Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

était le vrai Messie, l'Homme-Dieu né, mort et ressuscité pour le salut du monde; — comment ces disciples ont été si bien convaincus d'avoir vu ce que, dans l'hypothèse rationaliste, ils n'auraient pas vu, qu'ils n'ont pas hésité à mourir pour soutenir cette conviction et la faire partager à leurs contemporains; comment ces pauvres dupes ont fait tant d'autres dupes, et des dupes si incorrigibles, que le sang chrétien n'a cessé de couler durant deux siècles et demi; comment la supercherie a été assez heureuse pour que l'empire romain, après l'avoir combattue de toutes ses forces, ait fini par l'adopter et lui coordonner ses institutions et ses lois; comment les Barbares, vainqueurs de l'empire romain et acharnés à sa destruction, ont embrassé l'incroyable et incommode religion des vaincus, et en ont fait l'àme du monde moderne; comment cette religion, qui humilie l'intelligence et fait sourire les esprits forts, a élevé si haut la raison européenne et trouve toujours des savants pour broyer les objections des esprits forts, des apòtresmartyrs pour aller la prècher aux barbares, des sœurs de charité pour se vouer au service de ceux-là mème qui la blasphèment; - comment, etc., etc., etc.?

-

Je vous le demande : ces messieurs ont-ils jamais touché du bout de leur plume ces problèmes historiques ? Dans ces faits qui ont ébranlé et transformé l'univers, ont-ils vu autre chose qu'une poésie, des fictions, des mythes grossiers et populaires que la philosophie doit dissiper (1) ?

D. Je ne pense pas qu'aucun de ces messieurs ait entrepris sérieusement l'étude du christianisme au point de vue historique. Pénétrés de respect pour son glorieux passé, mais frappés de la répugnance qu'inspirent aujourd'hui ses

La

(1) « Dieu a dû se rapprocher de l'homme et se révéler à lui, nous dit M. Damiron, non qu'à cet effet il ait pris visage et corps et se soit incarné sous quelque forme. Tout ce qui s'est dit de semblable sur cette matière, est figure et poésie. » Essai sur l'histoire de la philosophie, p. 388. rédemption et la médiation de Jésus-Christ sont de ces mythes, de ces symboles, de ces figures que le soleil de la philosophie dissipera. » M. Jouffroy, Mélanges philos., p. 185 et 475.

doctrines, ils cherchent un nouvel appui à la société ébranlée dans ses vieux fondements. M. Jouffroy a bien exprimé cette disposition des esprits quand, dans ses Mélanges philosophiques, traitant du Problème de la destinée humaine, il dit : « Croyez-vous que dans l'époque actuelle une solution puisse être proposée à l'acceptation des masses, à ce titre qu'elle a été révélée?..... Quant à moi, Messieurs, j'incline fortement pour la négative.... Il ne reste donc, selon moi, pour venir au secours de la société menacée, qu'une seule voie, qu'un seul moyen: c'est d'agiter philosophiquement ces redoutables problèmes dont il lui faut nécessairement une solution, etc. »

R. Oui, ces messieurs se flattent de pouvoir éconduire le christianisme avec des coups de chapeau. Mais rien n'est si rénitent qu'un fait; et quand ce fait a, comme le christianisme, une longueur de dix-huit siècles, une largeur égale à celle du globe, et qu'il remplit toute l'histoire moderne, ne vous semble-t-il pas qu'il peut défier les courbettes et les gourmades des pédants qu'il gêne?

Le catholicisme fût-il aussi malade qu'il plaît à ces messieurs de le supposer, il n'en serait pas moins incontestable qu'il a longtemps fait vivre de sa vie l'univers chrétien, et dès lors voici le dilemme qui s'impose aux méditations du philosophe :

[ocr errors]
[ocr errors]

La foi catholique repose nécessairement sur la vérité ou sur l'erreur. Si elle est ce qu'elle se dit, l'œuvre de Dieu, il y aurait crime et folie à vouloir la remplacer. Comment dire à l'Auteur de la vie : La loi que tu nous as donnée ne va plus à nos goûts; trouve bon que nous la mettions au rebut! Si elle est l'œuvre de la supercherie et de l'ignorance, son incroyable succès ne doit-il pas faire désespérer de l'esprit humain et fermer la bouche aux prôneurs des lumières de notre raison? Après de si tristes aberrations, pour se flatter de pouvoir reconduire les hommes à la vérité, ne faudrait-il pas du moins leur signaler clairement les causes de leur long asservissement à l'erreur?

Vous le voyez donc, la discussion des titres historiques du catholicisme est philosophiquement inévitable. Que pense de ceux qui, laissant de côté une telle question, viennent nous dire, comme M. Jouffroy et ses collègues : Il est visible que la société qui a vécu jusqu'ici de la doctrine du Christ est lasse de cet aliment; il y a done urgence pour nous, professeurs de philosophie, et pour vous, messieurs nos élèves, de lui offrir un enseignement supérieur au christianisme. Il est vrai que, en joignant nos labeurs à ceux de tous nos devanciers, on n'y trouve pas encore la matière d'une réponse satisfaisante à l'une des mille questions qui intéressent l'humanité; mais ne nous décourageons pas. Agitons philosophiquement ces redoutables problèmes, et faisons-en jaillir assez de lumière pour que les peuples, qui désertent l'école du Christ, entrent dans la nôtre et nous proclament les sauveurs de l'humanité!

