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feras point d'image taillée, ni aucune ressemblance des choses qui sont là-haut dans les cieux, ici-bas sur la terre, et dans les eaux sous la terre (1).

R. Si la suppression de ces paroles est une altération sacrilége du premier article de la loi, comme le prétendent les enfants de Zwingle et de Calvin, le premier coupable, c'est Jésus-Christ. Interrogé par les pharisiens: Maître, quel est le grand commandement de la loi? Il répond: Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit. C'est là le plus grand commandement et le premier. Cette traduction de la première parole du Sinaï parut si juste aux pharisiens, qu'ils restèrent muets.

L'Église catholique a donc eu quelque raison de ne voir, dans les paroles que vous citez, qu'une défense locale, temporaire, intimée à un peuple demi-idolâtre, entouré de peuples qui adoraient tout, excepté le vrai Dieu. Appuyée sur l'interprétation du divin Maître, elle a cru qu'au grand soleil de la révélation évangélique, le monde pourrait adorer Dieu en esprit et en vérité, sans que l'on fût obligé de lui interdire, en matière religieuse, l'usage légitime de l'imagination : la peinture, la sculpture, etc. Les prophètes du seizième siècle, Carlstadt, Zwingle et Calvin, condamnés en cela par l'archiprophète Luther, en ont jugé autrement. Armés de la parole: Tu ne te feras point d'images, etc., ils ont brisé, brûlé une infinité de chefsd'œuvre de l'art chrétien, converti les églises en temples nus comme un hangar, froids comme une glacière. Il n'a pas tenu à ces sauvages bigots que, vers l'an 5530 du monde, l'Europe ne rétrogradât à l'an 1500 avant JésusChrist.

Quel a été le résultat, pour la piété chrétienne et la moralité publique, de ce puritanisme plus que pharisaïque ? Ce résultat a été des plus déplorables. Les beaux-arts, ex

(1) Exode, XX, 4.

clus des temples où ils s'ennoblissaient par leur concours à l'adoration du Dieu vivant, se sont dégradés et ont travaillé à la dégradation générale du goût, des mœurs et de la pensée, en relevant les temples des dieux morts. Eux qui, sous l'inspiration catholique, ne voyaient dans la chair que l'organe et la forme sensible de l'esprit, et dans le monde matériel que le symbole du monde invisible, en sont revenus à l'inspiration païenne, qui emploie toutes les forces de l'esprit à faire resplendir les beautés de la chair et à changer l'univers en un temple d'idoles.

Le culte païen du visible et du nu, réhabilité d'abord par les hellénistes, a été redevable de ses désastreux progrès à la dénudation des temples par le protestantisme dans la terre classique de l'esthétique chrétienne : l'Allemagne. Goethe et son école, maudissant la révolution morale qui a substitué la Vierge pâle et maladive à la Vénus antique, et à la perfection idéale du corps humain représenté par les dieux de la Grèce, la maigre image d'un crucifié tiraillé par quatre clous;— Goethe, plaçant devant son lit la tête colossale de Jupiter, afin qu'il puisse à son réveil lui adresser sa prière du matin ! — Hégel, déplorant la mort de toute poésie par le triomphe des chimères religieuses du Galiléen sur la belle religion des Hellènes ! - Louis Feuerbach, le chef de la jeune école allemande, exprimant de mille manières son horreur pour le supernaturalisme de la superstition évangélique, et invitant ses lecteurs à adorer le néant et la mort, plutôt que le Christ; Feuerbach, dont on a dit qu'il serait l'Antechrist, si le dix-neuvième siècle devait voir la fin du monde (1)! voilà un des fruits, en Allemagne, de la haine aveugle des premiers réformateurs contre l'esthétique chrétienne.

L'imagination exerçant une irrésistible influence sur les âmes, la religion qui ne s'empare pas de cette faculté, n'est

(1) Voy., sur les doctrines de l'antichristianisme allemand, un article de la Liberté de penser, numéro du 20 novembre 1850.

plus qu'une abstraction, et si, avec cela, elle veut imposer des devoirs, elle devient ridicule et odieuse. C'est assez dire le cas que vous devez faire des déblatérations du calvinisme contre les corruptions idolâtriques des papistes, et des stupides louanges qu'il chante toujours à la gloire des auteurs de la plus stupide des réformes. Revenons à l'examen du grand précepte.

Résumé dans la charité, qui elle-même résume toute la loi, ce précepte contient en germe l'universalité des vérités à croire et des vertus à pratiquer. Son but est de détruire l'erreur qui enfante et nourrit toutes nos erreurs, le vice qui produit et fomente tous nos vices. Ne regrettez donc pas le temps que vous mettrez à l'étude de ce commandement, étude dont je ne peux vous offrir que l'ébauche dans les paragraphes suivants.

§ II.

Comment le premier commandement détruit l'erreur des erreurs et le vice des vices.

D. Quelle est cette erreur des erreurs?

R. C'est l'idée qu'il y a plus d'un Seigneur Dieu, ou que, s'il n'y en a qu'un, il pourrait bien se trouver dans notre adorable personne.

