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soin d'y croire, et par conséquent d'en entendre parler. Pourquoi l'enfer fait-il irruption sous nos yeux par l'abomination de ses doctrines, de ses projets, et aussi de ses exploits, quand les baïonnettes ne sont pas là en nombre suffisant pour contenir les démons des sociétés secrètes? Pourquoi cet enfer dans le temps, sinon parce que la foi à l'enfer de l'éternité a subi une baisse ?

Quant aux âmes sensibles qu'agiterait trop la crainte de la justice divine, il faut leur dire Voulez-vous ne pas trop craindre Dieu ? Jetez-vous dans ses bras. A l'exemple du saint docteur à qui nous devons cette belle penséc (saint Augustin), déplorez vos égarements, faites-en pénitence; ne négligez rien pour entretenir dans votre cœur cette divine charitè qui en bannit la crainte, non la crainte filiale qui redoute dans le péché l'offense du meilleur des pères, mais la crainte servile qui ne détesté que le châtiment et redoute peu le supplice des supplices de l'enfer : l'impossibilitě de jamais aimer l'Être infiniment bon, et d'en être aimé.

§ VI.

De la charitė.

D. Qu'est-ce que la charité?

Q. C'est une vertu surnaturelle, qui fait que nous aimons Dieu par-dessus tout, et notre prochain comme nous-mêmes, pour l'amour de Dieu. C'est la troisième fille de l'humilité, qui tend à détruire radicalement en nous toutes les filles de l'orgueil, surtout la troisième : la sensualité, qui ravale nos affections au culte ignoble et égoïste de notre personne et de notre chair.

Foi, espérance, charité, voilà les trois dons par excellence, nous dit l'Apôtre; mais le plus excellent, c'est la charitě (1). En effet, le Dieu Très-Haut que la foi nous mon

(1) Prem. ép. aux Cor., XII, 31; XIII, 13.

tre créant et gouvernant les mondes du sein de la lumière inaccessible au regard des mortels; le Dieu dont l'espérance nous promet la possession dans l'avenir; la divine charité monte jusqu'à lui ou l'oblige à descendre jusqu'à nous, et fait que, par une possession anticipée, l'homme demeure en Dieu et Dieu demeure en lui (1). La foi s'évanouira avec ses ombres, l'espérance avec ses langueurs et ses craintes, quand Dieu daignera nous apparaître sans voile, nous unir à lui pour toujours. Mais la charité alors, loin de défaillir, acquerra sa perfection souveraine; dévorant en un clin d'œil les imperfections et les faiblesses de notre ètre, elle nous rendra éternellement semblables à notre Père, parce que nous le verrons tel qu'il est (2).

En attendant qu'elle nous plonge dans les ravissements éternels, la charité nous presse, nous pousse à élargir la sphère étroite de notre vie. Elle s'indigne de voir que, Jésus-Christ étant mort pour tous, ceux qui lui doivent la vie veuillent vivre pour eux-mêmes, et non pour la gloire de celui qui est mort et ressuscité pour eux (3). Par ses divins enchantements, elle aplanit la voie des commandements de Dieu et de l'Église, les couvre de fleurs, de parfums, y fait, non marcher, mais courir une infinité d'àmes chrétiennes engagées dans les obligations de la famille et des affaires du siècle (4). A ceux qui observent tous les préceptes, elle montre la carrière des conseils évangéliques, et leur dit, comme le divin Maître au jeune homme: Voulez-vous être parfaits? allez, vendez tous vos biens, donnez-les aux pauvres, et suivez-moi.

Là c'est une jeune personne née sur les marches d'un tròne impérial, dont elle est un des brillants joyaux. La charité lui dit : Renonce à tout cela, dusses-tu encourir les anathèmes de ton auguste parenté; prends cet habit, et

(1) S. Jean, Prem. ép., IV, 16.

(2) Ibid., III, 2.

(3) Deux. ép. aux Cor., V, 14, 15. (4) Ps. CXVIII, 14, 32.

va consacrer ta vie à l'instruction de petites filles dévorées par la vermine ou au soin des malades les plus dégoûtants. La princesse obéit, et trouve sous le pauvre habit des filles de Vincent de Paul une joie, un contentement inconnu aux familles princières les mieux partagées (1).

Ici ce sont de pauvres filles qui ont peine à se procurer le pain quotidien par leur travail. La charité leur dit : Voilà une multitude de vieillards délaissés; c'est à vous de les loger, de les vêtir, de les nourrir, de les chauffer, de consoler leurs vieux jours et de les préparer à une mort chrétienne. Ces pauvres filles s'assemblent, et, par leur foi au Père qui a tout fait de rien, elles fondent en une année plus d'hospices que le prince le plus pécunieux et le plus bienfaisant durant un long règne.

Plus loin, c'est un jeune homme, l'espoir, l'idole de sa famille. La charité lui dit: Entre dans cette congrégation religieuse, en butte aux sarcasmes, aux calomnies, aux vociférations de la haine. Une fois entré, elle lui dit : Vingt de tes confrères viennent de périr en prêchant l'Évangile aux barbares. Les uns ont été tués par la misère, la fatigue et la faim; les autres, déchirés par les bourreaux, jetés au four et dévorés par les sauvages; sollicite la faveur de les remplacer. Il le fait, et le voilà qui court plein de joie au martyre.

