut pas davantage pour que ceux qui ont mondanisé les prètres s'écrient à tout propos : Mon Dieu, sont-ce là des prêtres! etc., etc., etc. Et ces critiques, qui seront fondées, préparent le succès des calomnies atroces qui présentent le sacerdoce comme le plus grand fléau d'un pays.

En même temps qu'ils désorganisent le clergé et le livrent à leur insu aux coups de l'ennemi, ces honnêtes gens se font encore, de la meilleure foi du monde, les colporteurs et propagateurs parmi l'élite des catholiques, et même dans le clergé, des doctrines ennemies les plus dangereuses. Un exemple. — La religion doit rester étrangère à la politique ! Voilà ce qu'a dit le génie du mal, qui voyait fort bien que, la religion une fois étrangère à la politique, la politique rendrait les hommes étrangers à la religion. Et des millions d'honnêtes béats n'ont cessé, ne cessent pas encore de répéter au clergé : La religion doit rester étrangère à la politique! Je ne dirai rien du mal que nous a fait le succès de cette absurdité; car, si j'entrais dans ce sujet, je ne pourrais plus en sortir. Je me borne à une dernière observation sur la logique des conseillers du sacerdoce.

En même temps qu'on interdit au prêtre l'entrée de cet ordre politique dont il est l'irremplaçable lumière et vie, ainsi que vous le verrez plus tard, on fait d'incroyables efforts pour l'entraîner là où il ne doit pas aller, je veux dire l'arène où les partis se battent, non pour les principes éternels que le prêtre a mission de prêcher et de défendre au péril de ses jours, mais pour des formes politiques, muables de leur nature, et qu'il doit respecter toutes assez pour ne s'inféoder à aucune. Les monarchistes purs le tiennent pour suspect si, par la profession du monarchisme pur, il ne se rend pas suspect, odieux aux monarchistes tempérés, aux républicains honnêtes. Ceux-ci s'étonnent et parfois s'indignent qu'il ne voie pas leurs principes dans l'Évangile et la forme républicaine dans l'Église. Que de

plaintes les partisans de la monarchie constitutionnelle ont élevées contre l'indifférence ou plutôt la défiance du clergé envers le plus parfait des gouvernements! Comme ils ont déploré, comme ils déplorent encore, en certains pays, son aveugle et occulte opposition aux institutions libérales! Qui, autant qu'eux, a mis en crédit, sans le savoir ni le vouloir, ces axiomes de la jeune Europe de Mazzini : Le premier pas vers la liberté, c'est le mépris et la haine du sacerdoce; le second, c'est son extermination!

Je n'ai fait qu'effleurer le sujet, et pourtant vous pouvez voir que les dangers de l'unité catholique au dedans ne le cèdent pas aux dangers qui la menacent au dehors. Arrivons à la conclusion de nos études sur l'Église.

CHAPITRE VI.

Que l'Église catholique offre au penseur qui la contemple deux miracles permanents.

D. Quels sont ces miracles?

R. C'est son unité doctrinale, c'est son sacerdoce. Son unité doctrinale, vous l'avez vu (ch. III), ne peut être l'œuvre de ses ministres, tant leur nombre et leur caractère eussent opposé d'insurmontables obstacles à l'adoption d'une doctrine commune, s'ils avaient dû l'inventer, ou seulement l'extraire de la Bible. L'impossibilité du concert ne résulte pas moins de la nature des doctrines catholiques, doctrines éminemment spirituelles, mystérieuses, surnaturelles, pas seulement dans les dogmes à croire, mais aussi dans les préceptes à observer, dans les obligations qu'elles nous imposent de soumettre la chair à la loi de l'esprit, de sacrifier le visible à l'invisible.

Dire qu'une telle religion a pu sortir d'une discussion, d'une délibération humaine, c'est déraison. Est-ce que nous ne connaissons pas l'esprit des hommes ? Il est de feu pour

les choses sensibles, naturelles; de glace pour ce qui est invisible et ne dit rien aux sens. Il ne fera donc jamais une religion spirituelle, surnaturelle. Si l'un l'imaginait, l'autre la persiflerait. Quand les esprits s'élèvent au-dessus de la sphère des sens pour planer dans le monde intelligible, nous les voyons diverger tous à l'infini. Les plus forts sont ceux qui, fidèles à leur point de départ et suivant la ligne droite, arrivent plus tôt au dernier terme de l'erreur, la contradiction flagrante. Rien de plus évident: les petits esprits n'ont pu inventer le système doctrinal catholique; les grands esprits l'auraient inventé (par impossible), qu'ils l'auraient dix mille fois démoli dans un quart de siècle. Et puis, ne connaissons-nous pas le cœur des hommes ? Il est le sanctuaire éternel du moi; on y trouve une petite place pour Dieu, un coin pour la famille, et voilà tout. Est-ce bien de ce foyer de toutes les petitesses qu'a pu rayonner la charité catholique, si féconde en sublimes dévouements?

