Page images
PDF
EPUB

L'esprit de sacrifice, voilà ce qui élève, ennoblit, perpétue un peuple. Esprit de sacrifice, d'abord, dans les classes supérieures, qui ne doivent voir dans l'exercice des fonctions publiques, dans l'emploi des lumières et de la richesse, qu'un moyen de servir Dieu et de traiter leurs frères comme ils voudraient en être traités; esprit de sacrifice, ensuite, dans les classes inférieures, apprenant à estimer leur condition, qui fut celle du Dieu fait homme, et ne cherchant à l'améliorer que par l'assiduité au travail et le bon emploi de leurs économies: telle est, pour quiconque veut se donner la peine de réfléchir, la source, chez les peuples, de toute grandeur morale et matérielle non sujette à finir par des catastrophes.

Or, je vous le demande, qui peut inspirer à toutes les conditions sociales cet esprit de sacrifice?

R. Il serait bien possible que le Dieu crucifié fùt seul capable d'un tel prodige. Et, en effet, on ne peut se dissimuler que, soit dans le passé, soit dans le présent, l'esprit de sacrifice ne se trouve guère que dans les nourrissons de la Croix.

R. Dites plutôt les nourrissons du sacrifice eucharistique établi par Jésus-Christ pour perpétuer, à travers les siècles, la mémoire et la vertu du sacrifice sanglant de la Croix.

il

Je ne veux pas reproduire ici la thèse que j'établissais, y a quelques années, à peu près en ces termes : Pour les nations chrétiennes qui ont déserté ou déserteront l'école du sacrifice eucharistique, il n'y a pas de milieu: ou rallumer cette fournaise de la charitě divine, ou descendre au fond de la fournaise révolutionnaire, et restaurer, sur une gigantesque échelle, les sacrifices humains...; le banquet sacré, où le Dieu-Homme a daigné se faire notre nourriture, ou les repas de l'anthropophagie (1).

Que pensent-ils aujourd'hui de leurs critiques, ceux

(1) V. l'Emmanuel, ou le Remède à tous nos maux, considérat. v-IX.

qui jugèrent alors que je voyais l'avenir sous des couleurs trop noires? L'Angleterre elle-mème n'entend-elle pas dans son sein le bruit précurseur des grandes tempêtes sociales? En conjurant la grande nation de « rallumer sur les autels de Saint-Paul de Londres et de Westminster le grand foyer de la charité chrétienne (1), » je ne faisais, comme un illustre pontife des États-Unis, qu'opposer le vœu d'une âme catholique aux sinistres prédictions d'une plume anglicane justement renommée (2).

Livrant donc à vos réflexions le point de vue purement religieux, je reprends la grande question sociale que j'ai posée plus haut, et je vous demande : Si les diverses nuances sociales ne se rencontrent pas, le dimanche et les fêtes de précepte, autour des autels, où pourront-elles se réunir et apprendre qu'elles ne sont qu'une famille de frères, où les petits et les faibles doivent respecter, aimer les forts et les grands, et ceux-ci chérir les faibles, les petits, et leur tendre la main? Je ne vois que l'église et le cimetière pour réunir la masse des hommes; mais le cimetière n'unit, n'égalise que les morts. L'église est donc l'unique école de fraternité pour les vivants (3). Partout ailleurs les classes

(1) L'Emmanuel, ou le Remède à tous nos maux, considérat. vina.

(2) Dans un parallèle du catholicisme et du protestantisme, le célèbre Macaulay n'avait pas craint d'écrire : « L'Église catholique sera encore brillante de jeunesse et de force, quand, un jour, le touriste, parti de la Nouvelle-Zélande, viendra s'asseoir sur une arche brisée du pont de Londres, pour esquisser les ruines du temple de Saint-Paul. » — « Non, il n'en sera point ainsi, répondait naguère l'éloquent archevêque de New-York; mais plutôt le voyageur néo-zélandais traversera le pont de Londres au milieu des flots de population attirés à Saint-Paul par les dix mille voix qui y chanteront l'hymne ambroisienne pour le retour de la grande nation au sein de l'unité catholique.» Voy. The decline of Protestantism and its cause, par Mgr John Hughes, p. 4, 5 (New-York, 1850).

(3) « L'Église n'est pas seulement, dit M. de Cormenin, la vivante expression de la commune, le siége et le centre de son existence, son cœur et sa tête, et le rendez-vous religieux; elle est encore le meilleur véhicule de la civilisation. Il ne va, les jours fériés, aucune femme à la mairie, à l'école, au cabaret; elles vont toutes à l'église. C'est là que, pressées, assises sur les mêmes bancs, elles se voient, elles se rapprochent, elles se connaissent. C'est en lisant dans leurs livres de prières, qu'elles apprennent à ne pas oublier de

sont divisées, et la division appelle l'antipathie et la guerre. Je comprends que les catéchismes et les homélies de nos Chrysostomes de sacristie n'ont pas un grand attrait pour les amateurs de la littérature; que nos chants populaires peuvent fatiguer les oreilles assidues à l'Opéra; que le latin de la messe, de nos proses et de nos hymnes, n'a rien qui plaise aux admirateurs de Cicéron, d'Horace, de Tibulle, d'Ovide, etc., etc., etc. Mais, avec tout cela, vous m'accorderez sans doute que les leçons du prêtre, ses Dominus vobiscum, ses Sursum corda, etc., valent un peu mieux pour l'éducation d'un peuple que tout ce qui se dit, se chante et se fait dans les réunions au sortir desquelles les cris de mort, les rugissements de l'anarchie mettent en fuite les habitués du théâtre et de la belle littérature, et ne laissent paraître dans les places et les rues que les habitués du sacrifice : le soldat opposant sa poitrine aux ennemis de l'ordre; le prêtre aussi, qui, s'il ne peut désarmer la révolte, porte secours à ses victimes.

