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même a mis dans le fond de notre âme, comme le signe de notre grandeur et l'aiguillon qui doit hâter notre marche vers le but élevé qu'il nous assigne.

Dites aux hommes que la marche de ce monde est détestable, que le désordre et la misère y ont une trop large part: vous serez cru du grand nombre, car vous ne direz rien que ne sente toute âme non ensevelie dans l'ivresse des plaisirs. Ajoutez, avec les réformateurs révolutionnaires, qu'il ne tient qu'à nous d'y créer un meilleur état de choses, et que notre bonne mère la nature est assez libérale pour assurer le bonheur de ses enfants, si ceux-ci veulent jouir pleinement de ses dons par une organisation sociale plus conforme à ses vœux : ce sera là une absurdité, nulle organisation sociale ne pouvant nous délivrer des fléaux de notre bonne mère, ni du joug pesant de l'ignorance, des maladies et de la mort. Cependant le succès de cette absurdité est assuré dans les masses que n'éclaire plus la foi chrétienne. Essayons! diront les moins crédules, et l'essai paraîtra incomplet tant qu'on n'aura pas ramené l'age d'or sur la terre par l'extermination des prétendus ennemis des vœux de la nature.

La fièvre des révolutions agitera donc notre espèce, et les théories sociales les plus chimériques, les plús monstrueuses, trouveront créance aussi longtemps que nos systèmes d'éducation fomenteront, au lieu de combattre, l'erreur la plus folle, la plus inhumaine, mais aussi la plus chère au cœur des mortels.

D. Quelle erreur?

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R. Celle-ci Les hommes sont au monde pour jouir.

Cette erreur est la plus folle, démentie qu'elle est par l'expérience de tous et de chacun. En promenant nos regards sur ce globe, où les générations humaines se succèdent avec la rapidité de l'éclair, que voyons-nous? — Cent millions d'enfants qui remplissent de leurs cris les palais comme les chaumières et payent chaque année une forte dîme à la mort. - Deux cents millions d'autres, qui

cessent de désoler leurs nourrices pour désoler les maîtres chargés de leur infliger le supplice de l'instruction. Quatre à cinq cents millions d'hommes de vingt ans à soixante, condamnés à un travail de forçat, et dont les plus tourmentés sont ceux qui, à l'abri des persécutions du besoin, n'ont affaire qu'au démon de l'ennui. Quelques cent mille vieillards, tremblant sous le coup de la catastrophe qui termine toutes les existences.

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C'est bien sur

le triste ossuaire où notre vie s'écoule pleine de douleurs et de déceptions, entre les vagissements du berceau et les horreurs du sépulcre, qu'il convient de nous dire : Jouissez !

Cette erreur est la plus inhumaine. C'est elle qui créa la politique barbare de l'antiquité, immolant vingt hommes aux jouissances d'un seul. C'est elle qui a fondé et qui soutient le despotisme asiatique et la barbarie musulmane, qui font du pouvoir politique le droit de dévorer les peuples, de la femme une marchandise, de ses enfants un troupeau d'eunuques. Inhumaine envers les petits et les faibles, qu'elle livre à l'exploitation des forts, cette erreur n'est pas moins fatale aux oppresseurs qu'aux victimes. Le créateur de la société a voulu que le méchant fût le premier à souffrir du mal qu'il fait aux autres. Sénèque l'a très-bien dit: La méchanceté est condamnée à boire la plus grande partie de ses poisons (1). La passion des jouissances égoïstes et sensuelles est un enfer anticipé, une torture de l'âme et du corps, qui, rendant l'homme aussi insupportable à lui-même qu'à ses entours, le dispose à la manie du suicide ou du meurtre. La fureur des Romains pour les spectacles de sang ne fit que grandir avec leur sensualisme. En lisant l'histoire des plus abominables tyrans, depuis Tibère, Néron, jusqu'à Henri VIII, on voit que les excès de leur cruauté ne s'expliquent que par les excès de leurs souffrances morales, comme celles-ci ne

(1) Malitia ipsa maximam partem veneni sui bibit. (Ép., LXXXI.)

convenances politiques du prince, attendu qu'un mariage avant tout politique a souvent un résultat déplorable et souverainement impolitique, la corruption de l'État par son chef. L'ange le plus propre à soutenir le prince dans les voies de la sagesse et à perpétuer son sang et sa vertu une fois trouvé, il importe que l'un et l'autre s'abouchent de temps à autre avec le ministre de la parole chrétienne, chargé de redresser les âmes qui penchent, de relever celles qui tombent.

D. On vous passera le reste; mais la confession!

R. Vous devriez savoir que le reste est à peu près inutile sans la confession, sans l'heureuse nécessité pour le prince d'approfondir, au moins une fois l'an, cette question : Suisje chrétien, et, la mort venant à me surprendre, puis-je espérer miséricorde au tribunal de Jésus-Christ?