Impuissants à créer l'unité catholique, impuissants à la conserver entre eux, les membres du sacerdoce n'eussent pas été moins impuissants à la défendre contre tant d'ennemis que je vous ai signalés. Supposé qu'elle eût pu résister aux efforts de l'antichristianisme pur, depuis Néron jusqu'aux jours de Voltaire, de Robespierre et de Mazzini, comment aurait-elle résisté aux assauts intérieurs et extérieurs de l'anticatholicisme schismatique et hérétique (ch. IV)? Échappée aux coups de ceux-ci, n'avons-nous pas vu qu'il eût suffi des catholiques mauvais et bons pour la mettre dix mille fois à néant (ch. V)?

Si l'une de ces trois causes de destruction vous paraît suffisante, comment expliquez-vous la résistance de l'Église à l'action combinée et non interrompue, durant dix-huit siècles, de ces trois causes de mort? Le phénomène de l'unité de foi dans près de deux cents millions de catholiques, disséminés dans tout l'univers, ne vous apparaît-il pas comme la plus grande des impossibilités humaines? Et comme ce phénomène, qui implique la plus grande des im

possibilités, est néanmoins la plus grande, la plus incontestable des réalités, je vous laisse à deviner ma dernière déduction.

D. Je la vois arriver, et, à vrai dire, elle me paraît inévitable, alors même que je vous querellerais sur le chiffre de deux cents millions de catholiques, chiffre qui s'accorde mal avec celui que donnent la plupart de nos géographes.

R. Je regrette de me trouver en désaccord avec la plupart de nos géographes, qui ne veulent pas accorder à l'Église catholique plus de cent trente-cinq à cent quarante millions d'enfants, et parmi lesquels le protestant danois Malte-Brun trouve que c'est bien assez de quatre-vingts millions. Ce qui tempère mes regrets, c'est que ces consciencieux écrivains, qui dressent dans le fond de leur cabinet des tableaux de statistique, ont entre eux, sur le chiffre de la population générale du globe, de petites différences de deux ou trois milliards, l'un (le ministre luthérien Canz, qui écrivait en 1744), réduisant cette population à soixante millions, tandis que ses contemporains anglicans, les auteurs de l'Histoire universelle, ne craignaient pas de l'élever à quatre milliards (1)! Vous comprenez que ces jolies variantes sur la population générale ont dû en produire d'autres dans la classification religieuse des habitants du monde, et par là ébranler un peu notre foi aux calculs des géographes. Il me paraît, à moi, que si quelqu'un au monde est en état de connaitre approximativement le nombre des catholiques, c'est le chef de l'Église universelle, sans l'ordre duquel pas un évêque ne peut prendre le gouvernement du moindre troupeau, et auquel chaque évêque est obligé d'envoyer un rapport détaillé et consciencieux sur l'état de son église. Les géographes ecclésiastiques de Rome oscillant entre le chiffre de cent quatre-vingt-dix à deux cent et quelques millions de catholiques, je ne vois pas pourquoi vous me querelleriez sur ce sujet.

(1) V. le Tableau comparatif donné par M. Adrien Balbi, dans son Abrégé de géographie, Principes génér., ch. 8.

Au reste, acceptons, si vous le désirez, le chiffre de cent trente-six millions, fixé par le géographe Adrien Balbi; la démonstration n'y perdra rien.

Voyez donc et comparez! Chez la plus croyante, la moins raisonneuse des familles religieuses, le sectateur de Mahomet ne peut franchir les limites de sa patrie politique sans sortir de sa patrie religieuse; s'il trouve encore des mahométans, ce sont des hérétiques qui entendent et pratiquent autrement que lui la loi du prophète. S'il voyage dans l'histoire, il voit le soleil de sa foi apparaître seulement l'an de l'hégire (622), et la nuit de l'infidélité couvrir les cent cinquante générations humaines qui ont précédé le prophète. L'orthodoxe œcuménique schismatique grec et l'orthodoxe russe (désolés l'un et l'autre, dans leur pays, par une infinité de sectes toutes plus orthodoxes et œcuméniques les unes que les autres) cherchent vainement à l'étranger l'orthodoxie œcuménique grecque, l'orthodoxie russe. Parqués dans les limites de la suprématie spirituelle, l'un du patriarche de Constantinople, l'autre du saint synode gouvernant au nom du czar, ils ne peuvent remonter au-dessus des douzième et onzième siècles saus reconnaître dans leurs aïeux de cette époque les sujets spirituels du pontife romain. — Les moins désunis des protestants, les sectateurs de l'église établie par la loi, les anglicans, ne trouvent pas hors des États de l'Angleterre un seul anglican qui ne soit pas, comme eux, un voyageur. En se comptant, ils verront qu'ils ne sont que le vingtième des cent soixante millions d'hommes que renferment leurs trois royaumes-unis, leurs colonies et leurs possessions dans l'Inde. S'ils étudient leur généalogie religieuse, ils trouvent qu'ils sont le fruit des œuvres de la bonne vierge Élisabeth, tout au plus de son père Henri VIII, et ils ont à résoudre cette question: D'où est venu à la dynastie des Tudors et à leurs successeurs le droit de gouverner les âmes de leurs sujets et d'administrer la religion de Jésus-Christ?

Maintenant parcourez de l'œil la mappemonde à tous

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