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entretenus par les sueurs de millions et de millions de laboureurs esclaves.

Quant aux temps modernes, croyez-vous que l'humilité chrétienne ait perdu sa divine énergie, sa merveilleuse fécondité, et que ses œuvres redoutent la comparaison avec les œuvres des vertus philosophiques? Mettez en présence deux vies très-connues, passées, l'une dans le mépris, l'autre dans l'adoration de soi.

D. Lesquelles ?

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R. La vie du saint prêtre Vincent de Paul et celle du philosophe Jean-Jacques, Je n'ai pas besoin de détailler les œuvres du premier. On ne peut expliquer les prodiges de sa bienfaisance, embrassant l'universalité des misères présentes et futures, que par la belle maxime du thaumaturge: Dieu entre en nous dans la juste mesure que lui fait l'humilité. Son humilité fut, comme sa charité, sans bornes. Arrivé à la fin d'une carrière qui suffirait à la glorification devant Dieu et devant les hommes de cent prêtres, le saint vieillard ne savait comment exprimer l'horreur qu'il avait de lui-même et le mal que lui faisaient les éloges (1).

Écoutons maintenant le philosophe portant à Dieu et aux hommes cet inconcevable défi, à la première page du livre de ses Confessions : « J'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même, Être éternel! Rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions..., et puis qu'un seul dise, s'il l'ose: Je fus meilleur que cet homme-là ! » Et que fut-elle, cette vie qu'il osait dire à l'épreuve du regard de Dieu et des hommes? Elle fut, de son propre aveu, un tissu de puérilités, de contradictions, de bassesses, de turpitudes, une perpétuelle

(1) « Un très-digné prélat, voyant M. Vincent s'humilier en toutes choses, ne put s'empêcher de lui dire qu'il était un parfait chrétien; sur quoi cet humble serviteur de Dieu s'écria: «O Monseigneur, que dites-vous? moi un parfait chrétien? On me doit plutôt tenir pour un damné, et pour le plus grand pécheur de l'univers. » Vie de saint Vincent de Paul, par Abelly, ch. 13, sect. I.

adoration de lui-même. Nous y voyons le mépris des liens du mariage et de la famille. Les hospices que Vincent avait ouverts aux enfants abandonnés, le philosophe les peuple des jeunes victimes de son concubinage et de son humeur ennemie de toute gêne. Les bagnes, où la charité de Vincent faisait revivre le repentir et la vertu, qui pourrait dire le nombre d'habitants que leur a procurés l'apologiste du vice et le fanatique blasphémateur qui déclara la religion chrétienne plus antisociale que celle des Lamas et des Japonais! Que devons-nous encore à ce discoureur sensible, qui n'a pas une ligne d'éloge pour les vierges admirables que Vincent consacra au soulagement et au service de tous les genres d'infortunes, mais qui a des milliers de pages propres à créer des Héloïse, des Sophie, qui ne sortent des temples du vice que pour être jetées par la justice dans les couvents du crime? Nous lui devons les doctrines sauvages du Discours sur l'inégalité et du Contrat social, deux livres dont on a dit avec raison qu'ils ont fait tomber plus de têtes qu'ils ne contiennent de lettres. Nous lui devons enfin l'Émile, c'est-à-dire un plan d'éducation qui substitue aux enfants de Dieu et de l'Église des enfants de la nature, n'ayant foi qu'à eux-mêmes, n'aspirant qu'aux jouissances, ne redoutant d'autre enfer que celui du travail et des privations.

L'Europe actuelle, menacée par le poignard de millions d'Émiles enrégimentés par le socialisme, croyez-vous qu'elle puisse se sauver autrement que par l'esprit de sacrifice et de dévouement qu'inspire l'humilité chrétienne? Et si elle périt, ne sera-ce pas par le débordement des filles de l'orgueil : l'avarice, l'envie, la luxure, la gourmandise, la paresse, et une colère montée jusqu'à la rage contre tout ce qui leur fait obstacle?

D. Ces considérations me paraissent très-propres à corriger la fausse idée que l'on se fait dans le monde au sujet de l'humilité. Mais, pour exalter cette vertu, ne lui attrị

buez-vous point trop les œuvres des autres vertus, notamment de la charité?

R. Il faut savoir que l'humilité est moins une vertu spéciale que la source, la racine, le fondement commun de toutes les vertus chrétiennes, et que celles-ci ne s'élèvent, ne se soutiennent, ne se déploient que dans la juste mesure de profondeur et de puissance que leur donne l'humilité. Pour que les dons de Dieu s'affermissent et se développent dans une âme, il faut que cette âme se déprenne, se vide d'elle-même, et c'est là l'œuvre de l'humilité. Contre-pied de l'orgueil source de tout mal, l'humilité est la génératrice de tous les biens spirituels. Je vous ai montré comment l'orgueil produit l'infidélité, la cupidité, la sensualité, dans lesquelles se résument tous les vices. Vous allez voir comment l'humilité oppose : 1° à l'infidélité, qui est l'adoration de la pensée humaine, la Foi, qui est l'humble soumission de notre pensée à celle de Dieu; 2o à la cupidité, qui est l'adoration de la matière, l'Espérance, qui nous fait soupirer après la possession de Dieu et des biens invisibles; 3o à la sensualité, qui est le culte égoïste et brutal de notre personne, de notre chair, la divine Charité, qui nous fait aimer Dieu par-dessus tout, et nos frères autant et encore plus que nous-mêmes.

