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Vous le voyez donc, la discussion des titres historiques du catholicisme est philosophiquement inévitable. Que pense de ceux qui, laissant de côté une telle question, viennent nous dire, comme M. Jouffroy et ses collègues : Il est visible que la société qui a vécu jusqu'ici de la doctrine du Christ est lasse de cet aliment; il y a donc urgence pour nous, professeurs de philosophie, et pour vous, messieurs nos élèves, de lui offrir un enseignement supérieur au christianisme. Il est vrai que, en joignant nos labeurs à ceux de tous nos devanciers, on n'y trouve pas encore la matière d'une réponse satisfaisante à l'une des mille questions qui intéressent l'humanité; mais ne nous décourageons pas. Agitons philosophiquement ces redoutables problèmes, et faisons-en jaillir assez de lumière pour que les peuples, qui désertent l'école du Christ, entrent dans la nôtre et nous proclament les sauveurs de l'humanité !

Prétendre que c'est là de la philosophie, n'est-ce pas vouloir justifier le mot de Pascal, que « le mépris de la philosophie est le commencement de la sagesse? »

TROISIÈME QUESTION.

S'il y a un juste milieu acceptable entre la philosophie du catéchisme catholique et la philosophie rationaliste.

D. En y regardant de près, la prétention de mieux éclaircir le problème de la destinée humaine que ne le fait le catholicisme, pourrait bien n'être qu'un prétexte dans la pensée des rationalistes. Leur but réel serait d'assurer à chacun la liberté de penser, d'amener les catholiques et ceux qui ne partagent pas leurs croyances à vivre en bonne harmonie, à ne plus s'anathématiser, les uns au nom de la foi, les autres au nom de la raison. Or n'y aurait-il pas quelque sagesse dans ce juste milieu? Vous savez sans doute que telle est la philosophie d'un bon nombre d'honnêtes gens. Goû

tant peu les vieilles révélations du catéchisme catholique, et n'espérant rien des révélations à venir du rationalisme, ils ont adopté cette devise : « Jouissons paisiblement de la vie sans nous fatiguer la cervelle à en pénétrer le mystère. »

R. Vous avez raison de croire que le rationalisme n'est qu'un prétexte. Sur cent de ses adeptes, il y en a quatrevingt-dix-huit qui ne demandent la liberté de penser en religion que pour jouir de la liberté de ne penser à aucune religion, sauf celle du plaisir. La philosophie du viveur indifférent, du paisible épicurien, voilà ce qu'ils convoitent. Mais cette philosophie, en apparence si facile, puisqu'elle exclut toute étude, est de fait impraticable. La raison en est que notre monde, tel qu'il est bàti, ne souffre qu'un petit nombre de viveurs, ne souffre aucun indifférent.

Que les gens de plaisir, assez contents du lot de jouissances qu'ils trouvent dans leur patrimoine pour ne pas être tentés d'y chercher un supplément ailleurs, soient rares ici-bas, c'est chose évidente. Le budget des dépenses d'un modéré viveur exige au moins une rente annuelle de quinze cents à deux mille écus, et vous savez que la société abonde de philosophes de cette espèce, qui s'endettent et se ruinent avec un revenu décuple. Comment donc multiplier la race des viveurs, puisque les meilleurs statisticiens s'accordent à nous dire que le revenu général de l'Europe, divisé entre ses habitants, ne donnerait à chacun guère plus de soixante à quatre-vingts écus? Travail et privations, rien de moins compatible avec la philosophie du doux vivre, et pourtant c'est la condition de la presque totalité des hommes.

Il est également certain qu'il n'existe pas d'hommes vraiment indifférents, c'est-à-dire qui puissent vivre en face du christianisme sans éprouver ni amour ni haine. Deux choses peuvent faire illusion sur ce sujet.

1o L'esprit d'hérésie a produit des contrefaçons de la loi chrétienne, tellement légères en arguments et en préceptes, qu'elles n'ont rien de bien pénible pour ceux qui les adop

tent, rien d'inquiétant pour ceux qui les rejettent. Les premiers les trouvent trop commodes pour s'enquérir de leur origine; les autres les jugent trop faibles pour s'amuser à raisonner contre elles. On les tolère, alors même qu'elles se montrent peu tolérantes, par la raison qui nous fait supporter les criailleries d'un enfant. Mais cette harmonie des esprits, née des transactions de l'erreur avec l'erreur, disparaît dans un pays dès que le christianisme catholique s'y présente avec l'inflexibilité de ses dogmes et avec ces caractères divins qui poussent à la révolte ceux qu'ils ne disposent pas à la soumission.

2o Les pays catholiques sont pleins d'hommes qui, avec la foi dans le fond de l'àme et de grandes faiblesses dans le cœur, voudraient concilier ces deux choses et négocier un traité de paix qui préservât leur foi des outrages de l'incrédulité, et leurs vices des censures incessantes de la religion. Il y a là faiblesse, inconséquence, mais non indifférence. La guerre que ces hommes ont avec eux-mêmes les avertit assez qu'on ne transige pas avec Celui qui a dit : Vous ne pouvez servir deux maîtres. Aussi, tôt ou tard, faut-il que leur foi les délivre de leurs vices ou que leurs vices les tournent contre leur foi.

