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orgueil, leur luxure, leur rapacité, inventèrent des religions dignes de Mahomet, et par le fatalisme de leurs dogmes, et par la barbarie de leurs moyens d'évangélisation! Quel incroyable servilisme que celui de ces ouailles luthériennes, calviniennes, anglicanes, très-oublieuses des confessions de foi de leurs glorieux réformateurs, mais trèsfidèles à jeter toujours au monde catholique l'accusation d'adorer la Vierge et les saints, de nier les mérites du Rédempteur, de vendre les indulgences et la rémission des péchés, de maudire la Bible, et vingt autres stupidités de ce genre, extraites mot à mot des écrits de Luther et de Calvin !

Concluons.-La liberté de pensée, de conscience, d'examen, ne sera parfaite, absolue, que dans le ciel, alors que, voyant la lumière dans la lumière (1), toutes les vérités dans leur centre éternel, Dieu, nous serons affranchis pour toujours des ténèbres de l'ignorance, des perplexités du doute, des séductions de l'erreur.

Dans ce bas monde, il n'y a, en religion, de vraie liberté de penser que celle que le Libérateur du genre humain définissait ainsi : Si vous croyez à ma parole, disait-il aux Juifs, vous serez mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera... Vous ne serez vraiment libres, qu'autant que le Fils vous affranchira (2). Or le Fils n'a affranchi le monde de l'esclavage de l'erreur que par la création et le maintien, depuis dix-huit siècles, du soleil catholique, dissipant les ténébreuses visions des corrupteurs de la parole de Jésus-Christ, confondant les orgueilleuses prétentions du pouvoir, du génie, de la naissance, de la richesse, soumettant les plus hautes intelligences au niveau de la même foi, des mêmes devoirs, ou plutôt élevant les masses à la hauteur des lumières et des vertus qui font les héros et les saints.

(1) Ps. XXXV, 10.

(2) S. Jean, VIII, 32, 36.

CHAPITRE V.

Sur quoi repose et à quoi aboutit le prétendu droit de libre discussion en matière religieuse et sociale.

D. Voilà encore un de ces droits chers au libéralisme moderne, que probablement vous voulez démolir.

R. Oui; car ce droit démolit, d'un seul coup, les droits de Dieu et de l'humanité : il repose sur les ruines de la religion qui a civilisé le monde, et il livre les peuples, corps et âme, au bon plaisir d'une infinité de dieux et de déesses pires que ceux dont le christianisme a renversé les autels.

D. Il est possible que l'abus du droit de discussion porte atteinte aux croyances religieuses; mais je ne vois pas comment le droit lui-même de discuter la religion en implique la ruine.

R. Vous allez le voir.-La religion n'est religion, c'està-dire loi obligatoire pour la conscience, qu'autant qu'on la croit divine; car, outre que Dieu seul peut lier la conscience, nous entendons tous par religion l'ensemble des devoirs que Dieu nous impose. Une religion humaine, c'est-àdire inventée par des hommes qui nous donnent leurs volontés pour celles de Dieu, est une absurdité impie, un crime de lèse-souveraineté divine et de lèse-humanité. Or une religion que l'on croit divine est par là même indiscutable. On ne discute pas ses convictions; on ne discute pas contre Dieu. Croire et discuter s'excluent comme le oui et le non. On ne discute que parce qu'il y a doute, et là où le doute se produit, la croyance s'en va.

Une nation catholique qui mettrait au nombre des droits du citoyen la libre discussion publique des questions religieuses et sociales, la liberté pour chacun de publier ses opinions en cette matière, déclarerait donc trois choses : 1o qu'elle a cessé de croire à la divinité de l'enseignement catholique et à la bonté des préceptes moraux qu'il donne pour base à la société; 2° qu'elle attend du zèle et du sa

voir de chaque citoyen capable de prêcher ou de tenir une plume, des lumières qui la décident à se retremper dans la foi catholique, ou à se tourner vers une religion plus convenable à l'état des esprits; 3° que, jusqu'à décision finale du grand procès, chacun restera libre de penser et de pratiquer ce qui lui plaira en matière de religion et de morale.

Ne serait-ce pas là, comme je le disais, démolir d'un seul coup les droits de Dieu et de l'humanité, les fondements de la civilisation chrétienne, et faire appel aux prêcheurs de la barbarie?

D. On dira que la vraie religion ne perd rien à être discutée ; que le droit de discussion implique le droit de défense aussi bien que le droit d'attaque; que, après tout, la liberté de la presse, comme la lance d'Achille, guérit les blessures qu'elle fait.

R. Voilà de belles phrases qui couvrent d'énormes er

reurs.