Amour qui surpasse tout amour autant que Dieu surpasse toute créature, la charité a ses transports, ses ivresses, ses saintes extravagances, que le monde accuse de fanatisme, mais qui guérissent et préservent les peuples du fanatisme de la sagesse mondaire.

Vous connaissez suffisamment les productions littéraires, historiques, philosophiques de nos libres penseurs, c'est-àdire du servum pecus de Voltaire, de Montesquieu, de Rousseau, pour vous rappeler leurs jugements sur la con

(1) Entre cent exemples de ce genre, citons la princesse Naraki, petitenièce de l'empereur Nicolas, actuellement sœur de la charité à Valenciennes.

duite de nos saints anachorètes, de nos stylites, de nos fondateurs d'ordres contemplatifs, mendiants, sur les excès de leurs abstinences, de leurs macérations, sur leur culte pour la misère, la pauvreté, la souffrance, etc., etc.

D. Je me souviens, en effet, d'avoir lu de belles invectives contre les anachorètes et les héros du monachisme, dans des centaines de volumes destinés à l'édification de la jeunesse studieuse, et signés par des professeurs, des inspecteurs généraux et des grands maîtres. Ceux d'entre ces messieurs qui n'accusaient pas ouvertement les moines d'avoir, par la stupidité de leurs pratiques, abêti à fond et livré aux barbares l'empire romain, et retardé de plusieurs siècles le lever de la civilisation moderne, ne manquaient du moins aucune occasion de les présenter comme de grands fous, et les vrais faquirs du christianisme.

R. Qui; l'école voltairienne ne pardonnera jamais au monachisme d'avoir puissamment aidé l'Église catholique à couler bas le culte de Vénus sous ses dix mille formes, pour Jui substituer l'adoration et l'amour du Père éternel, du Fils crucifié, du Saint-Esprit descendu dans nos cœurs, le culte de la Vierge, et la sanctification de nos âmes.

Nous qui n'avons ni les mêmes goûts ni les mêmes antipathies, plaçons-nous un instant entre les faquirs du christianisme et les adorateurs de la déesse Callipyge, et pro

nonçons.

Voilà, au cinquième siècle, saint Siméon Stylite qui, entré dans un monastère à l'âge de treize ans, en sort pour passer le reste de sa vie sur une colonne au sommet d'une montagne, où il n'interrompt sa prière que pour prêcher aux païens et aux pécheurs qui l'entourent la foi en JésusChrist et la pénitence. Même au point de vue de la moralité et de la tranquillité publique, cela ne valait-il pas mieux que l'enseignement des libres penseurs de l'époque, disant au peuple de toute manière La vie, c'est le plaisir; la mort, c'est le néant?

On raconte à peu près les mêmes choses de saint Patrice,

qui, vers le même temps, conquérait l'Irlande au christianisme, et en faisait l'Ile des saints. Les libres penseurs des trois derniers siècles, secondés par des armées de bourreaux, ont entrepris de réformer l'œuvre du faquir, et ils ont admirablement réussi à faire de l'Ile des saints l'Ile des faméliques.

Aux douzième et treizième siècles, l'Europe, délivrée à grand' peine de la barbarie sauvage, s'enfonçait dans le culte poli, mais encore plus barbare, des jouissances matérielles. L'islamisme, qu'on était allé combattre au dehors, s'infiltrait de mille manières dans les mœurs, et même dans la doctrine, de l'aveu des historiens les moins suspects aux libres penseurs. Saint Dominique et saint François arborent l'étendard de la pauvreté et de la mortification évangélique, et poussent le cri: Tout est vanité et folie, hors aimer Dien el ne servir que lui seul! Une grande révolution s'opère, et le travail de la civilisation commence par où il doit commencer, par le triomphe de la morale de Jésus-Christ, de l'amour de Dieu et de nos àmes sur l'amour ignoble et le culte égoïste de la partie bestiale de notre nature.

Quant aux barbouilleurs qui n'ont pas craint de prodiguer l'outrage et l'ordure aux hommes divins que l'univers catholique a élevés et vénère sur nos autels, il ne faut manquer aucune occasion de leur dire Que vous ne compreniez rien au culte de nos grands hommes pour la pauvreté et la souffrance; que vous teniez pour insensés les princes et princesses qui, à leur exemple, non contents de servir les membres souffrants de Jésus-Christ dans les indigents et les malades, portaient la vénération jusqu'à baiser leurs plaies les plus dégoûtantes; que vous vous moquiez de leurs extases, de leurs stigmates, de leurs miracles, on le conçoit. Vos maîtres de philosophie vous ont appris que Dieu, c'est la nature; l'homme, une masse de chair organisée pour le plaisir. En mettant tout l'esprit du monde à embellir, à dịviniser cette philosophie et à traîner dans la boue ceux qui la combattent, vous êtes conséquents. Mais nous qui ayons

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