En somme, les faux christianismes comptent beaucoup d'indifférents; le vrai n'a que des amis et des ennemis.

D. C'est précisément cet absolutisme du catholicisme, en matière de doctrine, que les partisans du juste milieu accusent de tout le mal. Ils pensent que, si l'on pouvait modérer le zèle des enfants de la foi, on arriverait à une conciliation.

R. Cette idée de conciliation repose sur une parfaite ignorance de la nature du catholicisme et de celle du cœur humain.

La doctrine catholique étant, dans la conviction de ceux qui la professent, l'œuvre de Dieu même, est essentiellement absolue, irréformable. Nul ne peut y toucher sans s'élever contre Dieu. En même temps qu'elle interdit à ses croyants toute transaction, toute dissimulation, la doctrine catho

lique met ceux à qui elle se prêche dans la nécessité de l'admettre ou de la combattre. A ses affirmations si positives, si pressantes, si formidables, quiconque résiste doit opposer des négations formelles, et des négations d'autant plus passionnées, qu'il est moins facile de les fonder en raison. La passion une fois engagée, il y a guerre, et la guerre ne finit plus. L'orgueil est un soldat immortel que les blessures et les défaites ne servent qu'à irriter. Il fait arme de tout, passe du sophisme aux railleries, des railleries aux outrages, des outrages aux violences les plus brutales. Jamais il ne dit: Je me rends! La sagesse divine en personne y échouerait, comme elle y échoua autrefois contre les scribes et les pharisiens qui, après avoir épuisé les sophismes et les injures, employèrent le dernier argument de l'orgueil Crucifions-le ! C'est aussi l'argument que l'anticatholicisme, sous toutes ses formes, n'a cessé d'employer contre le catéchisme catholique.

Rien donc de moins possible que l'accord de la foi avec l'incrédulité. Vous n'obtiendrez jamais du catholique sincère qu'il ne regarde pas les erreurs opposées à sa conviction religieuse comme un grand mal dont il doit préserver les siens et travailler à délivrer ses frères; jamais vous n'obtiendrez de l'homme irréligieux qu'il ne regarde pas la religion catholique comme un ennemi dont la seule présence est pour lui une persécution. Le premier, tranquille dans sa foi, fidèle au devoir de la charité, s'efforcera de vaincre le mal par le bien, et n'opposera que la patience aux sarcasmes et au mépris de l'incrédule; celui-ci, pensant aussi mal des hommes que de Dieu, n'en conservera pas moins l'incorrigible habitude de voir partout des ennemis et de crier, en toute circonstance, à la persécution. Tâchezvous de dissiper son ignorance et ses préjugés à l'endroit de la religion, vous êtes un intolérant. Ne lui dites-vous rien, il vous accuse de le vouer aux flammes éternelles et de regretter l'époque où l'on brûlait les mécréants. Répondezvous que nous abandonnons à Dieu le jugement des âmes,

et que le moyen âge ne brûlait que les mécréants séditieux qui mettaient le feu à la société; il n'en persistera pas moins à dire qu'on le tourmente. En quoi il y a quelque chose de vrai, la présence de la lumière étant un supplice pour l'irréligion, qui ne vit que de ténèbres.

D. Cette incompatibilité du catholicisme avec toute doctrine religieuse qui lui est opposée n'a-t-elle pas le grave inconvénient de porter le trouble dans les États, d'allumer entre les chrétiens d'affreuses dissensions, qui feraient presque envier le sort des peuples de l'Asie, moins éclairés en religion, mais aussi plus tolérants?

R. Je ne comprends pas comment vous pouvez rendre responsable de nos dissensions religieuses cette Église catholique qui les proscrit de son sein, et qui retient encore dans l'unité de croyance les deux tiers de la famille chrétienne. Je vois encore moins comment elle remédierait à nos dissidences religieuses en s'écartant de ses principes en matière d'orthodoxie, c'est-à-dire en accordant aux catholiques la liberté de se diviser en autant de sectes qu'il y aurait parmi eux de têtes assez folles pour fonder des religions nouvelles.

Quant à la tolérance religieuse, dont vous faites gratuitement honneur aux peuples de l'Asie, voici ce que je me borne à vous dire : Pour jouir de la bienheureuse quiétude de ces peuples, il faut, avant tout, adopter leur système religieux et social, qui est très-simple. Que nos deux cents et quelques millions d'Européens s'engagent à observer la constitution suivante : « Le souverain est maître absolu de nos biens, de notre liberté, de notre honneur, de notre vie. Il pourra en disposer à son gré, s'emparer de nos femmes, de nos enfants, pour en peupler ses harems ou les mettre en vente, nous envoyer l'ordre de nous étrangler ou de nous laisser couper la tête; le tout sans responsabilité aucune, même devant Dieu, attendu que nous le tenons pour un dieu. »

Avec cette constitution, consciencieusement observée,

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