Prétendre que c'est là de la philosophie, n'est-ce pas vouloir justifier le mot de Pascal, que « le mépris de la philosophie est le commencement de la sagesse? »

TROISIÈME QUESTION.

S'il y a un juste milieu acceptable entre la philosophie du catéchisme catholique et la philosophie rationaliste.

D. En y regardant de près, la prétention de mieux éclaircir le problème de la destinée humaine que ne le fait le catholicisme, pourrait bien n'être qu'un prétexte dans la pensée des rationalistes. Leur but réel serait d'assurer à chacun la liberté de penser, d'amener les catholiques et ceux qui ne partagent pas leurs croyances à vivre en bonne harmonie, à ne plus s'anathématiser, les uns au nom de la foi, les autres au nom de la raison. Or n'y aurait-il pas quelque sagesse dans ce juste milieu? Vous savez sans doute que telle est la philosophie d'un bon nombre d'honnêtes gens. Goû

tant peu les vieilles révélations du catéchisme catholique, et n'espérant rien des révélations à venir du rationalisme, ils ont adopté cette devise: « Jouissons paisiblement de la vie sans nous fatiguer la cervelle à en pénétrer le mystère. »

R. Vous avez raison de croire que le rationalisme n'est qu'un prétexte. Sur cent de ses adeptes, il y en a quatrevingt-dix-huit qui ne demandent la liberté de penser en religion que pour jouir de la liberté de ne penser à aucune religion, sauf celle du plaisir. La philosophie du viveur indifférent, du paisible épicurien, voilà ce qu'ils convoitent. Mais cette philosophie, en apparence si facile, puisqu'elle exclut toute étude, est de fait impraticable. La raison en est que notre monde, tel qu'il est bati, ne souffre qu'un petit nombre de viveurs, ne souffre aucun indifférent.

Que les gens de plaisir, assez contents du lot de jouissances qu'ils trouvent dans leur patrimoine pour ne pas être tentés d'y chercher un supplément ailleurs, soient rares ici-bas, c'est chose évidente. Le budget des dépenses d'un modéré viveur exige au moins une rente annuelle de quinze cents à deux mille écus, et vous savez que la société abonde de philosophes de cette espèce, qui s'endettent et se ruinent avec un revenu décuple. Comment donc multiplier la race des viveurs, puisque les meilleurs statisticiens s'accordent à nous dire que le revenu général de l'Europe, divisé entre ses habitants, ne donnerait à chacun guère plus de soixante à quatre-vingts écus? Travail et privations, rien de moins compatible avec la philosophie du doux vivre, et pourtant c'est la condition de la presque totalité des hommes.

Il est également certain qu'il n'existe pas d'hommes vraiment indifférents, c'est-à-dire qui puissent vivre en face du christianisme sans éprouver ni amour ni haine. Deux choses peuvent faire illusion sur ce sujet.

1o L'esprit d'hérésie a produit des contrefaçons de la loi chrétienne, tellement légères en arguments et en préceptes, qu'elles n'ont rien de bien pénible pour ceux qui les adop

tent, rien d'inquiétant pour ceux qui les rejettent. Les premiers les trouvent trop commodes pour s'enquérir de leur origine; les autres les jugent trop faibles pour s'amuser à raisonner contre elles. On les tolère, alors même qu'elles se montrent peu tolérantes, par la raison qui nous fait supporter les criailleries d'un enfant. Mais cette harmonie des esprits, née des transactions de l'erreur avec l'erreur, disparaît dans un pays dès que le christianisme catholique s'y présente avec l'inflexibilité de ses dogmes et avec ces caractères divins qui poussent à la révolte ceux qu'ils ne disposent pas à la soumission.

2o Les pays catholiques sont pleins d'hommes qui, avec la foi dans le fond de l'âme et de grandes faiblesses dans le cœur, voudraient concilier ces deux choses et négocier un traité de paix qui préservât leur foi des outrages de l'incrédulité, et leurs vices des censures incessantes de la religion. Il y a là faiblesse, inconséquence, mais non indifférence. La guerre que ces hommes ont avec eux-mêmes les avertit assez qu'on ne transige pas avec Celui qui a dit : Vous ne pouvez servir deux maîtres. Aussi, tôt ou tard, faut-il que leur foi les délivre de leurs vices ou que leurs vices les tournent contre leur foi.

En somme, les faux christianismes comptent beaucoup d'indifférents; le vrai n'a que des amis et des ennemis.

D. C'est précisément cet absolutisme du catholicisme, en matière de doctrine, que les partisans du juste milieu accusent de tout le mal. Ils pensent que, si l'on pouvait modérer le zèle des enfants de la foi, on arriverait à une conciliation.

R. Cette idée de conciliation repose sur une parfaite ignorance de la nature du catholicisme et de celle du cœur humain.

La doctrine catholique étant, dans la conviction de ceux qui la professent, l'œuvre de Dieu même, est essentiellement absolue, irréformable. Nul ne peut y toucher sans s'élever contre Dieu. En même temps qu'elle interdit à ses croyants toute transaction, toute dissimulation, la doctrine catho

« PreviousContinue »