Que voulez-vous? ici-bas, il est inévitable que tous soient confessés, et les princes encore plus que les autres. Quand on ne se confesse pas au prêtre, on est confessé par soi et par des conseillers et conseillères dont la direction nous perd devant Dieu, devant les hommes et devant notre propre conscience. J'indique la méthode qui a élevé les Charlemagne, les Alfred le Grand, les Louis IX, et, jusqu'à preuve du contraire, je l'estime préférable à la méthode qui forma les Henri VIII et les Louis XV.

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Même méthode pour notre élève bourgeois, avec cette différence qu'il faut surtout lui faire goûter en Jésus-Christ le bon emploi du savoir et de la richesse. Au lieu de lui dire: Regarde en haut, mon enfant, et, comme tel et tel, vise à devenir ministre de l'État, si tu ne peux pas en être le chef! Il faut, de trois à vingt ans, lui dire, et dans la famille, et dans le collége, et dans les universités : Regarde en bas, vois où en sont les dix-neuf vingtièmes de tes frères, et, comme le Fils du Très-Haut, ne cherche dans la science, dans l'opulence, dans les fonctions publiques, que le moyen d'aider les ignorants et les misérables à se délivrer de leur ignorance et de leur misère. Par là tu t'ennobliras toi et

ta maison, tu obtiendras de grandes consolations ici-bas et une magnifique cour dans l'éternelle cité.

Mème méthode pour l'ouvrier. En lui faisant aimer sa condition, qui fut celle du maître de la terre et des cieux, du juge suprême des vivants et des morts, nous lui apprendrons à la relever, à l'améliorer, à l'ennoblir infiniment par la pratique de toutes les vertus.

Avec des gouvernants, une bourgeoisie et des masses, constitués ainsi par la puissance des vertus et de la doctrine chrétienne, ne voyez-vous pas qu'on obtient une société civilisée et civilisatrice, dont la marche ascendante n'a pas de limites ici-bas, et au bout de laquelle il y a la société bienheureuse du ciel?

D. Oui, et voilà pourquoi on pourrait se passer, ce semble, de votre troisième puissance éducatrice, la discipline, mot fâcheux qui pourrait bien signifier verge.

R. Bien compris, le mot de verge n'a rien de si fâcheux. Je ne pense pas que la sagesse soit un don de la verge; mais je dis avec nos saints livres que la sagesse entre diffilement dans nos âmes, et n'y prend pas domicile sans la salutaire influence de la verge. C'est presque toujours le corps qui s'oppose à l'entrée des deux premières puissances, l'exemple et la parole; que la verge leur fraye donc le passage. C'est le corps qui tend à les expulser de l'âme ou à les y étouffer; tenez donc la verge à proximité du corps.

A tout âge, principalement dans le jeune âge, les hommes ne reconnaissent le mal qu'au malheur, c'est-à-dire à la peine qui le suit. Si vous voulez les former à la fuite du mal et les préserver du malheur, il vous faut donc un système pénal conçu dans un esprit chrétien et appliqué avec une vigueur chrétienne.

Que de mères auraient épargné à leurs enfants ou petitsenfants d'affreuses hontes, d'horribles, d'éternels malheurs, si elles avaient su infliger à ces petits coupables de petites privations, et, au besoin, de petites peines afflictives! Que de saints, que de héros de plus dans toutes les conditions, si

nous avions beaucoup de mères dont toute la conduite tint à leurs enfants le langage de la reine Blanche à son fils : « J'aimerais mieux vous voir porter en terre que de vous voir orgueilleux, envieux, vindicatif, gourmand, paresseux, insoumis, etc.! » - On admire et l'on fait admirer à la jeunesse studieuse le mot de la femme de Sparte, disant à son fils partant pour la guerre : « Ne lâche pas ce bouclier, mais reviens dessous ou dessus ! » Quant à moi, je préfère le mot de la reine Blanche. Les Lacédémoniennes firent le plus belliqueux, mais le plus inhumain des peuples de la Grèce; Blanche fit, du même coup, le plus humain des hommes, le plus juste des rois, le plus intrépide des guerriers.

Oui, pour l'honneur et le bonheur des hommes, il est indispensable que la discipline veille constamment dans la famille, dans les écoles, dans les États; mais il faut qu'elle soit chrétienne, c'est-à-dire que la justice distributive des récompenses et des peines ne se propose que l'amendement, la bonne éducation des hommes.

Et comme les hommes n'auraient jamais su se donner un système d'éducation qui réunît au degré convenable ces trois conditions de succès: exemple, parole, discipline, nous allons voir que le créateur et régénérateur du genre humain a pourvu à cette nécessité.

CHAPITRE III.

Que par nature les hommes sont catholiques, et qu'ils ne peuvent cesser de l'être sans se dénaturer.

D. Quelque fondée que puisse être votre thèse, la forme n'en est-elle pas trop absolue?

R. La vérité est ce qu'il y a de plus absolu par le fond, qui est Dieu même. Pour que la forme réponde au fond, ne faut-il pas qu'elle vise à être absolue? Toute la philosophie est là Trouver l'expression complète, c'est-à-dire

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