Si absurde que soit cette idée dans un être raisonnable qui ne peut se dissimuler qu'hier il n'était pas et qu'aujourd'hui il n'est qu'un atome pensant dans l'océan des êtres, il n'en est pas moins vrai qu'elle obsède toute âme venant en ce monde. On ne s'en défend pas sans de grands, de continuels efforts. Alors même que l'esprit est bien convaincu que notre divinité est la folie des folies, le cœur ne laisse pas d'en être flatté, et vingt fois le jour il se surprend dans l'adoration de lui-même. Les saints les plus avancés dans l'amour divin et le mépris d'eux-mêmes étaient inconsolables de ces tendances impies et sacriléges de leur âme à usurper la place du Très-Haut; ils s'en plai

gnaient à Dieu et lui demandaient la faveur d'en être délivrés, au moins quelques minutes avant de sortir de ce monde.

Oui, c'est bien là l'erreur des erreurs, le foyer de tous nos égarements : qui n'a pas senti ce foyer dans son âme, a toujours vécu hors de soi, préoccupé du culte de sa chair.

C'est l'erreur qui perdit celle des intelligences angéliques qui, la première, se détourna de la vérité et devint le père du mensonge, en disant : Je serai semblable au TrèsHaut (1). C'est l'erreur qui perdit nos premiers parents, séduits par cette parole: Vous serez des dieux. C'est l'erreur qui, après avoir couvert le monde d'idoles et de dieux ridicules, ne sort des absurdités de l'idolâtrie que pour se jeter dans celles du panthéisme, de l'athéisme, et dire : « Les religions ne sont toutes que l'œuvre de la sottise humaine; pas d'autre dieu que le monde, pas d'autre monde que celui que nous voyons de nos yeux, que nous palpons de nos mains! »

Enfin, c'est l'erreur qui fomente et exalte le père de tous les vices.

D. Vous voulez sans doute parler de l'orgueil?

R. Oui, de cet orgueil dont il est écrit, qu'il est le principe de tout péché, qu'il remplit d'abominations celui qui s'y abandonne, et le pousse à la dernière des ruines (2).

L'éternelle manie de l'orgueilleux est de se poser, d'abord, l'égal du Très-Haut; puis, de supprimer celui-ci. Une fois en possession de la divinité, il lui faut une religion. Or la religion de l'orgueilleux consiste en trois choses :

1o L'orgueilleux adore son esprit. Il ne voit de sagesse qu'en lui-même. Sa raison est la lumière des lumières, l'autorité des autorités, l'unique autorité, à laquelle il s'en réfère sur toutes choses. S'il est assez franc et logique pour suivre jusqu'au bout l'inspiration de l'orgueil et l'exprimer

(1) Isaïe, XIV, 14. - S. Jean, VIII, 44.

(2) Ecclésiast., X, 7-15.

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nettement, il arrivera bientôt au paroxysme de la folie et de la rage, et dira à Dieu, avec l'auteur du Système des contradictions: « Retire-toi, esprit menteur, Dieu imbécile : ton règne est fini! Cherche parmi les bêtes d'autres victimes (1). » Dieu ainsi détrôné, le vainqueur n'a plus qu'à occuper la place et à humer l'encens de l'univers. En effet, le genre humain à qui il vient d'apprendre que Dieu, c'est sottise et lâcheté; Dieu, c'est hypocrisie et mensonge; Dieu, c'est tyrannie et misère; Dieu, c'est le mal (2); » le genre humain, dis-je, reconnaissant d'un tel bienfait, doit nécessairement dire : L'être qui nous a appris à n'être plus ce qu'ont été jusqu'ici tous les hommes, des bêtes soltes et lâches, tyrannisées par le mensonge et l'hypocrisie, mérite nos hommages; et le vrai Dieu, c'est l'athée Proudhon. Si l'orgueilleux s'arrête au déisme, il ne niera la religion révélée que pour se donner le droit de révéler une religion naturelle. S'il admet la révélation chrétienne, comme font le schismatique et l'hérétique, il déniera à l'Église le droit de l'interpréter, pour se l'arroger à lui-même.

En somme, l'athée ne nie Dieu que pour se faire dieu; le déiste ne nie le Dieu révélateur que pour être lui-même révélateur; le schismatique et l'hérétique ne se révoltent contre l'Église fondée par Jésus-Christ, que pour la gloire de fonder des églises. Athéisme, déisme, hérésie, schisme, telles sont les principales formes sous lesquelles les esprits orgueilleux s'adorent et se font adorer.

2o L'orgueilleux adore la matière. Comme l'athée ne veut rien voir au delà de la vie présente; comme le déiste ne sort jamais du doute au sujet de la vie future; comme le schismatique et l'hérétique, une fois hors de la véritable Église, errent à tout vent de doctrine; il est inévitable que leurs affections et leurs convoitises se tournent exclusivement vers les choses de ce monde, et qu'ils préfèrent les biens

(1) Proudhon, Système des contrad., ch. 8.
(2) Ibid.

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