Le christianisme, considéré en lui-même, n'a certainement rien à craindre de nos discussions. Quelle que soit l'idée que puissent s'en former les hommes, Jésus-Christ reste éternellement le maître absolu du ciel et de la terre, et sa loi, la loi immuable de l'humanité. Ameutons contre lui tous les christophobes qui, depuis Julien l'Apostat jusqu'à Proudhon, ont dit : Conspuons, écrasons l'infâme Galiléen ! Faisons goûter et répéter à la jeunesse studieuse le mot favori du Voltaire allemand, Goethe: « Il y a quatre choses que je déteste également le tabac et les cloches, les punaises et le christianisme (1). » Cela n'empêchera ni les croyants, ni les indifférents, ni les mécréants enragés, d'être traduits au tribunal suprême pour y entendre une de ces deux sentences: Venez, les bénis de mon Père, prendre possession du royaume... Allez, maudits, au feu éter

(1) Sur la rage antichrétienne du fameux poëte et les doctrines du Proudhon germanique, Louis Feuerbach, voyez la Liberté de penser, numéro du 20 novembre 1850.

depuis vingt ans que j'y suis abonné, je lui trouve un mérite rare dans le journalisme : celui de rester fidèle à ses principes, et de ne pas mentir! » L'expérience, faite dix fois, m'a donné dix fois le même résultat.

Non, rien ne saurait peindre la puissance de fascination et d'abêtissement qu'exerce sur ses lecteurs habituels un journal qui sait enjoliver l'erreur et flatter les passions. Il les égare, il les affole, il leur inocule ses préjugés, ses haines; il les fanatise, il les soulève, il les arme, il les pousse en furieux contre les hommes et les choses qui ont le malheur de lui déplaire. Je vous ai dit plus haut que la liberté de discussion en matière religieuse livrait les peuples, corps et âme, à une infinité de dieux et de déesses pires que ceux dont nous a délivrés le christianisme, et peut-être y avezvous soupçonné quelque exagération.

D. Oui, et le soupçon subsiste encore.

R. Voyons donc ! Les dieux d'Homère et de Virgile étaient sujets à de grands vices, et, dans l'occasion, ils ne se refusaient pas de grands crimes; mais ils avaient aussi de précieuses qualités, celle entre autres d'être muets. Contents de l'encens et des victimes qu'on leur offrait à certains jours, ils n'exigeaient rien de plus, et laissaient vivre les hommes selon les lois et coutumes reçues de leurs aïeux; lois et coutumes entachées, il est vrai, d'un égoïsme barbare, mais qui conservaient un ordre de choses préférable à l'anarchie.

Il n'en est pas ainsi des dieux de la plume, imposant chaque jour leurs idées et leurs passions à trente ou quarante mille serfs, dont chacun est un écho répétant la parole du maître dans le cercle de ses entours. Convictions religieuses et politiques, respect des lois divines et humaines, vertus chrétiennes et sociales, dévouement à la patrie, à la famille, etc. rien ne peut résister à ce feu roulant de sophismes, de blasphèmes, de sarcasmes, d'érudition mensongère, d'insinuations perfides, de faits calomnieux, d'accusations atroces, d'anecdotes graveleuses, de feuilletons obscènes.

Pour que le journalisme pût guérir les blessures qu'il fait, ainsi que vous le disiez, il faudrait au moins que la masse des abonnés lût le pour et le contre. Et encore trèspeu d'esprits étant capables de démêler le vrai du faux dans le chaos de doctrines contradictoires, il en résulterait le mépris de toute doctrine. Mais le journal est un dieu souverainement jaloux, intolérant, ennemi du partage. Son premier précepte est: Tu n'écouteras et n'adoreras que moi ! Et il est obéi. Les âmes de ses abonnés sont vraiment ses créatures. Il les fait vivre de sa vie, les transporte dans un monde de sa création. Il refait dans leur pensée l'histoire universelle du genre humain, au point de vue religieux, politique, littéraire; il couvre d'épaisses ténèbres des faits aussi éclatants que le soleil, les remplaçant par des particularités obscures, douteuses, inventées à plaisir. Il transforme les annales de leur patrie, en dénigre, en conspue les plus belles renommées, en réhabilite les scélérats, en dénature les institutions.

Après avoir saturé ses croyants de mépris et de haine pour les réalités du passé et du présent, le nouveau dieu les introduit dans son domaine de l'avenir. Là, rien ne gênant sa toute-puissance, il trace le plan d'une société modèle, il crée un lieu de délices où l'humanité essuie ses larmes, sous les saintes lois de la liberté, de l'égalité, de la fraternité. Et quand il a passionné ses dévots pour cet Éden, il leur dit : « Voulez-vous que cette félicité se réalise? Unissez-vous, donnez la main à tous les ennemis d'un passé odieux, d'un présent intolérable; armez-vous, préparez de dignes funérailles au vieux monde, à ses oppresseurs, à leurs séides, et souvenez-vous qu'on ne peut entrer dans la terre promise qu'à travers les flots de la mer Rouge!

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Dites-moi maintenant, en face de cette Europe qui frémissait naguère, qui tremble encore, sous la menace d'un égorgement général par des armées de sauvages, ai-je exagéré quand j'ai dit que le droit de tout discuter crée

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