Foi, Espérance, Charité, tels sont les trois fruits de l'humilité, qui, en exprimant toute la substance du premier commandement de Dieu, contiennent en réalité l'essence de la religion', l'universalité des vertus et des devoirs du chrétien.

S IV.

De la Foi, et de nos devoirs sur ce sujet.

D. Qu'est-ce que la Foi ?

R. C'est un don surnaturel qui nous dispose à croire inébranlablement tout ce qu'il a plu à Dieu de nous révéler par son Église.

Que notre âme ait besoin d'une force surhumaine pour adhérer fortement à des vérités supérieures et antipathiques à notre nature sensuelle, c'est une vérité de foi et aussi de sentiment, ainsi que je vous l'ai fait observer dans le premier paragraphe du premier article du Symbole. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il y a dans tous les hommes une inclination naturelle à n'attendre que de Dieu les lumières religieuses et morales. De là, l'universalité de la croyance aux religions révélées ou supposées telles. Le rationalisme, c'est-à-dire la prétention de connaître par nos propres forces Dieu et ses desseins sur nous, n'a jamais été, ne sera jamais que le fait de quelques déistes, sceptiques ou athées, qui ne veulent de religion que le mot. Et cette prétention de créer ou de découvrir par la puissance de notre raison la science de Dieu et des hommes, prétention que les païens eux-mêmes repoussaient, repoussent encore comme une absurdité, comment serait-elle tolérable depuis que la lumière évangélique a mis à la portée des enfants la science divine que cherchèrent vainement les Socrate, les Platon, les Aristote?

A la vue de l'immense révolution opérée par le christianisme, à la vue de cette Église catholique qui est le plus étonnant et le moins contestable des miracles (1), pour douter encore du fait de la révélation divine, il faut s'enfoncer dans l'ignorance, se bourrer de sophismes, lutter contre l'évidence historique, s'ensevelir dans le tombeau du scepticisme, ou dévorer les contradictions de ces systèmes philosophiques dont l'infortuné Jouffroy disait, peu de jours avant sa mort: Hélas! monsieur le curé, tous ces systèmes ne mènent à rien. Vaut mieux mille et mille fois un bon acte de foi chrétienne (2).

La foi répondant à une aspiration naturelle de notre ame, et la foi chrétienne portant avec elle des caractères

(1) V. plus haut, l'étude du troisième fait.

(2) Voy. la lettre de M. Martin de Noirlieu, curé de Saint-Jacques, dans les Études philosoph., etc., de M. Nicolas, t. II, p. 259 (2o édit.).

de vérité propres à convaincre tout esprit droit, il ne faut pas s'étonner que Jésus-Christ l'ait exigée impérieusement, en ait fait une condition sine qua non de salut pour tous ceux à qui sa parole serait annoncée. Allez dans l'univers, prêchez l'Évangile à toute créature. Celui qui aura cru et reçu le baptême sera sauvė; mais celui qui n'aura pas cru sera condamné (1).

Sans la foi, nous dit l'Apôtre, il est impossible de plaire à Dieu (2). La raison, en est évidente. Quand Celui qui sait tout daigne parler à des créatures qui ne savent rien, le devoir de celles-ci n'est-il pas de soumettre leur raison d'un jour à l'éternelle raison? Si elles refusent de le faire, si elles prétendent en savoir autant et plus que Dieu, n'y at-il pas là la plus absurde des révoltes, la plus révoltante des folies, la folie de l'orgueil?

Et puis, comment plaire à Dieu si l'on n'observe pas ses commandements, et surtout le premier : Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement? Or comment adorer et aimer Dieu comme il l'entend, si, faute de croire à sa parole, on reste dans l'ignorance de ce qu'il est et de ce qu'il veut? Otez la foi aux enseignements de Jésus-Christ par l'Église une, sainte, catholique, apostolique; vous avez autant de dieux et de religions qu'il y a de têtes. En réunissant ce que j'ai dit dans le cours de cet ouvrage, je pense n'avoir plus besoin de vous démontrer les deux axiomes suivants : — Il n'appartient qu'à Dieu de nous apprendre ce qu'il est, ce que nous sommes et ce qu'il exige de nous; et il n'appartient qu'à l'Église de Dieu de répéter fidèlement à l'universalité des hommes les enseignements divins. --Pas de milieu: ou le catholicisme réunissant les hommes dans l'unité de foi ou de culte, ou le fétichisme permettant à chacun de croire et d'adorer ce qui lui plaît.,

D. Oui, je crois comprendre cela. Il me reste à connaitre quels sont nos devoirs touchant la foi.

(1) S. Marc, XVI, 15, 16.
(2) Ép. aux Hébr., XI, 6.

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