D. Je conçois très-bien que la messe serait le meilleur remède aux passions anarchiques; mais comment faire goûter le remède à des masses livrées au sommeil de l'indifférence religieuse?

R. C'est à quoi chacun doit s'appliquer par-devers soi en donnant l'exemple de la fidélité aux commandements de Dieu et de son Église. N'a-t-on pas vu naguère quelques saints religieux faire goûter le remède aux habitants du bagne, et des milliers de forçats, transformés par la vertu de la parole divine, purifier leur àme dans le bain de la

lire, ne lisant jamais que là et que cela. C'est là seulement pour la première fois qu'elles mettent leurs chapeaux de paille ornés de frais rubans, leurs fichus de couleur, leurs bonnets de tulle, blanchis et plissés, leurs souliers de cuir, leurs croix d'or, leurs bas de coton, leurs tabliers de soie, et leurs beaux habits des dimanches et des fêtes, et par conséquent qu'elles les usent, et par conséquent qu'elles font aller la fabrication, et se servent des repasseuses, des lingères, des ouvrières, des couturières, des chapeliers, des rubaniers, des drapiers, des cordonniers, des bijoutiers, des bonnetiers, et autres ouvriers, marchands, et gens d'état des villes, etc., etc. » Entretiens du village, VII.

pénitence, et aller au banquet eucharistique consolider et consommer l'œuvre de leur régénération morale?

Je crois vous avoir suffisamment prouvé que les masses ne sont point sujettes au sommeil de l'indifférence religieuse, qui ne se trouve guère que dans l'abondance et la variété des jouissances du luxe. Quand elles ne reposent plus sur l'oreiller de la foi et de l'espérance chrétiennes, elles sont debout, l'œil en feu, écoutant les nouveaux maîtres de religion qui leur enseignent leurs droits politiques et sociaux, le droit, entre autres, de jouir sans travailler. C'est à ces prêcheurs des religions nouvelles, autant peutêtre qu'au zèle des apôtres de la foi catholique, que nous devrons la cessation, dans les classes bourgeoises, du sommeil de l'indifférence, et la conviction de cette vérité : Ou nous ramènerons les masses au foyer de la civilisation chrétienne, ou elles nous entraîneront dans la fosse de la barbarie. La politique européenne aura beau s'ingénier, ruser, elle n'échappera pas au dilemme posé par la politique divine: Le sacrifice divin, ou les sacrifices humains!

D. Parmi les moyens de sanctifier le dimanche, vous avez indiqué, en troisième lieu, les œuvres de la charité chrétienne qu'entendez-vous par là?

R. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, j'entends, d'abord, les œuvres nécessaires à l'entretien de la vie de notre âme. Si notre instruction religieuse est insuffisante, faible, superficielle, y suppléer par l'assiduité à l'instruction publique, par les lectures particulières; la fortifier, lui donner de la profondeur par la méditation. Si notre cœur se laisse envahir par les affections mondaines et le poison du péché, se purifier par le feu de la prière et l'usage des sacrements. Nous occuper ensuite de l'instruction et de l'édification de notre prochain le plus proche; ne rien négliger pour que les saints jours ne soient pas dans notre famille des jours de scandale et de péché. Enfin, s’occuper du prochain qui n'a pas de proches, ou qui en est délaissé visiter les pauvres, les malheureux, les instruire,

les consoler; pourvoir, selon nos facultés, à leurs besoins spirituels et temporels; nous rappelant cette parole de Jésus-Christ à ceux qu'il recevra dans sa gloire : Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait (1); celte parole aussi de l'Apôtre de la charité ; Celui-là est un menteur, qui dit qu'il aime Dieu et n'aime pas son frère. Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas (2)?

QUATRIÈME COMMANDEMENT (1er de la seconde table).

« TES PÈRE ET MÈRE HONORERAS, AFIN QUE TU VIVES

LONGUEMENT. »

D. Que contient ce commandement ?

R. Pris, non dans le sens étroit et judaïque de la lettre, mais dans le sens plus large que lui a donné l'esprit chrétien, ce commandement renferme la loi fondamentale de la société domestique, religieuse et civile; loi qui, bien observée, assurerait la tranquillité des individus, des familles, des États, et nous permettrait de passer, en plus grand nombre, et après de longs jours, du sein pacifique de la cité terrestre dans le sein de l'éternelle cité des cieux. Vous n'ignorez pas, en effet, que le catéchisme catholique, dans l'explication de ce précepte divin, nous montre, non-seulement les devoirs des enfants envers leurs pères et mères, et les devoirs de ceux-ci envers leurs enfants, mais aussi nos devoirs envers nos supérieurs quelconques de l'ordre religieux et civil, et les devoirs de tous les supérieurs envers leurs subordonnés.

Le fondement de cette agglomération est visible pour ceux qui ne veulent pas s'aveugler. Dieu n'a jamais connu, ne connaîtra jamais les divisions et séparations que nos sé

(1) S. Matthieu, XXV, 40.

(2) S. Jean, Prem. ép., IV, 20.

« PreviousContinue »